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Pas le même passé colonial, pas les mêmes choix sur l'immigration... mais le même terrorisme en Belgique qu'en France : ce que les attentats de Bruxelles nous apprennent sur l'islam radical et son rapport à l'Europe
©REUTERS / Dado Ruvic

Introspection

Bruxelles a été frappée par deux attentats, le 22 mars au matin. Les derniers décomptes font état de 250 blessés et plus d'une trentaine de morts. L'opération, revendiquée par l'Etat Islamique, témoigne du rapport de l'Europe à l'islamisme radical : plus que le passé colonial ou le rapport à l'immigration, c'est bien le corpus théologique islamique qui est à mettre en cause.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Ce mardi 22 mars au matin, Bruxelles a été frappée par deux attentats, d'abord à l'aéroport de Zaventem, puis dans son métro. Que peut-on apprendre, concrètement, de ces nouveaux attentats ? Que disent-ils de nous, de l'Europe, mais aussi de l'Islam en tant que corpus théologique à proprement parler ?

Alexandre del Valle : Ce que ces nouveaux attentats disent de nous ou de l'Europe, c'est que cette dernière est considérée par beaucoup de pays tiers comme une passoire et une "zone molle", une aire de non-souveraineté et d’impuissance volontaire ouverte à tous les vents et incapable de défendre ses frontières et ses valeurs, identités et règles. Certes, ce n'est pas totalement le cas, mais cela traduit également le fiasco de Schengen et du modèle européen multicultiuraliste. Si cet espace est peut-être une bonne chose, à l'origine, il permet dorénavant à n'importe qui de profiter des pays les plus accessibles et laxistes comme la Grèce, pour pénétrer les autres pays membres de l'espace Schengen . C'est vrai également pour les zones les plus compliquées à gérer parmi lesquelles on trouve notamment les Balkans, mais aussi Gibraltar, les îles siciliennes, etc. Et une fois que ce n'importe qui gagne l'Union Européenne, pour peu qu'un Etat – parce qu'il est laxiste ou manque de moyens – n'ait pas géré correctement ses frontières ; tous les autres Etats sont contraints de laisser faire et de subir la libre circulation. C'est ce que prévoit Schengen, sauf exception. Ce modèle a donc d'ores et déjà duré. Il est périmé. Il est plus que temps de rétablir une certaine forme de contrôle aux frontières, d'envisager sérieusement un retour à la souveraineté sur nos frontières intérieures et extérieures européennes que nous ne pouvons confier à la surveillance d’autres Etats dépourvus de moyens. Nous devons faire évoluer le système ou le remplacer.

Très clairement, ces attentats disent également que l'Europe n'est pas épargnée, à l'instar du monde arabo-musulman, par la guerre totale qui oppose aujourd’hui au moins deux Islam. Cette guerre terrible oppose en effet non pas l'Islam et l'Occident, mais bel et bien un Islam apaisé ou réformable, de plus en plus minoritaire et discrédité comme "pro-occidental" ou "impie", à un Islam ultra-orthodoxe sunnite de plus en plus hégémonique et totalitaire. Ce dernier, il y a encore un demi-siècle, n'avait que peu de prise sur les immigrés européens et même l’ensemble du monde musulman encore éloigné des doctrines salafistes venues d’Arabie saoudite et du wahhabisme-hanbalisme. Depuis une vingtaine d'années, néanmoins, il en a de plus en plus d’influence sur une minorité active hégémonique qui fait plier les responsables politiques et religieux de nombreux pays musulmans à coups d’orthodoxie sunnite et de pétri-dollars et de prédicateurs cathodiques. C'est quelque chose que l'on constate dans presque la plupart des pays musulmans, certes, mais aussi chez nous, dans nos "banlieues de l’islam" parfois à la dérive et abandonnés par les Etats d’accueil au contrôle des fascistes verts chargés de "pacifier" les cités.... Ce phénomène doit nous inquiéter d'autant plus qu'il ne se caractérise pas uniquement par un terrorisme violent : le terrorisme peut également être psychologique, moral, etc. Or les pressions croissantes exercées depuis des décennies par les Etats et organisations islamistes radicaux sur des citoyens européens de confession musulmane existent : ces musulmans d'Europe sont de plus en plus suspects et montrés du doigt s’ils ne pratiquent pas l'Islam "pur". Les salafistes, qui se présentent comme les "vrais musulmans" et ont conquis les coeurs et les réseaux sociaux depuis une dizaine d’années dans de nombreuses zones, soupçonnent les autres musulmans d'être des "mauvais musulmans", de ne pas pratiquer le "bon Islam, pur", celui des "ancêtres" ou "prédécesseurs" (As-Salaf) ou "salafistes" que l’on devrait imiter parcequ’ils furent les premiers musulmans "purs". C'est un phénomène que nous avons d'ores et déjà constaté ces 20 à 30 dernières années, dans les pays arabo-musulmans.

