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Ce que la droite pourrait proposer d’intelligent en économie pour ne pas avoir l’air d’être un copier-coller d’Emmanuel Macron (et sans trahir son ADN)
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Bonnes idées

Alléger la fiscalité, favoriser la participation et la concurrence sont autant d'idées qui pourraient permettre à la droite de se distinguer vraiment de LREM sans se renier.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : En quoi est-ce que la Droite souffre aujourd’hui de ne pas se distinguer de LREM parce qu’elle reste influencée par les mêmes idées économiques qui ont dominé en France depuis 30 ans, sans prendre en compte l’évolution de ces idées ?

Michel Ruimy : On est dans un moment politique où les notions de Droite et de Gauche ne sont plus très structurantespuisqu’une partie des électeurs ont acté, lors de l’élection présidentielle de 2017, l’impuissance de ces deux courants à résoudre les préoccupations des Français. D’autres oppositions sont plus d’actualité : Parisvs Province, société « ouverte » vs société « fermée » ...
Par ailleurs, La Droite était, traditionnellement, une synthèse de plusieurs courants. Aujourd’hui,si la Droite est encore présente sur les territoires, elle est complètement éclatée. La Droite « orléaniste », libérale, est en phase avec Emmanuel Macron et la Droite « bonapartiste », populaire, est proche de Marine Le Pen. 
En fait, la décrépitude des LR s’explique par plusieurs raisons. Lorsque Laurent Wauquiez prend le parti Les Républicainsen décembre 2017,il « coche » toutes les cases de la révolte sociale (limitation de la vitesse à 80 km/h, augmentation des charges sur les retraités, taxe carbone…). Il se positionne sur le créneau de la Droite populaire afin de récupérer l’électorat qui est parti au Rassemblement National.Mais « Les Républicains » (LR) incarnent trop l’« establishment ». Même s’ils tiennent le bon discours, ils ne sont pas reconnus comme légitimes pour le porter. Marine Le Pen le fait mieux. 
En outre, il y a un parallèle intéressant à observer avec 1958 et le retour au pouvoir de De Gaulle. Comme le Général, Emmanuel Macron a bénéficié de l’implosion du régime existant. Il y a même puissamment contribué. Mais, De Gaulle a, par la suite, transformé les institutions et la culture politique nationales de manière fondamentale, contrairement à notre président, qui semble, pour le moment, se contenter d’incarner une figure classiquement « gaullienne ». Il gouverne essentiellement au centre-droit, s’entoure d'énarques, domine son parti, cantonne son Premier ministre dans un rôle subalterne et utilise, avec jubilation, tous les leviers traditionnels du pouvoir.Ceci n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose en soi : la présidence avait besoin d’un sérieux toilettage après le passage de François Hollande.
En conséquence, l’espace politique du parti de Laurent Wauquiez, obnubilé par l’identité et l’immigration, devenu eurosceptique voire antilibéral, s’est réduit et est devenu bien étroit. A cet égard, lors des élections européennes de dimanche dernier, sur les 134 circonscriptions actuellement détenues par la Droite, pas une seule n’a accordé la première place à la liste LR. La liste LREM arrive en tête dans 24 d’entre elles, les 110 autres ont toutes placé le RN en tête. Signe s’il en était des fractures au sein d’un électorat de Droite écartelé.
Coincée pour le reste du quinquennat entre Marine le Pen et Emmanuel Macron, la Droite française est-elle, pour autant, encore capable de se définir elle-même ? Persuadée qu’elle succéderait à François Hollande sans avoir à forcer son talent, elle n’avait pas vu venir Emmanuel Macron et sa recomposition politique, dont elle est aujourd’hui la grande perdante. Deux ans après le début du quinquennat, l’offre politique proposée par le parti de Laurent Wauquiez reste à définir. Dépassée par la rhétorique anti-migrants de Marine le Pen, débordée par le conservatisme de la Manif pour Tous et dépossédée de son programme économique par Emmanuel Macron, elle se cherche une identité.

