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Ces nouvelles formes de harcèlement qui se sont installées en même temps que le télétravail
©LOIC VENANCE / AFP

Effets néfastes du confinement

Lors de la période du confinement, le télétravail aurait dû permettre aux employés de se libérer des comportements toxiques de certains de leurs collègues. La communication virtuelle a-t-elle encouragé les harceleurs lors de la généralisation du télétravail ?

Sabine Grégoire

Sabine Grégoire

Sabine Grégoire est psychologue du travail et coache professionnelle certifiée, spécialisée dans la prévention et la prise en charge du trauma psychique au travail, intervient sur le terrain en situations dégradées et de crise ainsi qu'en prévention pour le secteur privé et la fonction publique d'état et territoriale. Fondatrice des cabinets Sirius Rh et Sirius Trauma, elle intervient aussi en médecine préventive.

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Atlantico.fr :  Le travail à domicile aurait dû libérer les employés des comportements toxiques de certains de leurs collègues, et pourtant, ceux-ci ont continué à la maison. Avez-vous constaté une hausse des victimes de harcèlement à domicile ? Est-ce un sujet abordé plus fréquemment ces dernières semaines ? 

Sabine Grégoire : Si dans certains cas, les comportements ont perduré pendant le confinement, d’autres situations se sont apaisées et les agissements se sont atténués.

Ce sujet est fréquemment abordé dans mes consultations, et pour cause, compte tenu de mon activité.

Chaque situation de harcèlement présumé est singulière et s’inscrit dans un contexte particulier, il est donc difficile de généraliser. Toutefois, les nombreux suivis que j’ai pu assumer pendant cette période tourmentée de télétravail imposée me permettent de constater deux principaux cas de figure:

- le soulagement de la part de victimes subissant, de fait, bien moins, voir plus du tout, d’agissements délétères de la part de celui-celle déclaré-e comme harceleur-se, 
- l’effondrement des victimes qui se sont trouvées encore plus harcelées, d’autant qu’elles n’avaient plus les « remparts » ou protections que peuvent parfois apporter le groupe, le lieu de travail, l'environnement professionnel.

Tout dépend de la personnalité du dit harceleur ainsi que des contextes, tant professionnel que personnel, ceux-ci pouvant jouer comme facteurs de risques ou comme facteurs de protections, accentuant ou tempérant les impacts des agissements.

Quels sont les éléments qui ont selon vous encouragés ces profils à poursuivre leur harcèlement ? Pensez-vous que la communication virtuelle (favorisant de toute évidence l'anonymat) à encourager ces harceleurs ?

Une forme assez spécifique a pu être plus souvent rapportée ; celle du harcèlement descendant d’un manager déstabilisé et insécurisé par une situation inédite, alors même qu’il n’avait déjà pas initialement les prédispositions et compétences pour assumer ses responsabilités. Celui-ci a pu alors développer des comportements d’hyper-contrôle sur ses équipes et d’hyper-exigence en matière de rendus, de présence visio, de réactivité... Cela renvoie à sa propre insécurité et le harcèlement n’est alors pas systématiquement intentionnel (ce qui ne retire rien à sa caractéristique). Cette situation est toujours à replacer dans son contexte global : ce manager reçoit-il lui-même cette pression de la part de sa hiérarchie ? A-t-il été lui-même sécurisé par sa propre hiérarchie dans ce contexte d’incertitudes ?

Le harceleur présumé avait-il auparavant des agissements dont il ne mesurait pas l’impact sur sa victime ? Alors il pourra prendre conscience, par le recul relationnel imposé, de ses propres dysfonctionnements et ainsi réajuster son comportement.

Un autre cas de figure est celui du harceleur atteint d’un trouble pathologique de la personnalité. Dans ce cas, il n’aura pas suffisamment de discernement pour analyser la situation et trouvera tous les moyens et canaux pour poursuivre ses agissements.

J’ai pu constater à quel point ceux-ci ont pu être, en quelque sorte, « débridés » dans leurs agissements, profitant de l’absence de témoins directs, pour décupler leur emprise sur leur victime, elle-même parfois fragilisée par son isolement.

