Ces pays déstabilisés par l'accueil des exilés russes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Une femme détient un passeport russe alors qu'elle attend son évacuation à Donetsk le 19 février 2022.
Une femme détient un passeport russe alors qu'elle attend son évacuation à Donetsk le 19 février 2022.
©AFP

Exode

Avec la guerre en Ukraine, de nombreux Russes ont fui leur pays. Dans le cadre de cet exode, la plupart des Russes sont partis en Géorgie, en Arménie, au Kazakhstan ou en Serbie.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

Voir la bio »

Atlantico : De nombreux Russes ont fui leur pays à la suite de la guerre en Ukraine. Que sait-on de cet exode ? Quels sont les principaux pays de destination de ces Russes ?

Michael Lambert : Suite à l'annonce de la mobilisation partielle pour aller au front en Ukraine le 21 septembre 2022, entre 300 000 et 700 000 russes ont décidé de quitter la Russie. Ce choix est traumatisant, car elles et ils y laissent parfois leur famille, leur travail, leur logement, en quelque sorte toute leur vie du jour au lendemain. Contrairement aux citoyens ukrainiens, souvent mieux accueillis, les Russes ne reçoivent aucun soutien de la part de leur gouvernement, qui les dénigre, et reçoivent bien souvent un accueil défavorable dans les pays où ils parviennent. Les liaisons aériennes avec la Russie étant désormais réduites et le visa souvent exigé et refusé, les citoyens russes prennent principalement la route des pays où le visa n'est pas exigé et où ils peuvent voyager par voie terrestre : Géorgie, Arménie (via la Géorgie), Kazakhstan, Mongolie et Finlande. Toutefois, de nombreux Russes sont parvenus à se rendre dans des destinations plus lointaines, telles que la Serbie. L'Argentine a également été une destination privilégiée par les femmes russes, avec plus de 5 000 femmes enceintes qui s'y sont rendues en raison du système de santé plus adapté. La liste des pays est exhaustive, on pourrait y ajouter la Turquie et Israël, trajet souvent effectué par avion.  

En Géorgie, pays de 3,7 millions d'habitants connu pour son fort ressentiment à l'égard des Russes depuis les guerres avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud (1992 et 2008), quelque 200 000 Russes ont transité par le territoire, entraînant une flambée des prix de l'immobilier dans la capitale, Tbilissi. La Géorgie est une destination privilégiée car il n'est pas nécessaire d'obtenir un visa et une grande partie des habitants maîtrisent le russe. De plus, ce pays offre des opportunités à long terme pour les ressortissants russes qui souhaitent reconstruire leur vie avec des industries sous-exploitées telles que la viticulture, le thé (4ème producteur mondial avant la chute de l'URSS), les services informatiques et le tourisme. Cependant, la situation reste précaire pour ces nouveaux arrivants qui sont souvent stigmatisés et ont des difficultés à s'adapter aux coutumes plus conservatrices des Géorgiens. Un autre avantage de la Géorgie est que les citoyens russes peuvent se rendre en Turquie ou en Arménie si le conflit venait à se propager.

Au Kazakhstan, le nombre de Russes venus s'installer dans ce pays de 19 millions d'habitants s'élève à plus de 150 000. Contrairement à la Géorgie, le Kazakhstan dispose d'une économie forte grâce à ses vastes ressources en uranium et en hydrocarbures, et d'un secteur informatique plus développé, ce qui permet aux Russes de trouver des emplois plus spécialisés qu'en Géorgie. En outre, des villes comme Almaty ont un niveau de vie proche de celui des capitales occidentales. Le Kazakhstan est une destination populaire en raison de son cadre de vie, de sa proximité avec la Chine, qui offre de futures opportunités commerciales, et du fait que la majorité de ses habitants parlent russe.

