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Certains indicateurs économiques sont particulièrement inquiétants.
Certains indicateurs économiques sont particulièrement inquiétants.
©JOEL SAGET AFP

Tempête à l'horizon

Certains indicateurs économiques laissent présager de nouvelles difficultés, notamment pour les entreprises, à l'horizon 2024. La hausse des taux et la politique monétaire de la BCE ne vont pas permettre d'éviter d'entrer dans la zone de turbulences.

Anthony Morlet-Lavidalie

Anthony Morlet-Lavidalie

Anthony Morlet-Lavidalie est économiste chez Rexecode et BSI Economics. Au sein du pôle Conjoncture de Rexecode, il assure le suivi conjoncturel et les prévisions pour les pays émergents.

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Atlantico : Quels sont les principaux indicateurs (sur le plan économique) qui relèvent l’ampleur de la crise économique qui vient ? 

Anthony Morlet-Lavidalie : Il est peut-être un peu fort et prématuré de parler de crise économique à venir. Il me semble que l’histoire récente nous montre que les économistes doivent faire preuve de prudence et de modestie. Plus que de prédire une potentielle récession, l’enjeu pour les économistes est surtout de poser les bons diagnostics afin d’éclairer la prise de décision, notamment en matière de politiques économiques.

Il faut se rappeler que la majorité des économistes prévoyaient l’an passé une récession Outre-Atlantique, et non seulement cette dernière ne s’est pas matérialisée, mais le risque s’est même déplacé sur la zone euro. Par ailleurs, le terme récession est communément employé lorsqu’il remplit les conditions de sa définition technique à savoir un recul du PIB sur deux trimestres consécutifs. Mais lorsque le PIB est en parfaite stagnation (ce que nous connaissons depuis le début de l’année en zone euro), c’est une forme de récession silencieuse. À chaque trimestre de croissance nulle, le PIB de la zone euro s’éloigne un peu plus de sa trajectoire tendancielle, et décroche vis-à-vis d’autres grands pays comme les Etats-Unis. L’activité est déjà sinistrée en réalité.

Est-ce que cela pourrait s’accentuer ? Très vraisemblablement. 

De ce point de vue, le climat des affaires tel qu’apprécié par les directeurs d’achat (PMI) est éloquent. En se fixant à 46,5, le PMI composite atteint des niveaux compatibles avec une contraction de l’activité. D’autant que sa détérioration initiale était principalement du fait d’une contraction de l’activité dans l’industrie. Désormais, les services décrochent également. Un autre point peu encourageant, c’est la nouvelle dégradation du solde relatif à l’emploi qui entre pour la première fois depuis les confinements sanitaires du début d’année 2021 en contraction. La tenue spectaculaire du marché du travail, qui avait là encore surpris les prévisionnistes, donne clairement des signaux de refroidissement mettant fin à une situation paradoxale de créations d’emplois sans activité économique en contrepartie.

Dans les facteurs pouvant contribuer à la détérioration de l’activité, il sera essentiel de surveiller l’évolution des dépenses réalisées par les entreprises. En France, par exemple, la résilience de la croissance en 2023 est quasi-exclusivement due à la bonne tenue de l’investissement des entreprises. Ceci pourrait cesser en 2024, c’est en tout cas ce que suggère l’enquête trimestrielle sur le crédit bancaire dans la zone euro réalisée par le Banque centrale européenne auprès des établissements de crédits. La demande de crédit des grandes entreprises s’est puissamment contractée avec un solde à -36%, soit un niveau équivalent à celui atteint au plus bas de la grande crise financière de 2008 (-37% au quatrième trimestre 2008). La traduction de ces résultats est déjà palpable dans les données dures de distribution de crédits. Exprimé en termes réels, l’encours des crédits accordé aux entreprises non financières en zone euro est en contraction de -5,1 % sur un an au mois d’août. Bien que moins touchée, cela est aussi valable pour la France (contraction de -1,5 % sur un an).

La France est-elle suffisamment armée par rapport à ses voisins européens sur ces enjeux ?

À court terme, la France semble un peu mieux résister que ces partenaires européens, notamment que l’Allemagne. Quand bien même l’Hexagone connaîtrait une croissance légèrement supérieure à celle de la zone euro en 2024, les signaux restent orientés à la baisse. La dernière enquête mensuelle de l’Insee reflète bien le ralentissement à l’œuvre dans tous les secteurs. L’industrie et la construction sont particulièrement à risque car si ces secteurs parvenaient à maintenir un niveau d’activité décent en puisant dans leur stock de carnets de commandes, ce dernier s’épuise. Et dans un contexte de ralentissement du commerce mondial, la demande adressée à la France demeure faible, ne générant pas un afflux suffisamment important de nouvelles commandes pour alimenter la production. C’est en quelque sorte le double effet Kiss Cool. 

Par ailleurs, les effets retardés de la politique monétaire se font pleinement sentir. Tous les agents sont concernés. Les administrations publiques sont pénalisées par la hausse sensible des taux longs qui alourdit les charges d’intérêts sur la dette publique. Ces intérêts versés devraient coûter annuellement 41 milliards d’euros en 2023 pour les finances publiques. Ce montant s’élèverait à 52,2 milliards en 2024 et vraisemblablement au-delà de 70 milliards d’ici 2027. Du côté des entreprises comme des ménages, la hausse des coûts d’emprunt pèse sur la demande de crédit. D’autant que les conditions d’octroi de crédits se durcissent et les banques se montrent de plus en plus sélectives sur la distribution de prêts.

Il est toutefois important de noter que les réformes structurelles menées par la France ont des effets positifs sur la croissance de moyen terme (croissance potentielle). La plus puissante d’entre elle étant la réforme des retraites qui va permettre d’accroître significativement la population active. L’Insee a considérablement revu à la hausse ses projections de population active dans son exercice 2023 publié le 29 juin dernier par rapport à celui de l’an passé : « le nombre d’actifs serait rehaussé de 800 000 [..] principalement du fait de la réforme des retraites ».

Tous ces signaux sont-ils annonciateurs d’une difficulté prolongée sur le pouvoir d’achat des ménages et sur la santé des entreprises en France et en Europe ?

Il est bon de garder en tête que dans de nombreux pays, le pouvoir d’achat de revenu disponible a été relativement préservé par les dispositifs d’aides publiques. En France, par exemple, le pouvoir d'achat des ménages va augmenter d’environ 1,2 % en 2023. L’interrogation porte davantage sur les salaires. Car les salaires réels, eux, ont bien reculé au cours des deux dernières années. Il semble assez clair que la dynamique des salaires est en train de rejoindre celle de la hausse des prix. L’addition de revalorisations salariales importantes en 2024 et du reflux tendanciel de l’inflation devrait permettre aux salaires réels de retrouver le chemin de la croissance en 2024.

La santé des entreprises en revanche pourrait sérieusement se détériorer. L’espace qu’elles avaient pour augmenter leur prix de vente en répercussion à la hausse de leur coût de production est en train de se refermer du fait de l’érosion de la demande. Et les coûts de financements, qu’ils soient bancaires ou par émissions obligataires, sont désormais bien plus élevés et devraient le rester. 

Finalement l’année 2024 devrait être à front renversé de 2023, avec une situation des ménages qui s’améliore légèrement alors que celle des entreprises se dégraderait significativement.

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