Mathieu Mucherie : Les idées ne sont pas les seules raisons de l'échec de la droite actuellement mais elles importent. De même, au sein de ces idées, il n'y a pas que les idées économiques mais elles importent aussi. Au niveau économique, l'impression que l'on a dans la droite classique, c'est que si elle revient au pouvoir, elle ne ferait pas grand-chose de différent de ce que faisaient les gouvernements précédents depuis deux ans. Elle abaisserait vaguement les charges sociales et compenserait cela par de la CSG ou la TVA. C'est la politique constante de tous les gouvernements depuis 1991.

On a également l'impression qu'on ne bousculerait pas la BCE et qu'il n'y aurait aucun "secouage de cocotier" de l'ordre existant. Il semble que rien ne changerait sur le plan fiscal, budgétaire ou monétaire. A la rigueur, la droite pratiquerait peut-être plus de sortie du capital d'entreprises semi-publiques, elle ferait certaines choses de manière légèrement différente. Ce qui est désespérant pour l'électeur de centre-droit ou de droite classique, c'est que finalement lorsqu'on voit les propos des uns et des autres, il n'y a pas de réelle différence et c'est quelque chose de très démobilisateur. Il n'y a pas de génération d'idées. Avec les têtes pensantes actuelles, que ce soit Pécresse, Larcher ou d'autres, il n'y a aucune différence avec ce qui est fait ces dernières années.

Évidemment, c'est une préoccupation pour qui s'intéresse majoritairement à l'économie et il ne semble pas que cela soit l'alpha et l'oméga de la politique française. Mais c'est important et ça n'est pas très engageant. Avec François Fillon, il y avait cette idée de secouer un peu plus le cocotier sur le côté fiscalo-budgétaire avec ce projet de suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, idée considérée comme peu réaliste au vu des précédentes promesses semblables. Mais au moins il y a avait cette idée de bouger les choses.

La question se pose de ce qu'il faut faire. Faut-il revenir à des programmes assez radicaux comme Fillon, au risque de ne pas être crédible, ou faut-il se diriger vers l'équivalent d'une copie de Sciences-Po, à savoir ce que propose la République En Marche ? L'idée doit être de générer de nouvelles idées.

Quelles sont les idées économiques qui permettraient à la Droite de se distinguer de LREM tout en restant fidèle à ses valeurs ?

Michel Ruimy : Lors de la dernière élection européenne, la liste « Renaissance » (LREM) a réussi à attirer une grande part des électeurs de François Fillion de la présidentielle de 2017. Or, le socle électoral macroniste se transforme de l’intérieur puisque l’apport de suffrages issus de la Droite a compensé la fuite des électeurs de Gauche. D’où un changement dans la composition sociopolitique du LREM, qui est de plus en plus marquée à Droite.Dans ce contexte, la difficulté de la tâche du LR est d’autant plus grande que François-Xavier Bellamy, un philosophe qui essaye de repenser la Droite, … part au Parlement européen.
Pour s’en sortir, le LR doit, en particulier, réinventer sa doctrine économique libérale.Face à la frustration des classes moyennes et populaires, exprimée notamment par les « Gilets jaunes », il peine à formuler une réponse économique claire aux dégâts engendrés par les excès de la mondialisation, qu’elle a longtemps sous-estimés.Mais, il lui faut éviter de répondre au populisme politique, en empruntant au populisme économique. Ceci nécessite de revoir, dépasser voire aller à l’encontre de plusieurs barrières. 

Alléger la fiscalité

La première est de bien comprendre qu’accroître la fiscalité du capital dans notre pays fait forcément fuir les « riches » ailleurs. Une inégalité croissante des revenus n’indique en rien que l’économie est grippée car les plus fortunés ne dépensent qu’une petite fraction de leur fortune pour leur confort personnel. Une part importante de leur épargne est investie dans des affaires productives (dont il n’est pas sûr qu’elles réussiront). En fait, le niveau des rétributions actuelles n’incite pas les individus à prendre des risques.

Favoriser l'investissement étranger

Le deuxième est que freiner les mouvements de capitaux nuit à l’investissement. Tout doit être fait pour attirer des entreprises sur notre territoire.La France accueille près de 23 000 filiales d’entreprises étrangères. Celles-ci emploient un peu moins de 2 millions de personnes soit plus de 10% des effectifs salariés et assurent 30% de nos exportations. A contrario, nos multinationales disposent de 37 000 filiales à l’étranger où elles emploient 5,5 millions de personnes, ce qui correspond à environ 55% de leur effectif salarié.Au-delà de certains coûts, il est naturellement souhaitable de recevoir plus de capitaux et d’emplois de l’étranger, notamment grâce à une stabilité fiscale. 

Eviter le piège du protectionnisme

Le troisième est que le protectionnisme mène toujours à la catastrophe. Le capitalisme mondialisé donne aux Français le sentiment d’être dépossédés de leur outil de production. Pour nos dirigeants, le refus de céder certaines de nos firmes à des investisseurs étrangers est une posture politiquement payante. Mais dissuader de prendre le contrôle de nos entreprises en élaborant unelégislation appropriée constitue une forme de protectionnisme financier au coût économique élevé. La priorité de leaders politiques qui croit au « patriotisme économique » devrait être plutôt de faire des Français, via la Bourse, les propriétaires de leur économie.
A ne pas assez observer l’environnement, la classe politique de ces dernières décennies est passée à côté des mutations qui fragilisent aujourd’hui notre société, faisant le lit des mouvements radicaux.

Mathieu Mucherie : On peut créer du nouveau avec de l'ancien. Il y a à droite un joli stock de choses anciennes qui n'ont jamais été tentées au niveau général.

Favoriser la participation

Je pense par exemple à la participation. C'est un principe très gaulliste, c'est dans le stock cognitif de la droite classique. C'est élégant et ça peut être réutilisée massivement. La participation, c'est une forme de distributisme (Chesterton, Belloc...). On a une droite classique qui n'a finalement jamais été libérale et qui n'a jamais été socialiste. L'idée est donc de tenter une autre voie : le distributisme. On s'organise pour rester dans le capitalisme mais en invitant davantage de gens à la table.
Il faut donc qu'il y ait davantage de propriétaires et que les salariés se comportent comme des salariés actionnaires et non simplement des salariés. Il y a donc moins de fruits de la croissance mais on peut en faire profiter davantage de monde. Il faut ouvrir le capital, plus que ce que l'on pratique actuellement. C'est un principe mobilisateur, qui peut apporter un gain de productivité supérieur et qui parle. C'est dans le capital cognitif, historique et économique de la droite classique. Macron nous parle de "start-up nation" mais la réalité c'est que les gains imaginés dans ce cadre-là sont concentrés sur les 1 ou 2 % de gens qui détiennent le capital. Alors qu'avec la participation, nous aurions un capital beaucoup plus populaire. 
L'idée serait qu'il n'y aurait plus d'entreprises françaises où 10% du capital n'est pas détenu par les salariés. Cela engage un changement fiscal et réglementaire profond. Cela peut faire l'objet d'un deal avec les partenaires sociaux et c'est transformatif. C'est un très beau chantier.
Prêter de l'attention aux dettes

 Autre point appartenant à la droite classique : l'attention portée aux dettes. On a actuellement des gens du côté des Gilets jaunes qui sont surendettés, qui sont incapables de s'inscrire dans un projet économique. Lorsqu'on regarde l'ensemble des dettes en France, il ne s'agit pas de montant considérable mais en raison des taux élevés, plusieurs centaines de milliers de personnes vivent la peur au ventre. Une droite généreuse traiterait avec cet élément et travaillerait pour les remettre, les rééchelonner, les effacer de façon plus large via la Banque de France ou de manière plus large la BCE.

Il faudrait bien sûr des contreparties mais c'est généreux et c'est un programme social. Pour l'instant le programme social de la droite n'est pas net et il est même vide. La droite propose des réformes structurelles mais elle n'a pas de carotte, juste le bâton.

Un autre avantage de la remise des dettes, c'est que c'est très chrétien, c'est dans le compendium de la doctrine sociale de l'Eglise. Ce pourrait être du "Bellamy social", ce qui serait très puissant auprès d'une partie de l'électorat traditionnel de la droite.

Favoriser la concurrence

Personnellement, je crois que la droite classique a un vieux fondement, celui de la contestation de l'autorité. Elle aime la concurrence, notamment entre les institutions. Dans cadre-là, quand on voit l'évolution des institutions, notamment en Europe avec une Commission qui est démonétisée, et quand on remarque que le pouvoir est désormais à la BCE, l'idée de recentrer tout ça serait intéressant.

L'un des points majeurs serait de forcer la BCE à tenir sa cible. La BCE nous a dit : "J'ai de grands pouvoirs et en échange je délivre 2% d'inflation par an", mais depuis 10 ans elle ne le fait pas. On pourrait penser à se mettre d'accord avec d'autres en Europe, y compris des gens peut-être plus radicaux pour forcer la BCE à ne pas s'écarter de son objectif qui a été défini de manière démocratique, à savoir avoir un minimum d'inflation pour avoir du grain à moudre dans les négociations salariales et du point de vue du PIB nominal, en résumé éviter la déflation.

C'est un axe plus préventif pour éviter la prochaine crise ou prochaine explosion des dettes. Cela permettrait à la droite, au sein d'une droite classique européenne, d'être le poil à gratter qui continuerait à prôner l'euro mais qui rappellerait que certains contrats comme celui de la BCE ne sont pas remplis.

Certes, c'est actuellement un simple rêve, personne n'en parle à droite. Mais on ne peut pas parler de politique économique aujourd'hui actuellement sans parler de politique monétaire vu que c'est le seul élément qui fait bouger les marchés. Les marchés ne sont que concernés par la politique monétaire et actuellement le moindre stagiaire de la BCE a plus de pouvoir que n'importe quel commissaire européen. C'est sur ce point que j'attendrais une droite libérale attachée à Benjamin Constant, à Bastiat, à Tocqueville, à tous les auteurs qui ont mis l'accent sur la concurrence institutionnelle et sur le fait que le pouvoir ne doit pas être transféré à des technocrates non-élus, fonctionnant en vase-clos et n'ayant plus de comptes à rendre à personne.

Ces idées ne sont pas nouvelles. La participation, c'est gaulliste, c'est ce qu'on appelait le distributisme en Angleterre à la fin du 19e siècle. Mais on peut aujourd'hui le réinventer et le réincarner compte-tenu du contexte hégémonique de certaines firmes technologiques et de l'impression que notre destin économique nous échappe. Remettre de la motivation dans le salarié en en faisant un actionnaire est quelque chose de puissant et qui correspond à la vision de la droite.

Le deuxième axe n'est pas nouveau non plus et le troisième axe est le B.a.-ba de l'économie politique. Milton Friedman disait qu'on peut confier du pouvoir important à des institutions mais il faut les contrôler et il faut qu'elles réussissent leurs objectifs sans quoi il faut leur enlever ce pouvoir.

Ce sont donc de vieilles idées, nobles et peu chères :  peu chères : tout cela ne coûterait pratiquement rien. Loger des dettes au bilan d'une banque centrale ne coûte pas, la participation s'autofinancerait très bien à condition de mettre tout le monde autour de la table, et secouer un peu la BCE rapporterait beaucoup.

Cet article a été initialement publié le 31 mai 2019 sur le site d'Atlantico.

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