Cet Islam rigoriste, salafiste, qui donne des leçons aux autres formes de la religion, arrive d'Arabie Saoudite et aussi d’Egypte où il a prospéré parallèlement aux Frères musulmans qui ont des visions voisines et se réfèrent aussi à la "salafiyya". Aujourd'hui, cet islam totalitaire et ultra-passéiste et littéraliste sévit également chez nous et souligne clairement que la mondialisation n'apporte pas que la paix et le melting pot, mais aussi le fanatisme sans frontières. La mondialisation, ça n'est en effet pas seulement la communication planétaire et le rapprochement des hommes, mais c’est également la "mondialisation des problèmes et des ressentiments et des violences…" Une société multiculturelle, il ne faut pas l'oublier, si elle n’est pas vigilente et sélective devient vite une "société multi-conflictuelle". Ceux qui ont cru que le multiculturalisme était un présage de paix sont comparables à ceux qui croient qu'une société ne peut faire que du bien. Croire que le multiculturalisme ne débouche que sur le meilleur, c'est se fourvoyer, en cela qu'il s'agit de quelque chose de neutre – au même titre qu'une société ou que l'immigration – qui peut faire du bien comme du mal. Ces nouveaux attentats sont un démenti de la "mondialisation heureuse" telle qu'elle a été pensée, de manière idéologique par les adeptes du mondialisme. Or, la mondialisation ce n'est pas le mondialisme heureux mais la mise en concurrence et en contact de blocs géo-civilisationnels et géo-économiques concurrents, voire ennemis.

Quant à ce que ces attentats disent de l'Islam en tant que corpus théologique – et c'est là que la question est vraiment pertinente – c'est bien que si l'Islam en tant que foi privée n'est pas le problème, l’islam en tant que système charismatique politisé-hégémonique constitue un défi inouï pour les autres sociétés en contact avec son système théocratique. il est clair que tout homme est libre de croire en ce qu'il souhaite, et l’islam en fait partie au même type que d’autres croyances. Mais le problème vient du corpus de l’Islam sunnite orthodoxe, un corpus figé qui n'a jamais été rectifié, amendé, ou réformé depuis les X-XIème siècles et la fixation des "portes de l’Ijtihad" ou interprétation. Certes, entre le début du déclin de l’empire ottoman et le début du XXème siècle, le monde musulman ne s’est pas radicalisé et a même connu des périodes de Lumières et de laïcisation, notamment au contact de le pensée occidentale mais pas seulement. Hélas, depuis la fin de la seconde guerre mondiale et la décolonisation, les Frères musulmans – d'une part – et les salafistes appuyés par les pétromonarchies du Golfe – de l'autre – ont repris le contrôle de cet Islam orthodoxe et ont déclaré avec succès presque universel (sauf en pays communistes) la guerre à l’islam local fait de superstitions et de syncrétisme au profit d’une conception politique et ultra-littéraliste et théocratique, principalement en milieu sunnite mais aussi en Iran et dans certains courants chiites-duodécimains. Or, cet islam théocratique alimenté par la haine des idées occidentales dont la laïcité, considérées comme des formes de "néocolonialisme idéologique" n’est pas surgi de nulle part et bénéficie d’une forte légitimité puisque dans son combat contre le "mauvais islam", il se réfère à un corpus théologique sunnite qui a été figé entre le Xè et le XIè siècle. Ceux qui donnent le ton, aujourd'hui, sont donc ceux qui restent hélas les plus fidèles à ce Corpus officiel qu’il serait urgent et salutaire de réformer ou invalider.

Les progressistes, les réformistes et les modérés sont donc vus comme des "hérétiques" voire des "mécréants" tandis que les extrémistes peuvent se prévaloir de ce corpus officiel, composé du Coran et des Hadiths de la Sunna (le tout inspirant la loi Islamique), figée depuis le XIè siècle et jamais réformée depuis. C'est bien là le fond du problème ! Cet Islam est bloqué – ce sont les musulmans eux-mêmes qui le disent, comme notamment Fereydoun Oveyda, Abdelwahhab Medeb , Abd al-Razeq ou tant d’autres progressistes. Et tant que cela sera ainsi, comment dire quoique ce soit à des musulmans extrémistes ; qui vantent l'intolérance, l'infériorité de la femme, l'interdiction de la mécréance, le culte du djihad ? Ce corpus est enseigné dans les grandes universités islamiques du Golfe, du Pakistan et même d’Al-Azhar en Egypte, université de référence mondiale du sunnisme ! S'il n'est pas toujours appliqué, il reste enseigné dans l'ensemble du monde musulman (exception faite des anciens pays communistes turcophones et de l'Albanie) apprenant les grandes inégalités, prévoyant la nécessité du djihad pour étendre la religion, les châtiments corporels… C'est là qu'est le problème : on ne peut pas combattre un terrorisme qui s'appuie sur une orthodoxie.

Philippe d'Iribarne : Il est tentant de dire simplement : "rien de nouveau sous le soleil". A l’heure qu’il est, ces attentats paraissent constituer un élément quelconque d’une longue suite qui est promise à durer. Si l’on s’interroge à leur propos, c’est que l’on n’a toujours pas répondu aux interrogations suscitées par les attentats précédents. Et l’on n’en n’a pas fini de débattre sur ce qu’ils nous disent de l’islam, avec la difficulté à trouver une voie raisonnable entre d’un côté des formes d’amalgame qui méconnaissent la diversité des islams et de l’autre un désir d’innocenter l’islam qui incite à affirmer que le terrorisme n’a "rien à voir avec l’islam", lequel serait "une religion de paix". On peut noter à cet égard l’opposition persistante entre Manuel Valls qui parle avec constance du "terrorisme islamique" et François Hollande qui, dans les propos tenus en réaction à ces derniers attentats, a une fois de plus parlé de "terrorisme" en général en évitant soigneusement le qualificatif "islamique". Il y a en fait dans l’islam des courants théologiques très divers. Le grand projet qui est au cœur de l’islam est-il de transformer le monde en menant des guerres de conquête permettant de le soumettre, poursuivant ainsi le mouvement fondateur mené sous la houlette des premiers califes ? Ou est-il plutôt de faire accéder les musulmans à une expérience spirituelle, telle celle que les soufis évoquent ? L’une et l’autre tendance ne manquent pas d’arguments pour affirmer qu’elles représentent le "vrai islam".

Guylain Chevrier : Ils montrent tout d’abord que nous nous n’avons pas affaire qu’à une menace terroriste, alors que l’on continue de comparer le terrorisme islamique avec celui de l’extrême gauche des années 70, mais bien à un terrorisme de guerre, une guerre totale livrée à la démocratie et aux valeurs de liberté. C’est l’établissement d’un Etat islamique qui en a été à l’origine, et donc bien un Etat qui fait la guerre au monde, sous toutes les formes, au cœur du monde arabe et à la fois dans le monde entier. Il y a sans doute là une nouvelle prise de conscience que la menace est réellement européenne et qu’elle vise l’Europe pour ce qu’elle est, pour ses valeurs, ce qu’elle représente comme modèle de droit, où peu ou prou, la religion n’est plus première dans l’ordre des valeurs, mais les droits de l’homme.  

On explique qu’il n’y a pas de solution à ce problème sans solution politique, en mettant sur orbite la résistance syrienne comme alternative au régime syrien, ce qui est une obsession américaine bien loin de la réalité. Une résistance qui n’a aucune unité, en dehors d’être contre Bachar El Assad pour prendre sa place, et aucune légitimité sur le terrain. On détourne en vérité la question, alors que c’est bien la Guerre sainte menée au nom d’une religion qui crée le problème, pas le régime syrien, même s’il n‘est pas pour rien dans cette situation. On cherche d’un autre coté la solution politique dans l’unité européenne autour de la lutte contre le terrorisme, mais sur quel fond ?, voilà bien la question ! Ce qui domine, c’est le déni du fait qu’il s’agit bien là d’une guerre menée au nom d’une religion, l’islam, ce vis-à-vis de quoi les musulmans qui sont établis dans les pays européens sont loin d’avoir pris toutes leurs distances. La Guerre sainte, l’appel à la suppression des mécréants, juifs et apostats, se trouvent bien dans le coran, sans que cela ait été dénoncé comme l’étant, pour condamner ces références (Sourates 4, 5…). Le Conseil français du culte musulman n’a jamais avancé la nécessité de remettre en question dans les références de l’islam, ce qu’y trouvent les intégristes et terroristes, pour justifier leurs actes. On nous propose des interprétations qui satisfont à créer l’illusion que cela serait une erreur de lecture, alors qu’il n’en n’est rien. Seuls Abdennour Bidar et Ghaleb Bencheikh ont porté cette critique en invitant à réformer ce culte, deux intellectuels musulmans de premier plan, mais rien du côté des représentants de l’islam en France ou en Europe.

C’est de ce côté qu’il faut reconsidérer la menace terroriste, de cette guerre qui nous est faite, en repartant de ses fondements théologiques, au lieu d’être dans le déni. On a vu encore sur France 2 au journal de 20h ce mardi 23 mars, sous la haute main d’un David Pujadas, réactiver plusieurs fois dans des reportages sur les attentats, l’idée que cela n’aurait rien à voir avec l’islam, ce qui est faux, car cela a tout à y voir. Les islamistes mettent bien en œuvre un projet que le coran sous-tend, Allah étant le seul dieu auquel tous doivent se soumettre, s’il on suit à la lettre le texte où le concept de jihad prend son sens. Tous les musulmans ne s’inscrivent pas dans cette lecture littérale, bien heureusement, mais cela fait bien partie de leur patrimoine, leurs références sacrées, ce qui, à ne pas être discuté sur la place publique, laisse dans l’ombre un litige, qui brouille bien des liens avec la République. D’ailleurs, pas seulement sur ce sujet, mais celui du voile que l’on trouve aussi dans le coran qui relaie une inégalité hommes-femmes très explicite (sourates 2 et 4) souvent déniée. Le rejet des valeurs occidentales par l’Etat islamique, a un écho inévitablement auprès d’une partie de nos concitoyens musulmans, parmi ceux les plus perméables, dont la tendance est à la séparation sous le signe de la montée des affirmations identitaires, où s’installe le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance dont une certaine généralisation du voile est un marqueur, avec une pratique de plus en plus rigoriste des pratiques. Déjouer le piège de l’amalgame entre musulmans et islamistes, passe avant tout, enfin, par nommer les choses

A l'inverse de la France, la Belgique a donné le droit de vote aux étrangers aux municipales. Elle a également joué la carte du multiculturalisme. Quel bilan peut être dressé à ce titre ? Faut-il y lire la faiblesse de nos démocraties, autant que l'échec d'un modèle multiculturaliste éculé ?

Alexandre del Valle : Je pense que la tolérance et la démocratie ne sont jamais responsables de ce genre d'événements en elles-mêmes. Sans quoi, cela reviendrait à donner raison à la dictature comme seule solution à l'islamisme. Or, nous savons qu'opposer islamisme et dictature ne mène, in fine, qu'aux situations de guerres civiles, comme on l’a vu avec les révolutions arabes. Il est donc selon moi primordial de sortir de ce dilemme, comme le disaient les révolutionnaires laïques au début de la révolution du jasmin en Tunisie.