La Serbie est une autre destination qui compte plus de 105 000 citoyens russes ayant déposé une demande de résidence. La Serbie est plus éloignée du conflit, les citoyens utilisent l'alphabet cyrillique et partagent la même religion, ce qui en fait également une destination de choix aux portes de l'Union européenne.

Ces trois pays sont les plus emblématiques, mais tout est finalement une question d'opportunité. A cet égard, il ne faut pas oublier que plusieurs milliers de dissidents russes, avant même le début du conflit, vivaient à l'étranger, notamment à Berlin.

Pourquoi des pays comme la Géorgie et l'Arménie sont-ils des destinations si populaires pour les Russes ?

Pour la Géorgie, la proximité terrestre, la culture orthodoxe et la possibilité de se rendre en Arménie, en Turquie et en Azerbaïdjan en cas d'extension du conflit sont des paramètres à prendre en compte.

La Géorgie est également une destination de premier choix pour patienter avant de retourner en Russie, ou pour s'installer et développer une activité. Ce pays est le berceau du vin, dispose de ressources sous-exploitées comme l'industrie du thé, d'une faible fiscalité sur les entreprises, et est un hub technologique notamment pour les crypto-monnaies, ce qui explique son attractivité pour les Russes qui y voyagent et qui ont des regards différents sur l'évolution du conflit. Enfin, la Géorgie est proche du camp occidental et souhaite s'intégrer à l'OTAN et à l'Union européenne, le risque d'extradition est donc réduit.

L'Arménie est également un pays d'accueil, mais plus risqué car Erevan est proche de Moscou en tant que membre de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Les habitants parlent russe, mais les risques d'extradition y sont plus conséquents et l'économie peine à se redresser depuis la chute de l'URSS. Ainsi, à peine 50 000 Russes se sont installés en Arménie.

Comment cette arrivée est-elle perçue par la population locale ? Ces pays sont-ils en mesure d'accueillir ces flux ?

Les avis sont divergents. Certains pays ne voient pas d'un bon œil l'arrivée de citoyens russes, notamment la Géorgie et la Finlande. En revanche, ils sont les bienvenus en Serbie, au Kazakhstan et en Arménie.

De tous ces pays, le Kazakhstan est de loin le plus prometteur et le plus à même d'accueillir les Russes et de leur offrir des perspectives d'avenir appréciables. La Géorgie a des moyens plus modestes et l'immobilier reste le plus problématique car Tbilissi est divisée entre des appartements neufs et haut de gamme et des logements souvent plus vétustes. En définitive, tout dépend des moyens dont disposent les citoyens russes. Pour un citoyen russe ayant la capacité financière, la Finlande, la Turquie et Israël sont les pays à privilégier, pour ceux qui ont des revenus moins modestes, l'Arménie et la Géorgie semblent autrement plus appropriées.

Dans quelle mesure cet exode a-t-il remodelé des villes comme Tbilissi ou Erevan ? Quelles sont les conséquences de cette arrivée massive pour l'économie locale ?

Erevan n'a pas connu de changements majeurs, mais Tbilissi a été durement touchée par l'exode. A Tbilissi, les prix des loyers ont augmenté de 210% en un an. Il y a également un nombre croissant d'entreprises et d'indépendants travaillant dans le secteur des technologies de l'information. Des projets immobiliers d'avant-garde déjà pris par des investisseurs internationaux, comme le Old City Panorama, sont désormais proposés à plus de 2 000 euros par mètre carré, ce qui est inaccessible pour la majorité des Géorgiens. 

Pour l'économie locale, la présence des Russes est naturellement une aubaine. En effet, les Russes stimulent les économies locales et sont de bons consommateurs, des investisseurs, et souvent avec un bon niveau d'éducation. Ainsi, plus de 50 000 Russes travaillant dans l'industrie des technologies de l'information ont déserté la Russie. Ils auront un impact positif sur le développement des pays où ils résident, si ces derniers sont prêts à les intégrer et à adopter une législation du travail flexible.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !