Ce Don-Quichottisme européen qui fait flamber les populismes en prétendant les combattre<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen en France, Giorgia Meloni en Italie, l'AFD en Allemagne, Geert Wilders aux Pays Bas ... L’UE a le choix entre une croisade morale contre les « forces du mal »
Marine Le Pen en France, Giorgia Meloni en Italie, l'AFD en Allemagne, Geert Wilders aux Pays Bas ... L’UE a le choix entre une croisade morale contre les « forces du mal »
©AFP - STEPHANE DE SAKUTIN

Bruxelles à l’assaut des populismes de droite

Confrontée à la vague électorale populiste qui s’impose dans de plus en plus d’Etats membres, l’UE a le choix entre une croisade morale contre les « forces du mal » et la gestion des maux dont se plaignent les Européens. Que décidera-t-elle…?

Pierre Clairé

Pierre Clairé

Pierre Clairé est analyste du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques diplômé du Collège d’Europe

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Pascal  Perrineau

Pascal Perrineau

 Pascal Perrineau est professeur des universités à Sciences po. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont son dernier " La France au Front : Essai sur l’avenir du Front national" aux éditions Fayard.

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Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Marine Le Pen en France, Giorgia Meloni en Italie, l'AFD en Allemagne, Geert Wilders aux Pays Bas, Nigel Farage ou Boris Johnson au Royaume-Uni... Rien dans le paysage politique européen n'est aussi diversifié que le phénomène connu sous le nom de droite populiste ?

Rodrigo Ballester : Droite populiste, nationaliste, conservatrice, souverainiste, alternative, voire libérale (comme le montre l’exemple de Javier Milei en Argentine), anywhere contre somewhere, etc… les épithètes et expressions sont légion pour décrire ces mouvements politiques qui échappent aux clivages habituels mais ont un socle commun, nous y reviendrons. 

A l’échelle européenne, n’oublions pas que les familles politiques qui siègent sous une même étiquette au Parlement européen sont très hétéroclites et ne votent pas toujours comme un seul homme, loin s’en faut. Et cela est bien normal, car ce qui est vraiment divers en Europe, et on a tendance à l’oublier, ce sont les diversités culturelles, historiques et donc politiques de chaque nation. 

Finalement, notons que le clivage le plus pertinent pour appréhender les enjeux européens est celui de souverainistes contre fédéralistes, la version européenne du somewhere vs anywhere. 

Pascal Perrineau : En effet, car le populisme n'est pas une idéologie. Les politologues britanniques parlent de « weak ideology » (« idéologie faible »). Le populisme est avant tout une forme d'action politique qui peut trouver son accueil dans des idéologies extrêmement différentes. Il peut y avoir un populisme socialisme, un populisme communiste, un populisme d'extrême droite ou encore un populisme de droite classique.

Que traduit concrètement cette forme politique ? Cela traduit la crise des médiations entre le peuple détenteur de la souveraineté et la classe politique. Il n'y a plus de médiations qui font leur œuvre. Donc, peu à peu, la politique devient ce face-à-face entre des leaders supposés charismatiques et un peuple qui est vécu comme un ensemble uni. Cette unité peut être sociale – le populisme de gauche – ou ethnoculturelle – le populisme de droite. Le succès des populismes est tout simplement le révélateur de la crise absolument incroyable et profonde que traverse la représentation politique, avec tous ces corps intermédiaires qui aujourd'hui sont tous, à des degrés divers, plus ou moins discrédités.

Pierre Clairé : Vous avez tout à fait raison, ces différents mouvements sont vraiment différents et c'est une erreur que de tous les rapprocher sous l'étiquette "droite populiste" ou "extrême droite". Je vois trop souvent les médias faire un rapprochement entre la droite conservatrice polonaise et l'extrême droite de Marine Le Pen par exemple. Pourtant, c'est une erreur si on se base sur les fondements idéologiques ou l'origine de ces partis politiques. 