En revanche, il est vrai que la "société ouverte" ne peut pas oublier qu'elle a des ennemis, comme le rappelait le philosophe Karl Popper. Certes, elle a raison de s'ouvrir, mais uniquement à ceux qui partagent cette ouverture ! Le problème n'est pas d'avoir été modéré, tolérant ou même d'avoir accueilli des gens. Le fond du problème, c'est bien d'avoir accepté l’inacceptable, d’avoir accueilli n'importe qui, et de ne pas avoir fixé de règles intangibles et non-négociables. Prenons l'exemple de Molenbeek ! Au nom de ce multiculturalisme qui sévissait en Hollande et en Belgique des années durant (le culte musulman y était financé même lorsqu'il était dirigé par des intégristes), la seule solution qu'a trouvé le précédent Bourgmestre de Molenbeek, c'était la construction de davantage de mosquées que partout à Bruxelles. Il a, en plus, soutenu et alimenté les réseaux de Frères Musulmans et des salafistes les plus ouvertement radicaux, contribuant à l'avènement des salafistes sur place… C'est là le multiculturalisme dévoyé, mené par des politiques irresponsables. Pour justifier leur trahison – envers les valeurs de la démocratie et leurs citoyens – ils ont fait le jeu d'un multiculturalisme dévoyé, ont mené la "pax islamica", en laissant progresser les barbus pour gagner des votes. C'est cet électoralisme, à très court terme que l'on paye aujourd'hui. On oublie trop souvent que la mission d'un homme politique, c'est avant tout de veiller à l'entente, la bonne gouvernance, la paix et la sécurité des citoyens. C'est là sa mission première, qui n'est pas de jouer aux apprentis sorciers multicuturels et inviter n'importe qui chez soi. Il doit assurer d’abord la sécurité et la survie même de la société dont il est en charge. La responsabilité de la plupart de nos politiques, en Europe, est de ce fait écrasante. 

Premièrement en raison de cet électoralisme, qui consistait fondamentalement à vendre ses propres valeurs et sa propre nation pour des votes et pour complaire aux lobbies tyranniques minoritaires mais relayés par les médias omnipuissants. Deuxièmement en raison d'un je-m'en-foutisme de nombre de politiciens de profession et de rentes qui ont pris le parti de ne pas écouter les services des renseignements et de préférer écouter les médias et lobbies cosmopolitiquement corrects. J'ai été témoin, dans les années 1990, des notes que nous rédigions au Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN). Nous expliquions comment les salafistes prédicateurs venus d’Egypte et d’Arabie saoudite contaminaient nos jeunes et en quoi il fallait les expulser et combattre leurs doctrine dans l’oeuf à l'époque avant qu’ils fassent des petits, car cela allait être bien plus compliqué ensuite, puisque ces prédicateurs du Golfe ont fait des "petits" parmi nos jeunes concitoyens. Nous écrivions ces notes entre 1995 1996 après la première vague d’attentats salafistes-sunnites de l’époque des réseaux Kelkal et GIA-GSPC algériens. En 2016, on commence tout juste à réaliser qu'il est primordial de faire un peu de ménage sécuritaire et idéologique, mais il est déjà très tard, on a perdu presque 30 ans de solutions et mesures de préventions efficaces bien plus difficiles à appliquer aujourd’hui.... Le débat sur la déchéance de nationalité est la preuve des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui à démanteler des réseaux idéologiques (qui fanatisent doctrinalement) que nous aurions pu défaire plus aisément hier. La responsabilité de nos politiques est écrasante. On ne devient pas terroriste en un jour : on est fanatisé auparavant. Ces réseaux de fanatisation, qui en amont sont des réseaux pré-terroristes, nous avons refusé d'agir dessus. Pour seule réponse, lors des réunions entre les renseignements et des politiques, on nous reprochait d'empêcher de tourner en rond, d’être trop "sécuritaires", trop "paranoïaques", pas assez "multicultruels"... On connaît les conséquences de ce refus de voir le danger en face et à la source.

Ce n'est donc pas tant l'échec du multiculturalisme en tant que tel, car une forme de multiculturalisme marche très bien dans des endroits comme l'Île de la Réunion ou Maurice, ou dans d’autres endroits, où différentes cultures et différents peuples cohabitent dans une relative tolérance mutuelle. Le multiculturalisme est donc possible. En revanche, il apporte son lot de problème s’il est non réfléchi et déséquilibré. Quand certains profitent des flux migratoires, du « droit à la différence »; de la la liberté d’expression et de la démocratie pour contester les valeurs mêmes libérales de la société qui les accueille, cela n'est qu’un pluralisme dévoyé en un multiculturalisme déséquilibré et déloyal. Cela ne date pas d'hier : c'est depuis les années 1980 que les fanatiques barbus ne cachent pas leur jeu et agissent en profitant de nos lois, en profitant de la démocratie pour répandre l'idée de la charia. C'est là le problème : le multiculturalisme est un échec en ce sens qu'il a été à sens unique. La tolérance à sens unique ne peut pas fonctionner, elle se fait au profit de gens qui prônent l'intolérance. Plus que de la naïveté, c'est de la complaisance de nos hommes politiques qui se sont certainement dit "après moi le déluge".