Les mails, téléphones, réseaux sociaux peuvent être utilisés à des fins d’une violence extrême, consciemment, intentionnellement ou non. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas plus de prise physique sur sa victime qu’il n’y a plus d’emprise ! L’emprise psychologique est l’illustration d’une dynamique qui peut s’exerce, rappelons le, sous plusieurs forme : descendante (d’un hiérarchique sur son subordonné), ascendante (l’inverse), transversal (entre pairs) mais aussi d’un collectif envers un individu (bouc émissaire). Que ce soit via les mails, le téléphone ou encore les groupes de discussions type whatsapp, j’ai pu constater à quel point les agissements qualifiables perduraient. De même que la visio, type skype, teams (…) ; les personnes surveillées, contrôlées par leurs collègues ou leur chef, dont celui qui vous appelle systématiquement lorsqu’il vous voit en rouge ou en orange, pour vous demander avec qui vous êtes ou pourquoi vous n’êtes pas disponible.

Ce qui a aussi pu jouer est le phénomène de complicité latente très souvent observé sur le terrain : les collègues ne disent rien et ne réagissent pas alors même qu’ils voient bien la dynamique d’emprise, de focalisation et de destruction. Les groupes de communication informels qui se sont spontanément créées, excluant par principe même les personnes malveillantes, ont souvent permis de sortir de cette complicité pour enfin oser se positionner comme soutien pour les victimes. Ceci a alors permis une sorte de régulation de la situation.

Le confinement et le télétravail n’ont pas apporté de répit pour certaines victimes de harcèlement sexuel, leur harceleur s’étant cru tout permis par la distanciation, inondant alors sa victime de messages sous toutes ces formes. D’autres ont cessé leurs agissements, trop frustrés du manque d’interaction physique. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne recommenceront pas. Notons, là encore, que les cas réellement pathologiques ne discernent pas les contextes et poursuivent leurs agissements sans retenue. 

Notons l’importance de la contextualisation car, en dehors des profils particulièrement toxiques et pervers (rares, mais d’ailleurs, se sont-ils recrutés tout seuls ?...), il y a souvent un ensemble de facteurs déclenchant des agissements délétères tels une forte pression, des incohérences organisationnelles, un climat d’injonctions paradoxales, mais aussi des effets anxiogènes de la crise en tant que telle, exacerbant certaines réactions et comportements.

L’organisation peut alors éviter ces agissements en sécurisant l’ensemble de sa force salariale par des consignes et mesures claires, par des plans d’action permettant la projection collective, par la mise en place d’espace de débriefing…

Aujourd’hui et les mois à venir sont des moments importants, cruciaux. Repérons les signaux faibles, les décompensations, les arrêts maladies ou des comportements d’évitements comme autant de symptômes potentiels de harcèlement, à décrypter absolument. Une personne fragilisée demandera peut être à passer en télétravail à temps plein, non par choix, mais par instinct de survie.

Que conseillez-vous à un employé victime de harcèlement sexuel, moral ou racial ? 

Tout d’abord, de ne surtout pas rester seul ! Il peut trouver des espaces d’écoute neutre et bienveillante : chez son médecin traitant, auprès du service de santé au travail (médecin de prévention, psychologue du travail, infirmier). Ce premier échange permet de « poser les choses » (faits et ressentis) et d’être accompagné dans une démarche de compréhension de ce qui se joue. Sans compréhension, sans décryptage, le faire face et la reconstruction seront complexes. Lui conseiller de garder toutes les preuves des agissements et propos : mails, messages, témoignages… Ensuite, évoquer les différentes possibilités : alerter les RH, alerter sa hiérarchie, alerter les référents harcèlement du CSE (qui sont formés à cette première écoute et à l’orientation), saisir l’inspection du travail, les syndicats, porter plainte, consulter un avocat spécialisé, contacter les associations d’aides aux victimes… Dès lors que l’employé ou le cadre alerte, son employeur a pour obligation de réagir. La victime peut également exercer son droit de retrait, dès lors qu’elle estime être face à un danger grave et imminent. 

Il est essentiel de ne pas brusquer la victime, de la sécuriser, sans lui cacher les effets que peuvent entrainer des démarches loin d’être anodines sur le plan psychologique. En effet, une enquête peut, par exemple, en fonction de la façon dont elle est menée, être parfois plus délétère que salvatrice. Il faut s’assurer que la personne a les soutiens sociaux et les ressources psychiques pour gérer une telle épreuve. Sécuriser la victime présumée comme le harceleur présumé est un devoir déontologique pour nous, professionnels de la santé au travail. Parfois, il sera plus judicieux de travailler à un changement volontaire (et non subi), de poste, d’organisation, d’orientation.

Quoiqu’il en soit, l’essentiel est de rester très vigilant quant à la santé de tous les protagonistes, ainsi que de celles des victimes collatérales. Enfin, je précise que je fais très attention aux mots que j'emploie, tant que je n’ai pas tous les éléments.

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