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Cette réforme monétaire sans laquelle aucune réforme d’ampleur ne pourra vraiment être réussie en France
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Vraie mère de toutes les réformes

La réforme des retraites serait la mère de toutes les réformes selon le gouvernement. Face à la complexité du système des retraites en France, quelle pourrait être la véritable mère de toutes les réformes ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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L’expression « mère des réformes », ou pire : « mère des batailles », se veut virile, propre à mobiliser les énergies pour mener un combat qui doit aboutir à la victoire décisive, pour changer notre système de retraite. On voit le résultat de l’approche ! Le malheur est, en effet, que cette transplantation bravache du concept militaire dans le domaine social, économique et finalement politique est aussi fausse que dangereuse, même si (ou car), elle serait employée à l’Elysée ou à Matignon. 

« Mère des réformes » ou « mère des batailles » : elle libèrera le pays, les initiatives, la croissance, l’emploi… réduisant les freins, les corsets, les forces multiples qui s’opposent précisément aux réformes. Ainsi, dire qu’une réforme est « mère des autres » suppose qu’elle est la plus importante de toutes, cristallise les enjeux et les affrontements. C’est à la fois un jugement de valeur sur la « hiérarchie des réformes à faire», puis un programme pour faire naître une vision majoritaire dans le corps économique et social et enfin l’idée que « le succès » permettra d’accoucher d’autres réformes. « Mère des batailles » : une logique simplificatrice, mécaniste, nataliste. Or rien de tout cela n’est sûr. Pire l’échec de « la » réforme conduirait à tout arrêter. 

Complexe notre système de retraite : c’est le premier mot qui vient à l’esprit. On peut toujours dire qu’il est injuste, inefficace, perclus de dettes garanties (explicites ou non) par l’état, autrement dit par tous, il est surtout complexe. Cette complexité est le fruit des tensions et arrangements, des reports à plus tard et des armistices qui ont fait l’économie et la société française après la deuxième guerre, avec l’accord-partage entre gaullistes et communistes. Aux uns la liberté d’entreprendre et la liberté tout court, aux autres la SNCF, l’EDF, les Charbonnages, les ports, les syndicats du livre et de la presse, plus l’enseignement public. Depuis, une guerre lente s’est mise en place, complexifiant le jeu mais, au total, réduisant le domaine public. Elle fait donc monter ses problèmes financiers en déformant sa pyramide des âges et en restreignant ses revenus. C’est bien ce qui se passe, soixante-dix ans après, avec les systèmes spéciaux, tous en déficit avec bien moins de salariés que de pensionnés, donc structurellement dépendants du privé. 

Multidimensionnel, est alors le deuxième mot pour le décrire. Tout système de retraite repose en effet sur la croissance et sur la solidarité intergénérationnelle, deux composantes complexes et interdépendantes, que le système de retraite soit par répartition ou par capitalisation. Sans croissance et solidarité en effet, il n’y a pas « société ». Certes, la répartition a évidemment une  composante plus sociale et la capitalisation plus individuelle, mais au lieu de les opposer, mieux vaut les combiner, sachant que le monde actuel (révolution technologique, globalisation) rend les  carrières moins linéaires et assurées, les « valeurs » moins stables entre personnes, groupes, familles et catégories sociales. Tout change.

Equité pour répondre à ces changements permanents : tel aurait dû être le seul mot d’ordre de la réforme. Pas équité et « en même temps » équilibre des comptes : c’est l’équité seule qui permettra l’équilibre à terme, grâce à un système à points. Un euro cotisé donne partout les mêmes droits à pensions : c’est l’essentiel. Bien sûr, ce principe peut recevoir des aménagements, pour les femmes et les travaux pénibles surtout, mais pas pour les « régimes spéciaux » qui dérogent au principe d’équité. Pour eux, il s’agit de gérer des transitions. Il ne s’agit donc pas d’être pollué par deux autres soucis : l’équilibre du système et l’unification des 42 régimes à partir de 2025. 

Ceci permet de gérer un niveau déjà élevé de complexité, mais en réduisant les antagonismes par des cas à part et des transitions longues, et d’éviter des complexités inutiles, donc antagoniques avec les régimes des avocats ou autres. Le système actuel est injuste (écart entre versements et pensions) et inefficace (déficits), mais les dirigeants actuels ont tort de vouloir tout traiter ensemble : réduire l’iniquité suffit, d’autant que cet objectif rencontre un appui largement majoritaire. Pourquoi tout mélanger, inquiéter tout le monde en agrégeant les particularismes et en menaçant la majorité des « pro-réformes » ? Toute complexité n’est pas mauvaise en soi. Des systèmes de retraite autonomes, dès lors qu’ils sont acceptés par leurs membres, financièrement soutenables, surveillés et qu’il est clair qu’il n’y aura pas de sauvetage public en cas de crise : il n’y a pas de raison de les faire disparaître. Inutile de mettre tous les œufs dans un même panier s’ils sont bons ! Il s’agit de traiter les douteux, ce qui n’est déjà pas facile !

« Mère des réformes ou des batailles » : l’expression passe à côté de l’essentiel. D’abord, rien n’est mécanique d’une réforme à une autre. Cette formule trahit la vision, ou l’espoir, que le succès de l’opération libèrera les énergies en faisant sauter les blocages accumulés par notre société, mais rien n’est moins sûr. Surtout, l’essentiel est ailleurs : dans une société et une économie qui acceptent un taux de chômage élevé (8,3%), notamment des jeunes et des « vieux de plus de cinquante ans», des déficits extérieur et public permanents, donc une montée inexorable des dettes publiques et privées : il y a à faire ! Pour pouvoir produire plus, employer plus, payer plus, travailler plus et plus longtemps et réduire les « problèmes » d’une économie en sous-emploi et en sur-dette, il y a quand même quelques réformes à faire, notamment former plus et mieux et intéresser bien davantage les salariés aux résultats de leur entreprise. Et, là encore, l’équité est la voie d’entrée, à savoir la possibilité de plus en plus offerte à chacun d’exprimer ses potentialités, bref, sa liberté. L’équilibre des comptes et le Pib suivront.

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