Philippe d'Iribarne : Il serait bien naïf de croire que, droit de vote ou pas, les islamistes porteurs du projet de conquête du monde peuvent se convertir en bons citoyens des sociétés démocratiques. De plus, augmenter le poids de l’électorat musulman peut favoriser des dérives du type de celle qui s’est produite à Molenbeek, alimentée par un clientélisme cherchant à capter l’électorat salafiste. Quand, au nom du multiculturalisme, on favorise la pérennité de pratiques à forte composante identitaire, dont le port de la "tenue islamique" (qu’il serait plus approprié d’appeler tenue salafiste), et, chez les hommes, une certaine résistance à l’autorité de femmes ou de non-musulmans, on favorise du même coup des réactions de rejet méfiant de la part de la population majoritaire. Ces réactions se manifestent en particulier dans le processus de recrutement des entreprises, comme on le voit quand on fait un testing sur CV (cf. récemment le testing réalisé par l’Institut Montaigne où étaient comparés les taux de réponse à des CV de candidats fictifs d’origine libanaise portant le même nom – Haddad - mais des prénoms différents : Michel avait quatre fois plus de chances d’avoir un entretien que Mohammed, les inquiétudes en matière de rapports à l’autorité paraissant jouer un rôle central dans cette différence). On favorise ainsi un processus cumulatif de rejet réciproque.

Guylain Chevrier : C'est l’aveu de Madame Merkel et de Monsieur Cameron, faisant chacun le constat de l’échec du multiculturalisme comme liant social, alors que les sociétés qu’ils dirigent sont formées de communautés séparées selon l’origine, la couleur ou la religion. Des sociétés absentes de mélange et ne partageant donc pas les mêmes valeurs, chacun se référant d’abord à sa communauté identitaire, dans une démarche communautariste et donc fermée aux autres. Un drôle d’idéal démocratique, mais surtout, un affaiblissement de la démocratie à travers ces divisions qui annihilent le sens commun de la citoyenneté, reléguée en dernière place dans l’ordre de l’identité. On rend là la démocratie d’autant plus vulnérable qu’on l’affaiblit, à céder à la logique de reconnaissance des différences lorsqu’il faudrait au contraire défendre la citoyenneté comme un bien commun au-dessus d’elles, qui nous rassemble pour faire société ensemble, avec fermeté. Le problème, c’est que la France s’est orientée dans cette fausse route depuis déjà quelques années, jusqu’à cet exemple flagrant d’un Jean-Marc Ayrault Premier ministre, annonçant en décembre 2013 la refonte de l‘intégration, sur le fond de cinq rapports proposant d’assumer la dimension « arabe-orientale » de la France, devant mener à l’abrogation de la loi du 15 décembre 2004 garantissant la laïcité dans l’école, jugée discriminatoire. C’était la volonté de s’engager dans la même voie que ces pays qui parlent d’échec du multiculturalisme, pour aller dans le sens d’une reconnaissance des différences faisant voler en éclat la devise de la République, liberté-égalité-fraternité. Il est tellement plus facile de diviser pour régner !  En réalité, c’est en laissant l’apparition des premiers voiles à l’école sans réponse, entre juin 1989 et la loi du 15 mars 2004 qui a réaffirmé l’interdiction des signes ostensibles religieux dans l’école publique, que l’on a créé les conditions de l’installation d’un rapport litigieux entre ce retour du religieux par l’islam et la France des Droits de l’homme. On a laissé penser qu’il était normal de faire passer se valeurs religieuses avant celles de la société, et mis en danger notre vivre-ensemble, avec une fragilisation que nous payons aujourd’hui à travers cette montée incessante des revendications communautaires. Selon le baromètre Randstadt/Observatoire du fait religieux en 2015, 50% des managers ont été confrontés au fait religieux : 19% pour absences dues à des fêtes, 17% (contre 10% en 2014) pour port ostentatoire de signes religieux et une forte croissance des problèmes liés aux rapports hommes/femmes. Jusqu’où irons-nous dans cette continuité avec l’Observatoire national de la laïcité qui n’observe rien, nourrissant ce déni ?

On se prépare des lendemains très difficiles car, comment les musulmans qui se communautarisent aujourd’hui vont réagir demain, si on laisse grandir un conflit de loyauté entre le coran, dont la signification sacrée est partagée avec tous les musulmans du monde, dont les terroristes qui prétendent en défendre le vrai sens, et la société occidentale où ils sont établis, où la religion est respectée mais seconde dans l’ordre des valeurs? N’y a –t-il pas déjà un déséquilibre créé entre ces deux termes par la logique de séparation et d’enfermement qui progresse ? N’oublions pas non plus le contexte socio-économique tendu marqué par une crise profonde, qui touche ces populations en situation de s’intégrer moins bien que les autres, tentées de se victimiser en déportant des causes sociales de leurs difficultés sur le versant des discriminations, potentialisant un risque d’embrasement qui n’a rien d’un cauchemar raciste, mais est au contraire recherché par l’Etat islamique à travers ces attentats, banalisant la violence au nom de la religion. Rappelons-nous la trainée de poudre des violences urbaines de novembre-décembre 2005 dans nos banlieues. Il existe un risque de basculement qui est particulièrement fort chez les jeunes les plus fragiles en quête identitaire, sensible à cette grille de lecture piégée, ressassée pour nourrir une rancœur vis-à-vis de la République au fondement de la radicalisation, relayée politiquement par l’extrême gauche et une partie de la gauche dite radicale. N’est-ce pas sous ce décryptage qu’il faut aussi chercher la facilité de recrutement des terroristes dans les sociétés européennes et particulièrement en France?

Le 25 mars 2015, Alain Juppé avait estimé au Grand Journal que le Coran était "compatible avec l'Europe", avant d'avouer devant Michel Onfray qu'il ne l'avait pas lu. Qu'en est-il concrètement ? Comment expliquer que ce problème concerne uniquement l'Islam et non les évangélistes africains, les Asiatiques ou les Latinos, dans le cadre des Etats-Unis ?

Alexandre del Valle : Contrairement à Nicolas Sarkozy, lequel a été très naïf à l'égard de l'Islam et des Frères Musulmans entre les années 2005 et 2010, mais qui s'est rendu de compte de son erreur dès 2010 et du vrai problème (comme le fait Valls aujourd'hui), Alain Juppé n'a jamais fait amende honorable. Il n'est jamais revenu sur son "islamiquement correct" très marqué et déséquilibré eu égard à son catholico-scepticisme parfois violent. Pourtant, le véritable anti-racisme, la véritable amitié à l'égard des musulmans, ce n'est pas de prétendre que leurs textes sont parfaits et qu’ils n’ont rien à remettre en questions! Quel homme progressiste dirait-il aux chrétiens, aux juifs, où à n'importe quels autres croyants qu'ils n'ont pas à remettre en cause les idées et les textes édictés par Dieu ? Il n'y a guère que des religieux pour tenir un tel discours. Les laïques, adeptes du multiculturalisme au sens laïque du terme, les vrais progressistes sont tous d'accord sur une chose : la religion peut avoir du bien mais doit finalement s'arrêter devant les impératifs politiques. Ne pas inciter des religieux à faire leur propre autocritique, comme on le fait avec l’islam orthodoxie réputé étranger au fanatisme contre toute évidence, c'est tout sauf les aider. La véritable islamophilie consisterait à dire aux musulmans que nous les respectons pour ce qu'ils sont, pour leur foi, qu'ils ont toute leur place dans les démocraties occidentales, qu'ils méritent des lieux de culte, des cimetières, etc., mais que leur vision de l'Islam doit correspondre à les valeurs de ces sociétés ouvertes et libres. Si dans l'Islam il est prévu la lapidation et le djihad, l’infériorité des femmes, les héritages inégaux et les châtiments corporels ou encore la polygamie et le mariage avec des filles à peine pubères, nos sociétés doivent clairement et fortement faire savoir aux associations de représentations de l’islam reconnues qu’elles doivent explicitement renoncer à ces aspects de la charria et renoncer à les enseigner et proférer. Or elles enseignent cela dans nos sociétés au vu et au su de tous, ce qui crée un terreau favorable au fanatisme ultérieur d’autres mouvements plus durs. Il y a des choses dans la charia qui sont relatives à la vie de tous les jours, concernent par exemple la prière. Ce genre d'éléments n'est absolument pas source de problème. En revanche, quand la charia a des dispositions de type totalitaire comme les violences, l'infériorité des femmes ou des infidèles, le Coran doit être questionné.

Alain Juppé se réfère vraisemblablement à quelques uns des passages les plus modérés du Coran. Malheureusement, il existe aussi des passages plus durs, ceux de Médine, qui correspondent à l'époque ou Mahomet est devenu chef de guerre et a passé les juifs par le fil de l'épée. Dire du Coran qu'il est un texte d'amour et totalement pacifique est faux : il y a les deux. A la fois des textes de paix ("méchouis"), mais aussi des textes qui appellent à la violence ("médinois"). Tout n'est donc pas à considérer comme un appel à la paix, puisque certains aspects sont purement et simplement des stratégies et des guides de guerre. Cela ne condamne pas les musulmans ni l’islam, car tout est contextualisable avec l’usage de la raison. Il faut donc juste pouvoir re-contextualiser ces passages. C'est pourquoi dire du texte qu'il est actuellement "intouchable", "incréé", comme l’enseigne l’orthodoxie sunnite, ce n'est pas rendre service aux musulmans modérés. C'est rendre service aux extrémistes qui s'appuient eux aussi sur le Coran "incréé" et divin pour légitimer le fait de tuer les "infidèles". C'est cette dimension, l'absence d'amende honorable sur le texte du Coran et le corpus chariatique, qui explique pourquoi l'Islam est la seule religion à poser de tels problèmes au niveau mondial.  Le problème n'est même plus tant le Coran, c'est davantage le corpus musulman orthodoxe qui prévoit que le Coran est parfait et divin par nature en tant que "miracle pur" et que les sourates médinoises violentes l’emportent sur les mecquoises plus pacifiques. D'essence divine, selon les sunnites, le Coran incréé et divin est dès lors non-susceptible d'interprétation. L'Islam est donc aujourd’hui la seule grande religion à ne mettre aucune distance sur son texte sacré et à l'avoir totalement divinisé et figé. Le Coran est devenu un culte et à ce titre il est devenu intouchable. Ceci explique pourquoi ses critiques ou "ennemis" doivent être tués pour les salafistes.

Philippe d'Iribarne : Combien sont ceux qui parlent doctement du Coran sans l’avoir lu ? Sans doute utilisent-ils un raisonnement implicite : le Coran est un texte religieux, donc il a les propriétés des textes religieux ; or un texte religieux est nécessairement porteur de paix et d’amour ; donc le Coran est porteur de paix et d’amour. Si on raisonne ainsi, il n’est effectivement pas nécessaire de savoir ce que dit le Coran. Sur bien des points, il oscille entre des positions différentes ; ainsi il y a des versets pacifiques et des versets violents. Par contre, on y trouve avec constance une association entre la valeur accordée à l’unanimité au sein de la communauté et la certitude dont cette unanimité est porteuse. Cette vision alimente l’absence de liberté de conscience dans les pays où l’islam domine (un musulman ne peut se convertir à une autre religion, une musulmane ne peut épouser un non musulman, celui qui ne respecte pas le Ramadan prend des risques, etc.). Elle fait difficilement bon ménage avec les orientations d’une démocratie pluraliste. On ne retrouve pas le même rejet d’un monde pluraliste chez les évangéliques, les Asiatiques ou les latinos.

Guylain Chevrier : Tout d’abord, il faut bien voir que la question de la séparation du religieux et du politique n’est réglée dans aucun pays où la religion musulmane est la référence, elle est encore dans l’Etat partout. L’échec de la Nation arabe et du panarabisme, défendu par l’égyptien Nasser face à l’islamisme, joue ici à plein, car depuis, il n’y a pas eu d’autre réponse cohérente face au retour en grand du religieux, pas plus le printemps arabe qui comme on l’a vu a échoué ou est resté au milieu du gué. Cet état de fait a été comme porté à son paroxysme par le développement du djihadisme et de la proclamation de l’Etat islamique qui en a découlé, donnant soudain une matérialité au projet d’un monde dominé par l’islam comme idéal de revanche sur l’Occident, jouant sur tous les ressentiments. Un esprit de revanche qui n’a pas à voir seulement comme certains le prétendent avec le passé colonial, sinon on ne comprendrait pas la contamination de jeunes qui n’ont rien à voir avec cela étant issus de famille non-immigrées ni musulmanes, certains pays européens n’ayant eu par ailleurs aucune colonie où on recrute des radicalisés. Il sert surtout à justifier le rejet d’un Occident qui s’est développé tout en se démocratisant, avec une sécularisation du religieux insupportable pour ces intégristes. L’islam tient du coran qui est considéré comme incréé, autrement dit, directement reçu du dieu, donc qui passe pour intouchable, toute altération étant considérée comme une violation de la loi divine, un livre donc sacré. Tant que cela n’évoluera pas il y aura un danger de ce côté, car le sacré est toujours prêt à resurgir pour imposer sa loi à tous, et on connait quelle violence peut y être attachée comme nous l’avons nous–mêmes connue et heureusement dépassée. Il y a aujourd’hui en fait à travers ces attentats, la révélation d’un combat mortel entre une forme de religieux qui se pose comme étant au-dessus de tout, et l’idéal démocratique avec ses libertés, dont l’autonomie de l’individu qui le détache de toute forme de domination, dont celle des Eglises. On a vite oublié cette enquête de  l’Institut Sociovision d’octobre 2014, selon laquelle les musulmans en France étaient 47% à considérer comme normal de faire passer les valeurs religieuses avant celles de la société, ce qui aurait dû alerter nos politiques. Ceci alors que 82% de l’ensemble des Français considéraient comme normal d’avancer au contraire vers plus de neutralité religieuse. On veut ignorer aussi que, le manuel français de droit musulman publié aux éditions Dalloz qui fait référence, Droit et religion musulmane de Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, affirme que « le droit est sans prise sur la foi », dont le premier des deux auteurs n’est autre que le vice-président du CFCM. Ce qui est aujourd’hui connu, et donc en dit long sur la volonté des pouvoirs publics d’accommoder lorsqu’il serait question de mettre les points sur i.

Sur la même thématique, jusqu'où cela peut-il avoir du sens d'exonérer le radicalisme religieux des problèmes de cohésion sociale entre les différentes communautés ; particulièrement dans le cadre du salafisme qui prône un communautarisme isolant les salafistes d'une société impure ?

Alexandre del Valle : Je crois que le radicalisme islamique n'a absolument pas à être exonéré par les problèmes sociaux, et ce pour une raison très simple : de très nombreux terroristes sont des gens égarés socialement, mais nous n'avons pratiquement aucun cas de terroristes devenus terroristes pour répondre à la pauvreté. Certains ont souffert de troubles sociaux, sont orphelins etc , mais la majorité est plutôt bien portante et non exclue. Tous les profils sociologiques sont rencontrés, mais les "vrais" pauvres ne sont pas terroristes. Ce sont plus souvent des gens oisifs, qui ont le temps. Les études, en Europe, montrent que les pays qui ont le plus de contingent de volontaires pour aller se battre en Syrie sont la Belgique et la France. Des pays où il est possible de survivre tant bien que mal sans travailler et où prime l’assistanat. Inversement, les pays les moins assistés comme l'Espagne ont moins de candidats. L'observatoire de la radicalisation a bien montré que la majorité des terroristes ne sont pas animés par des phénomènes de révoltes contre la pauvreté. La radicalisation est donc un phénomène en soi et les gens touchés ont généralement un certain niveau de culture, un certain degré de réflexion, un certain intellect. Il n'est donc ni légitime, ni pertinent, d'expliquer le djihadisme par la pauvreté sociale ou l'exclusion, comme ce n'était pas le cas pour le nazisme, ou le communisme .

Quant au salafisme et au communautarisme, c'est une évidence. Je me suis récemment entretenu avec un salafiste modéré à Bruxelles, qui m'expliquait qu'il avait obligé ses filles à se voiler depuis peu, mais surtout que la cohérence l'obligerait tôt ou tard à quitter la Belgique. Parce qu'adhérer à l'Islam des "pieux ancêtres" (salafiyya) signifie qu'il est obligatoire pour chaque musulman qui jouit des moyens matériels de quitter un pays « infidèle" pour aller vivre dans un pays ou règne la charia. C'est une obligation, dès lors qu'il a les moyens économiques. Vivre dans un pays infidèle est un véritable péché... Aussi, quand l'Etat Islamique invite à quitter "le monde de l’impiété" et à rejoindre un "véritable" pays musulman, les salafistes modérés  – que l'on accepte, donc – ont fait la moitié du travail ! Ils ont expliqué que l'infidèle est à ce point "impur" qu'on ne peut vivre chez lui. Et si on est contraint de le faire, c'est en tant que suspect. En tant qu'ennemi, en tant que celui qui prévoit de renverser l'ordre établi. Celui qui reste doit compenser ce pêché par un prosélytisme tout particulier et se replier sur une communauté, pour ne pas avoir à vivre avec l'infidèle, ses lois, ses mœurs. C'est déjà une bonne part du chemin terroriste que de tenir et accepter ce discours...

Philippe d'Iribarne : Cela n’a pas de sens. Du reste, la tendance propre à l’islamo-gauchisme à refuser de voir le rôle du radicalisme religieux et de lier les questions de cohésion sociale à de pures considérations économiques et sociales perd du terrain. Le succès du livre récent de Jean Birnbaum, Un silence religieux. La gauche face au djihadisme,  en témoigne. La difficulté est plutôt qu’on ne sait pas trop quoi faire pour lutter contre la constitution, dans certains quartiers, d’une sorte de contre-société islamique qui ne rassemble certes qu’une minorité des musulmans français, mais fournit un bon terreau pour le terrorisme islamiste – pensons, là encore, à Molenbeek.

Guylain Chevrier : Le salafisme a pris la place dans nos banlieues de la référence à l’islam vrai, venu des pays de la péninsule arabique, alors que précédemment, c’était les pays du Maghreb qui constituaient la référence. On a dérivé vers un islam de plus en plus pratiquant et fermé, avec repli identitaire et montée en puissance des revendications communautaires à caractère religieux à la clé,  jusqu’au refus de serrer la main des femmes et le voile intégral. On a laissé s’installer ce phénomène qui est en rupture avec nos valeurs les plus élémentaires, venu de pays où on pratique la lapidation et l’exécution publique au nom de la loi islamique. On ne pouvait qu’en arriver à cette situation. Le salafisme ne cesse de progresser en banlieue, il est séduisant, car il parait apporter dans ce monde en perte de repères la proposition d’un mode de vie nouveau à contre-pied, à des jeunes souvent en perdition, nouvel idéal à travers lequel se purifier du petit délit ou de l’échec scolaire, pour gagner une place reconnue aux repères intangibles et donc stables, tout en bénéficiant de la toute-puissance protectrice du croire derrière l’idée de la soumission à un dieu, qui est à deux pas de celle du sacrifice pour lui satisfaire. Le principe du salafisme, en raison des exigences religieuses communautaires qui sont les siennes, prône la séparation et donc le rejet de toute cohésion sociale sur le fondement de la citoyenneté. Pour pouvoir en être, entrer en pureté, il faut rejeter l’impur, et donc rejeter toute idée de mélange, d’ouverture aux autres. Il faut être aveugle pour ne pas voir que cette démarche conduit à s’écarter de la vie en société et que dans l’ombre de cette mise à part où le fondamentalisme prospère, la radicalisation a tout loisir de se développer. Rappelons-nous comment des contrôles de femme en voile intégral par la police ont dégénérés dans plusieurs villes en émeutes, comme à Trappe ou Marseille, soulignant là où nous en sommes de cette fracture que génèrent entre nos concitoyens le salafisme, et le soutien dans certains quartiers dont il bénéficie.

On serait incomplet ici, si on ne reprenait cette réflexion de la sociologue Yolène Dilas-Rocherieux, qui insiste sur le fait que le glissement vers l'islam radical est d'autant plus facilité que notre monde ne dit plus ce qu'il est, d'où il vient, et qu'elles sont les valeurs qui le portent, laissant l’initiative aux groupes religieux, ethniques, voire délinquants, d’imposer leur vision à des jeunes Français en perte de repère pour lesquels l'espace sociétal se résume aux groupes de pairs, à l'écran du net et à la mosquée du quartier. Elle invite à relire les écrits de prison du terroriste Carlos qui promet la victoire à des "militants organisés et déterminés, prêts à l'ultime sacrifice". La destruction "des démocraties occidentales pourrissantes" reviendrait aux "populations des pays musulmans et leur diaspora dispersée dans tout l'Occident". Mais ce dernier mise tout autant sur les déçus du capitalisme avec les convertis à l'islam des banlieues et des ghettos, pour qui cette doctrine serait le "contrepoison contre la sénilité morbide qui touche l'Occident", car fusionne "les combats contre le colonialisme, l'impérialisme et le sionisme". Voilà le flambeau que l’Etat islamique a repris dont le salafisme est un entresol aujourd’hui essentiel dans nos banlieues. Il n’est que temps de se ressaisir si on veut prévenir les risques, et retrouver tous ensemble, la confiance et la cohésion.

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