Un monde sépare la droite conservatrice d'Europe de l'Est du Hongrois Viktor Orbán ou du Polonais Mateusz Morawiecki, et l'extrême droite d'Europe de l'Ouest. La première est attachée à la défense des traditions et de la culture des pays alors qu'à l'Ouest, l'accent est davantage mis sur les questions économiques et sociales, avec l'immigration comme cheval de bataille. Pour comprendre ces différents partis, leur émergence et leur succès électoraux, il faut s'intéresser à l'environnement et aux motifs qui poussent les électeurs à voter pour ces partis. Or, cela est propre à chaque pays. En effet, à l'Est, ces partis sont nés par opposition au communisme et à sa volonté d'en finir avec la religion chrétienne. Les électeurs de ces mouvements sont des laissés pour compte de la transition post-communiste qui a accentué les inégalités politiques, économiques et culturelles. A l'Ouest ils ont pu monter en puissance avec le déclin économique subi à partir des années 1980. Ils sont les perdants de la mondialisation avec le transfert de l’appareil productif dans les pays du Sud. En effet, la courbe de Milanovic montre que leurs revenus ont progressé moins vite que le reste du monde aboutissant à un phénomène de paupérisation et de déclassement économique et culturel. Ainsi, à l’Ouest, les partis populistes s'appuient sur un électorat plus diversifié et “attrape tout”, allant d'électeurs préoccupés par les changements démographiques, aux déclassés et laissés pour compte de la mondialisation. 

Ces personnalités populistes ne partagent pas la même ligne politique, notamment sur l'appartenance à l'Europe ou la vision de l'Islam. En revanche, ils sont tous eurosceptiques. L'antipathie envers l'UE, est-ce la seule chose qui les unit ? Pourquoi ?

Pierre Clairé : Nous sommes d'accord sur ce point, mais là encore il existe une nuance importante. L'euroscepticisme à l'Est s'est construit car l'Union Européenne est vue comme ayant une influence nocive et les partis d'extrême droite locaux l'accusent de vouloir torpiller les cultures nationales. Ainsi, un euroscepticisme fort s'est construit pour tenter de défendre la souveraineté nationale et les valeurs traditionnelles. À l'Ouest, le rejet de l'UE est présent mais moins fort et surtout il n'est pas identique partout. En Italie ou en Espagne il serait impossible de critiquer fortement l'UE alors que les populations sont très europhiles, aux Pays-Bas, Wilders parle souvent du Nexit ou de la sortie du pays de l'Union, en France Marine Le Pen s'est assagie avec le temps et a fait évoluer sa position d’une sortie de l’Union, à une sortie de l’Euro vers un statu quo aujourd’hui. 

D'autres traits sont communs à ces partis, mais ont une importance différente selon les pays. Tout d'abord, tous ces partis se plaignent de l'immigration massive, même si les critiques sur ce point sont plus virulentes à l'Ouest. En effet, les indicateurs migratoires à l’Ouest sont dans le rouge : le nombre d’étrangers à été multiplié par 5 en Italie en 20 ans par exemple. La défense des valeurs traditionnelles est commune partout, pourtant c'est une question prioritaire à l'Est, un peu moins à l'Ouest où les partis d'extrême droite ne sont pas attachés à la religion. La question économique, notamment du pouvoir d’achat, est importante pour tous, mais davantage à l'Ouest (comme vu avec Marine Le Pen ou Geert Wilders). Seulement, les partis conservateurs de l’Est commencent à davantage se saisir de cette question. En effet, le parti polonais conservateur du PiS ont pris des mesures protectionnistes contre les grains ukrainiens pour satisfaire les agriculteurs souffrant de l'afflux de grain étranger, mais ce thème reste un cran en dessous en terme d'importance. 

Même si les environnements nationaux et les contextes diffèrent, ces partis ont progressé dans les électorats européens car les maux sont proches : perte de souveraineté nationale et de son destin, immigration de masse, ou encore déclassement économique et industriel.

Rodrigo Ballester : Sont-ils tous eurosceptiques, est-ce là le seul point commun ? Je n’en suis pas si sûr. Combien d’entre eux souhaitent quitter l’UE ? Geert Wilders met de l’eau dans son vin et d’autres comme Viktor Orbán combine des critiques virulentes contre Bruxelles tout en soulignant son attachement au projet européen, Meloni est perçue comme une « bonne élève » à Bruxelles et Marine Le Pen a enterré son projet de quitter la zone Euro. 

Alors, qu’en est-il ? Par rapport à l’Europe, ils fustigent plus la direction qu’a pris le projet depuis Maastricht que le projet en soi. Ils souhaitent revenir à une Europe plus respectueuse des souverainetés et spécificités nationales, plus pragmatique, moins intrusive, moins dogmatique, moins idéologique (les dérives woke y sont légion), plus proche des réalités des citoyens et dans laquelle les Etats membres resteraient aux commandes. Souhaitent-ils jeter le bébé avec l’eau du bain ? Non, même si à leurs yeux, l’eau est très sale.  Leur vision est-elle europhobe ? Non, même si elle prône un retour au projet européen original et critique sans ambages l’Europe actuelle.  

Par contre, il est vrai que ces mouvements sont hétéroclites et ne partagent pas un agenda politique commun à l’échelle européenne. Sont-ils d’accord sur la guerre en Ukraine, les questions sociétales ou les racines chrétiennes de l’Europe ? Non, loin de là, mais ils partagent la même vision sur certaines questions cruciales qui seront au cœur de la campagne des élections européennes : lutte contre la migration illégale, opposition frontale contre les dérives woke et le politiquement correct, questionnement radical de l’écologie punitive et dogmatique, défense de la souveraineté nationale et une application réelle du principe de subsidiarité. Un socle commun non négligeable sur lequel ces partis pourraient articuler des initiatives concrètes à Bruxelles et à Strasbourg. 

Pascal Perrineau : Non, même ça, ça ne les unit pas. D'ailleurs, la meilleure preuve, c'est que tous ces partis et ces formations sont incapables de s'unir dans un seul groupe. Au Parlement européen, ils sont au moins divisés entre trois groupes, sans compter les non-inscrits. Ils n'arrivent pas à trouver un centre de gravité, même dans leur europhobie ou dans leur euroscepticisme. Ils sont très travaillés en général par des composantes nationales, ce qui explique leur difficulté à s'organiser en groupes politiques supranationaux par la suite. Marine Le Pen, lorsqu’elle se rend en Italie, elle ne rencontre jamais Giorgia Meloni. Il n'y a pas d'internationale des populismes. Par définition, c'est même contradictoire.

Vous êtes en train de me dire que ce sont des partis d'opposition et pas des partis qui veulent arriver au pouvoir ?

Pascal Perrineau : Je le crois. Enfin, ils peuvent ensuite devenir des partis de gestion. C'est un peu ce que tente de devenir Giorgia Meloni en Italie. On verra ce qu'il en est avec Geert Wilders s'il arrive à former un gouvernement. Mais en effet, ce sont des partis très marqués par leur tradition protestataire parce qu’ils sont traditionnellement des partis d'opposition. Il est difficile pour ces partis d'arriver au pouvoir seul ou en coalition parce qu'ils sont obligés de faire des compromis. Or ce n’est vraiment pas dans leur ADN politique. Ils sont obligés de négocier, et ils le font très mal. D’où leur plus grande efficacité dans l’opposition.

Face à cette montée du populisme, on voit que l'Europe a du mal à réagir. Le Parlement européen a érigé un cordon sanitaire contre l'extrême droite. Une "croisade morale" contre les forces du mal, ce qui provoque une certaine incompréhension, y compris chez les citoyens européens qui votent et désignent leurs représentants. L'UE est-elle prise dans un piège qu'elle a elle-même créé ? 

Rodrigo Ballester : Au Parlement européen, le cordon sanitaire existe depuis plusieurs législatures, il s’articule autour d’un agenda fédéraliste, et il n’est pas une réaction à une prétendue montée des populismes. Au contraire, il s’est mis en place naturellement comme une force hégémonique qui exclut dans l’immense majorité des cas, les partis à la droite du très centriste Parti Populaire Européen. Comme si l’Europe ne pouvait être que fédéraliste ou ne pas être ! Problème, et de taille, après les prochaines élections européennes, ce cordon sanitaire risque de s’appliquer à presque la moitié des élus et son principal point commun sera de crier au loup souverainiste ! 

En outre, cette hégémonie fédéraliste portée sommes toutes par une coalition très hétéroclite ( du centre-droit à l’extrême gauche et passant par des verts minoritaires mais très influents) a mené a des dérives idéologiques et à un suprémacisme moral si peu contesté qu’il en est devenu évident. Au point de faire de ceux qui ne le partagent pas, no pas des concurrents, mais des déviants. Du coup, certaines questions qui font débat au niveau national deviennent tabou à l’échelle européenne. Pour certains, remettre en cause le « Green Deal » ou la politique migratoire sont des anathèmes, plus que des débats démocratiques. En outre, certaines question institutionnelles semblent n’être qu’à sens unique fédéraliste : par exemple, la fin de l’unanimité et des droits de véto sur certains sujets stratégiques. Pourquoi, au contraire, ne pas étendre cette unanimité, est-ce un blasphème que d’y songer ?   

Alors oui, l’Europe est prise dans une ornière fédéraliste et moraliste de laquelle elle devrait sortir au plus tôt. Pour la simple raison que, par pure hygiène démocratique, il faut rappeler que l’Europe appartient à tout le monde, pas seulement aux élites fédéralistes. Et si les citoyens veulent moins d’Europe, et bien qu’il en soit ainsi jusqu’à ce qu’ils changent d’avis aux prochaines élections, tout simplement !  

Pierre Clairé : Pour lutter contre l'extrême droite, trois stratégies existent : la mise à l'écart, la confrontation ou la complaisance accommodante (en espérant qu’ils souffrent en se confrontant aux réalités). Les deux premières stratégies, qui ont été utilisées par les politiciens modérés de “l’arc de la raison” en Europe, ont échoué. Elles se sont matérialisées par le cordon sanitaire dont vous parlez, qui a été une erreur stratégique majeure. 

Quand l'extrême droite à commencé à émerger, on a cherché à la faire taire et à l'ignorer. Les décideurs politiques des partis traditionnels ont pensé qu'en les sortant ainsi du jeu politique, ils pourraient en finir avec eux. Seulement, en se cachant derrière des valeurs morales et idéologiques, les politiciens de l'UE en sont venus à s'éloigner des peuples et de leurs préoccupations. Les populistes, qui voulaient défendre ces peuples et s'intéresser à leurs problèmes sont donc sortis renforcés de cette mise à l'écart. Ils étaient vus comme plus proches du peuple, alors que l'UE s'éloignait d'eux un peu plus chaque jour. L'UE a cherché à se placer au-dessus de la mêlée, en adoptant une posture "humaniste", pensant que les électeurs suivraient, mais ils ont seulement réussi à se distancer des citoyens. 

Face à la montée des populismes en Europe, les décideurs politiques européens ont voulu s'attaquer frontalement à eux. Seulement, là encore ils ont commis une erreur stratégique et n’ont contribué qu’à faire progresser le populisme en Europe. En effet, cela a conduit à la normalisation de ces partis alors que leurs thèmes de prédilection rentraient dans le débat public. En restant désespérément attachés aux valeurs morales et idéologiques, l'UE s'est décrédibilisée car le discours officiel ne prenait pas. Les populistes, forts de nombreuses années dans l'ombre à défendre les citoyens, ont été vus comme plus honnêtes et bien plus capables de faire entendre les voix contestataires. Surtout leurs réponses semblaient plus adaptées aux problèmes du quotidiens, alors que l'UE semblait incohérente et déconnectée. 

Ainsi, l'UE en voulant ostraciser les populistes s'est retrouvée plus isolée que jamais alors que l'extrême droite grandissait.

Pascal Perrineau : C’est vrai. Ce discours de l'indignation morale est là pour rassurer ceux qui tiennent ce discours, pas pour aller récupérer les électeurs qui peuvent être séduits par ce type de force politique. C’est une stratégie qui est largement inefficace. Si les droites et les gauches de gouvernement et les autres veulent récupérer ces électeurs, il va falloir qu'ils s'attaquent au problème qui mobilise ces électeurs, sur des enjeux tels que l'immigration, l'insécurité, l'inefficacité réelle ou supposée des institutions européennes.

Comment sortir de ce piège ? Doit-elle changer de posture (cesser de se prendre pour l'incarnation du bien) ou une réelle stratégie économique (elle gère la désindustrialisation au lieu de la combattre) ?

Pascal Perrineau : La posture du combat moral ne suffit absolument pas. Elle est même parfois contre-productive. Mais le problème, c'est qu’il ne faut pas non plus prêter à l’UE le pouvoir qu'elle n'a pas. Elle n'a pas un pouvoir de réformes drastiques sur le terrain économique et social. Ça dépend encore des États. Les ripostes sont à trouver davantage dans le cadre national que dans le cadre européen.

Le cadre européen est agité très souvent par ces démagogues populistes comme étant un bouc émissaire de plus. Au Parlement européen, les forces populistes présentent là-bas l’utilisent comme une tribune, mais elles travaillent peu. Le travail se fait au PPE ou au RE.

Pierre Clairé : Maintenant que ces partis ont été normalisés, et que la boîte de Pandore a été ouverte, il sera difficile de revenir en arrière. Il faut une véritable prise de conscience des décideurs politiques modérés et une nouvelle stratégie face aux populistes. 

La troisième stratégie citée plus haut, c'est-à-dire la complaisance et s'accommoder des populistes, ne fonctionne pas non plus. Cette stratégie légitime les populistes car ils sont vus comme fréquentables. Leurs thèmes de prédilection deviennent les priorités de l’agenda politique et médiatique. Cela invite les électeurs à se porter vers l’extrême droite plutôt que de revenir vers les partis modérés, car l’original est préféré à la copie. Je pense qu'il faut allier accommodation et confrontation, c'est-à-dire se montrer pragmatique en rejoignant les populistes sur certains points sur lesquels ils ont raison de se plaindre (immigration, démocratie dans l'UE ou problèmes économiques). Mais en même temps, il faut démontrer qu'ils ont tort sur certains points, et souligner leurs incohérences. Ainsi après les prochaines élections européennes, au lieu de diaboliser cette extrême droite, il serait bon ton de les inclure sur certains points et surtout se saisir des thèmes sociaux et économiques qu’ils défendent, pour se rapprocher des citoyens. Il est ainsi nécessaire d’en finir avec l’idéologie en se croyant l’incarnation du bien et revenir sur des thèmes qui importent les peuples. 

L'UE doit également faire un travail de transparence et de démocratisation. Les citoyens doivent se sentir écoutés et respectés pour les empêcher de se jeter dans les bras des eurosceptiques. Certaines causes défendues à Bruxelles sont justes et mériteraient d'être mises en avant. Le fonctionnement bruxellois que l'on pourrait qualifier d'ubuesque et anti-démocratique devrait être revu afin que les électeurs se sentent impliqués. 

Enfin, il faut que les décideurs politiques au pouvoir revoient leur logiciel politique et mettent un point d'honneur à défendre les citoyens et à résoudre les problèmes du quotidien. Avec la percée de Geert Wilders il y a quelques jours, on a pu entendre que cela inquiétait à Bruxelles car il pourrait remettre en cause la politique environnementale de l'UE. Au lieu de s'enfermer dans des lois impopulaires pourquoi l'UE ne s'intéresserait pas au combat contre la désindustrialisation, au pouvoir d'achat, à combattre l'immigration illégale, à protéger les frontières extérieures… Certaines choses sont faites sur ces points, mais ce n'est pas assez alors que les États-Unis pour ne citer qu'eux sont plus actifs pour défendre la population et l'économie, avec l'Inflation Reduction Act ou la protection de leurs frontières en déclarant que chaque personne entrée illégalement ne pourra obtenir un titre de séjour. 

Rodrigo Ballester : L’UE doit en effet sortir la tête de son guidon moraliste, de ces certitudes messianiques et se montrer pragmatique et compréhensive des identités nationales, comme elle le fut à ses débuts. Voici, en tout cas, le message porté par cette droite qui a de fortes chances d’être très bien représentée après les prochaine élections européennes. A noter tout de même que cette critique vaut également pour les représentants nationaux qui siègent à Bruxelles au Conseil et qui font partie intégrante de ce consensus, elle ne concerna pas seulement le Parlement Européen et la Commission. 

Pour répondre de manière plus concrète, sur quels chantiers l’Europe devrait-elle faire amende honorable ? Prendre le taureau de l’immigration illégale par les cornes, introduire une dose importante de réalisme dans sa politique environnementale, se concentrer sur les sujets qui font en amont l’unanimité entre les Etats membres, ne pas s’embourber dans des réformes institutionnelles, raisonner en termes d’intérêts et pas seulement de valeurs, et se tenir strictement à ses compétences. 

Exemple paradigmatique de ses dérives actuelles,  son approche idéologique et incohérence de l’Etat de droit. Alors que l’UE exclut les universités hongroises des programmes Erasmus et Horizon sans raisons valables, elle tolère (pour l’instant) le coup constitutionnel perpétré par Pedro Sanchez. Une insoutenable hypocrisie.  

L'UE se prend aujourd'hui pour un acteur géopolitique faisant fi parfois de la souveraineté des Etats en la matière. Pourquoi n'arrive-t-elle pas à se concentrer sur les domaines qui sont ses prérogatives ?

Rodrigo Ballester : A force de s’auto-percevoir comme une autorité morale, l’UE s’égare et en oublie ses fonctions et surtout ses limites. En effet, s’il y a bien deux règles cardinales que tout le monde semble ignorer alors qu’elles sont cruciales, ce sont les principe d’attribution des compétences et le principe de subsidiarité, véritables clés de voute de l’édifice européen et dont la négligence en dit long sur les égarements de l’UE. C’est, d’une part, un manquement aux règles, et, d’autre part, une vision totalement myope, car au lieu de pérorer sur la souveraineté européenne, il suffit de réaliser que l’Europe ne sera forte à l’extérieur que si elle est soudée à l’intérieur et que sa souveraineté passe surtout par celle de ses Etats membres. Le rôle de l’Europe est-elle de l’éroder ou de la renforcer ? Voici la question qui se cache derrière la montée des partis de droite dans tout le continent. 

Pierre Clairé : L’Union européenne s’est construite sur un effet d’engrenage avec la doctrine des “petits pas”. Ainsi, vous soulevez un point important : l’empiètement de l’UE sur la souveraineté nationale des Etats perçue comme problématique pour beaucoup d’électeurs qui se reportent ainsi vers les populistes. Deux raisons à cela : la délégation par les États membres par facilité, et les thèses voulant une UE plus intégrée et importante. 

Avec la multiplication des crises au niveau international, les États membres, qui doivent  répondre individuellement à ces problèmes, permettent à l'UE d'empiéter sur les domaines traditionnels de la souveraineté des États. Ainsi par facilité les États confient la responsabilité de certains thèmes, dont la géopolitique, à l'UE, alors qu'elle ne devrait pas en avoir la charge, ou encore la stratégie sanitaire lors de la crise Covid-19. Mais cette délégation de pouvoirs est permanente et maintenant l'UE veut conserver ces nouvelles prérogatives, ce qui déplaît fortement à certains. 

Principalement on peut expliquer ce phénomène par l’idéologie et la défense à Bruxelles de valeurs humanistes qui les poussent toujours à vouloir que l'UE prenne plus de poids. Les politiciens bruxellois sont encouragés par certains États qui veulent plus d'intégration européenne arguant qu’il s’agisse du sens de l'histoire. Seulement, le sens de l’histoire est un repli des classes moyennes et populaires vers les partis eurosceptiques menaçant la survie d’une institution en perte de vitesse dans le cœur des Européens. 

Pascal Perrineau :Il faut que l'Europe démontre tout simplement son efficacité dans certains domaines. Elle l'a démontré dans la lutte contre la crise économique et sociale, avec la politique d'aide qui a été menée. Elle l'a démontré dans la lutte contre la Covid. On dit toujours que l'Europe est inefficace dans les secteurs où elle peut être très efficace, mais l'Europe n’est pas un super État. Donc dès qu'elle se prend pour un super État, elle est en dehors de son ADN.

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