Budget 2024 : la France malade de ses non-choix <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors du Conseil des ministres.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors du Conseil des ministres.
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Casse-tête à Bercy

Le budget 2024, préparé par le gouvernement, doit permettre de réduire le poids de la dette, de baisser les impôts et de réaliser des efforts dans le cadre de la transition écologique.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico : Le budget 2024 sera présenté ce mercredi 27 septembre par l’exécutif, à l’occasion du prochain conseil des ministres. En prévision de cet événement, Bruno Le Maire n’a eu de cesse de répéter qu’il n’était pas question d’augmenter les prélèvements obligatoires. Ceux-ci devraient même baisser a-t-il affirmé. La CVAE devrait ainsi diminuer et le barème de l’impôt sur le revenu être revu en tenant compte de l’inflation. Peut-on vraiment imaginer, dans ces conditions, une réelle baisse du budget de l’Etat, ainsi que semble le souhaiter l’Europe notamment ? 

Philippe Crevel : Le Haut Conseil des Finances Publiques, qui dépend de la Cour des Comptes, a rendu ce lundi 25 septembre 2023 un avis dans lequel il exprime de très forts doutes concernant la trajectoire des finances publiques suivies par la France. Il a aussi fait savoir qu’il doutait considérablement de la capacité de la France à tenir ses engagements auprès de l’Europe, comme il le fait par ailleurs chaque année depuis déjà longtemps désormais. Il souligne aussi la surestimation de la croissance faite par le gouvernement pour pouvoir atteindre son objectif de finances publiques.

Rien de nouveau sous le soleil, donc.

La France réduit, à une vitesse d’escargot, sa dette et son déficit publics. Nous sommes loin d’un assainissement en profondeur des finances publiques. Rien ne permet de penser que la trajectoire budgétaire change ou que nous soyons passés de la première à la deuxième vitesse en matière d’assainissement des comptes publics. 

La France, ne l’oublions pas, fête son cinquantième anniversaire de déficit public. Hormis la période des années 60-70, durant lesquelles le déficit public restait très léger, l’Hexagone a toujours été un pays de désordre en matière de comptabilité publique. Les crises budgétaires jalonnent notre histoire, de la fronde sous Louis XIV en passant évidemment par la période révolutionnaire jusqu’à la IV République par exemple. La France est un pays dépensier, de déficit et de dette. La situation actuelle s’inscrit dans cette longue tradition, qu’il faut mettre en parallèle avec un pouvoir politique qui, malgré une image de force, est relativement faible. Pour masquer sa faiblesse, il n’a d’autres solutions que de dépenser davantage.

Jean-Philippe Delsol : En l’état, on peut être inquiet sur le prochain budget 2024. Le gouverneur de la Banque de France lui-même, François Villeroy de Galhau, a observé, le 15 septembre 2023 que le pré-projet de budget 2024 présenté par le gouvernement manquait  de « crédibilité ». Le gouvernement prévoit une croissance de 1,4 % du PIB l’an prochain, mais la Commission européenne évoque pour sa part 1,2 %, et l’Insee table sur 0,9 %. Par ailleurs la hausse des taux d’intérêt rehaussera la charge de la dette à  48 milliards l’an prochain, soit 10 Md€ de plus qu’en 2023.

En l’état, Bruno le Maire n’a évoqué que 16 milliards d’euros d’économies dont l’essentiel (10 milliards d’euros) proviendra de la suppression progressive du bouclier tarifaire pour l’électricité et de la réduction des aides aux entreprises (4,5Md€). Des économies liées à la réforme de la politique de l’emploi et du chômage permettront de compléter cette enveloppe. Autant dire que le budget de l’Etat ne baisse pas. Il augmente même très sensiblement. Parce qu’il faut le comparer non pas au dernier budget, mais aux budgets pré-covid.

Emmanuel Macron et ses ministres ont notamment fait valoir la fin du “quoi qu’il en coûte” pour justifier les économies, en matière de dépenses publiques, que l’Etat s’apprête à faire. Cet argument vous semble-t-il convaincant ? Dans quelle mesure peut-on parler d’une inflexion de la trajectoire budgétaire française, à l’heure ou le poids des intérêts de la dette est grandissant ?

Philippe Crevel : Je crois avoir entendu parler de la fin du “quoi qu’il en coûte” au moins dix fois depuis 2021 ! Pour l’heure, elle a toujours été reportée… puisqu’il y a toujours eu un événement pour perturber le terme de cette politique exceptionnelle, dérogatoire et non conventionnelle en matière de finances publiques. Il y a eu la guerre en Ukraine, récemment, et on remarque aujourd’hui que le gouvernement a décidé d’augmenter les dépenses pour compenser l’augmentation du prix des carburants. Le “quoi qu’il en coûte” se prolonge, le retour à la vérité des prix est reporté à un moment plus favorable. Le problème est là : nul ne sait, aujourd’hui, quand un tel moment pourrait finalement arriver.

Le déficit public, cette année, devrait tourner autour de 4,9%. L’objectif, rappelons-le, c’est 4,3% l’année prochaine. Il apparaît difficile à atteindre, d’autant que les dépenses publiques représentent 58% du PIB aujourd’hui. Elles étaient estimées à 56% de ce dernier avant la crise sanitaire. Nous détenions alors le record absolu, c’est toujours le cas. Le changement de trajectoire budgétaire, si tant est que l’on puisse parler d’un changement, concerne l’épaisseur du trait. Nous n’avons pas fait marche arrière : nous sommes, au contraire, dans la poursuite de la politique mise en oeuvre depuis des années.

Les taux d’intérêts, en 2021, étaient négatifs. Désormais, le taux d’obligations des Etats dépasse 3% et c’est évidemment un surcoût en matière de dépenses publiques. Pour l’heure, nous sommes encore en mesure de rembourser mais nul ne sait quand cela ne sera plus le cas : ce genre de problèmes ne préviennent pas, comme ont pu l’expérimenter la Grèce ou le Royaume-Uni. Difficile de prévoir le tête à queue, mais plus le niveau monte, plus le danger augmente. Quand les capacités d’investissements de l’Etat sont bloquées, il devient complexe de réduire le déficit public.

Jean-Philippe Delsol : En 2019, les dépenses publiques représentaient 55,4% du PIB, en 2022 58,3% contre 51,6 % pour la moyenne des 27 États membres de l'Union européenne (UE). En 2023, les dépenses publiques devraient être à environ 57,2% du PIB, soit encore environ 2 point au-dessus du taux de dépense publiques de 2019. De l’aveu même du gouvernement, l’Etat a dépensé des 160 à 200 Md€ au titre du « quoi qu’il en coûte » pendant la Covid et encore une cinquantaine de milliards d’euros depuis 18 mois au titre de la crise énergétique. Mais depuis la situation est revenue à la normale, ou presque, et les dépenses publiques ne baissent pas autant qu’elles ont augmenté précédemment. L’Etat a profité des crises pour maintenir un niveau élevé de dépenses. M Le Maire avait annoncé la fin des aides exceptionnelles de toutes sortes mais M Macron a promis ce 25 septembre au soir aux téléspectateurs une nouvelle aide  de 100€ pour faire face aux prix du carburants. La majorité relative actuelle ne survit qu’en achetant sans cesse ses électeurs au détriment des contribuables qui, au titre de l’impôt sur le revenu,  ne représentent qu’une minorité (environ 44% des électeurs) ! 

Peut-on dire que le budget qui s’apprête à être présenté est insincère ?

Philippe Crevel : Il est aussi insincère que tous les budgets qui ont été présentés avant lui. Il s’agit, par définition, d’un exercice complexe durant lequel il faut jongler avec les incertitudes. Comme dans tout document comptable ou budgétaire, quel qu’il soit et quel que soit le niveau auquel il est établi (c’est-à-dire en entreprise, en collectivité locale, au niveau de l’Etat, par exemple), on trouve des possibilités (et des tentations) de jouer avec l’orthodoxie. Dans le cadre du budget de l’Etat, on parle de plusieurs centaines de milliards d’euros. 

C’est une situation qui n’est pas propre aux exécutifs d’Emmanuel Macron. Rappelons d’ailleurs que la compétence d’un ministre et de son équipe, c’est bien souvent de savoir user correctement de toutes les ficelles disponibles en matière de finances publiques.

Une partie conséquente des dépenses, lors de la réalisation d’un budget, est reconduite depuis l’année précédente. Dans quelle mesure disposons-nous de marge de manœuvre pour réaliser des économies ? Celles-ci sont-elles utilisées de façon optimale ?

Philippe Crevel : Il y a effectivement des dépenses, dites courantes, que l’on reporte d’année en année. Naturellement, il n’est pas possible de les effacer du jour au lendemain. On ne peut pas, par exemple, licencier 500 000 fonctionnaires d’un claquement de doigts et Nicolas Sarkozy, qui envisageait de ne pas renouveler un départ sur deux, s’est heurté à une hostilité importante. En matière d’économie, en France comme ailleurs, il est extrêmement difficile de remettre en cause des dépenses passées, qu’il s’agisse de dépenses de fonctionnement, de prestations sociales. Je pense qu’Emmanuel Macron se souvient des 5 euros d’APL…

Du reste, l’équation n’est pas que budgétaire. Elle est aussi politique et c’est un volet qui s’avère particulièrement difficile à aborder aujourd’hui. Notre pays est particulièrement rétif aux économies, est drogué au quoiqu’il en coûte, considère qu’il n’est pas dramatique d’ajouter une cinquante-et-unième année de déficit public… et l’exécutif doit composer sans majorité à l’Assemblée nationale. Les concessions auxquelles il lui faudra donc consentir se traduiront donc probablement par plus de dépenses et moins de recettes. C’est ainsi que cela s’est passé sous la VIème République.

Le schéma politique actuel est peu propice à l’orthodoxie budgétaire.

Jean-Philippe Delsol : Les dépenses publiques doivent et peuvent être maitrisées.

Il ne suffirait pas d’ailleurs de maitriser les dépenses publiques, il faut les réduire. C’est possible puisque d’autres pays le font. Comparez :

Bruno Le maire dit que la France dépense 1,5 points de PIB de plus que l’Allemagne pour le logement et que les Français ne sont pas mieux logés que les Allemands.

Concernant l’éducation, la France y consacre 3,5% de son PIB contre 2,9% en Allemagne et 3,4% au Canada. Donc à peine moins. Mais les résultats de la France sont désastreux.

En faisant aussi bien que des pays comme l’Allemagne ou le Canada, dont les habitants n’apparaissent pas maltraités, la France pourrait économiser 8 à 10 points de PIB, soit 220 à 270 milliards d’euros, de quoi supprimer le déficit, rembourser nos dettes et réduire les impôts pour encourager la croissance.

Peut-on vraiment prôner une baisse des dépenses sociales tout en continuant à vouloir soutenir la consommation à l’aide de boucliers tarifaires ou organiser la transition écologique ? N’y a-t-il pas là une envie de tout qui résulte, in fine, sur l’absence de choix ?

Philippe Crevel :L’épidémie de coronavirus a permis à l’Etat de retrouver une certaine légitimité par l’action. Depuis, il n’a pas fait montre d’une réelle envie de se défaire de ses habits de grand-maître des horloges. De ce fait, il souhaite intervenir sur tous les fronts, de la transition énergétique à la fixation des prix de l’essence en passant par l'artificialisation des terrains. Nous sommes dans une période d’hégémonie administrative, laquelle s’inscrit dans le prolongement de la crise sanitaire. C’est à ce moment-là que nous avons donné les clefs de l’économie à l’Etat et il s’avère difficile de les lui reprendre depuis. D’autant que, en France, l’Etat et ses administrations ont toujours joui d’une certaine hégémonie. Il a toujours tendance à vouloir accroître son périmètre et plus il le fait, plus la dépense publique augmente. D’où cette montée aux extrêmes en matière budgétaire.

Jean-Philippe Delsol : Il faut restructurer nos dépenses sociales. On peut faire mieux avec moins ainsi que les chiffres de pays comparables le démontrent ci-dessus. Il faut se poser la question de savoir pourquoi on fait moins bien que les autres.

Pour ma part, je pense que la raison de ces dépenses élevées et avec un piètre rendement est probablement dans la centralisation et la gestion publique. L’Etat jacobin veut tout faire alors qu’il devrait faire faire le plus possible. Il doit se soucier que tous les enfants soient scolarisés, mais pourquoi veut-il posséder les écoles, embaucher les enseignants, garder le monopole de délivrance des principaux diplômes… ? Et pourquoi accorde-t-il un statut privilégié, celui de la fonction publique, aux professionnels qu’il emploie dans les écoles et les universités, dans les hôpitaux… alors que d’autres professionnels font le même métier sous le bénéfice de contrats privés dans certaines écoles, dans les cliniques… ? Le statut de la fonction publique décourage de travailler jusqu’aux meilleurs éléments puisqu’il promet à tous un emploi quasiment à vie avec une progression assurée quasiment  indépendamment des mérites. En même temps il entrave la mobilité, la responsabilité, l’innovation… Et les fonctionnaires sont si nombreux en France que l’esprit affadi de la fonction publique déteint sur l’esprit français tout entier. Le statut de la fonction publique est le cancer de la société française.

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