Budget 2013 : a-t-on bien mesuré la différence entre une réduction des déficits à la De Gaulle et à la Pierre Laval ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pierre Moscovici poursuit l'objectif fixé par François Hollande : abaisser coûte que coûte à 3% du PIB le déficit public de la France.
Pierre Moscovici poursuit l'objectif fixé par François Hollande : abaisser coûte que coûte à 3% du PIB le déficit public de la France.
©Reuters

Leçons du passé

Pierre Moscovici a réaffirmé dimanche que le projet de loi de finances (PLF) sera présenté avec un déficit réduit à 3% du PIB, l'objectif fixé par François Hollande. Mais l'Histoire l'a montré : vouloir réduire les déficits trop rapidement sans mettre en place de larges réformes de structure fait courir un énorme risque à l'économie.

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou est économiste et essayiste, fondateur du cabinet de conseil Asterès. Il a publié en septembre 2015 Le Grand Refoulement : stop à la démission démocratique, chez Plon. Il enseigne à l'Université de Paris II Assas et est le fondateur du Cercle de Bélem qui regroupe des intellectuels progressistes et libéraux européens

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Je reçois plusieurs appels quotidiens de journalistes me demandant de « défendre » l’objectif du gouvernement d’abaisser coûte que coûte à 3% du PIB notre déficit public l’année prochaine. Et, systématiquement, je les déçois car un tel objectif me paraît hors de portée. S’entêter dans cette voie aurait des conséquences terriblement néfaste. J’en m’en suis ouvert à plusieurs parlementaires de la majorité qui ont balayé mes craintes : en ne taxant que les « riches », on ne risque pas de plonger la France en récession en réduisant aussi rapidement les déficits publics, même si chacun sait que la croissance est nulle depuis plusieurs trimestres et que la rigueur fiscale ne touche pas que les hauts revenus ou patrimoines. Les classes moyennes vont être aussi très durement frappées, par exemple par la fin des exonérations de charges sur les heures supplémentaires. L’économie française est donc sur le fil du rasoir. Ce débat me rappelle un fait historique très étudié par les économistes : la déflation Laval.

En effet, nos débats actuels sur la nécessaire dose de rigueur budgétaire et la compatibilité de l'austérité avec la croissance constituent un classique en France. Ils remontent en réalité à l’Ancien-Régime. Déjà, sous le règne de Louis XIV, Boisguillebert se demandait pourquoi la France « sous-performait » ses voisins. Il apporta une réponse classique : depuis Sully, la France a montré une incapacité à réduire les dépenses publiques. L’alourdissement continu de la fiscalité a pénalisé la croissance et donc la capacité à générer des recettes fiscales durables.

Du point de vue financier, la politique Laval ne s’écarte pas de la tradition française. Pierre Laval, nommé président du Conseil à la tête d'un gouvernement de centre droit, fait face à un problème qui deviendra récurrent dans les années 1990 : la dévaluation de nos partenaires commerciaux, en l'occurrence des Etats-Unis (en 1933) et surtout de l'Angleterre (en 1931), qui mine notre industrie et notre agriculture, et détériore les rentrées fiscales. Laval se fixe néanmoins un objectif considéré comme intangible : demeurer dans le bloc or. Pas de dévaluation possible, mais seulement une politique de déflation par les coûts et les prix. Pour ce faire (et il n'aurait sans doute pas pu en être autrement), Laval a obtenu du Parlement plusieurs mois de direction du gouvernement par décret pour « lutter contre la spéculation et défendre le franc ». Il en use largement, décidant notamment d'une baisse des salaires des fonctionnaires, des dépenses de transfert (comme les pensions aux anciens combattants) et d'une réduction de certains prix, comme l'énergie ou les loyers. Les hauts revenus sont également mis à contribution et voient leur fiscalité alourdie. Certes, les prix baissent, mais ce qui est regagné en compétitivité prix est finalement peu de chose par rapport à ce qui est perdu en demande interne. Le déficit public ne se réduit pas et le peuple en appelle au Front populaire, qui, en campagne, s'arc-boutera sur un ancêtre du « ni-ni » : « ni dévaluation ni déflation », avant de dévaluer sagement, en 1936.

De Gaulle, président du Conseil à la tête de ce qu'on appellerait aujourd'hui un gouvernement de coalition, fait face, en 1958, à des déficits sans commune mesure avec ceux d'aujourd'hui, mais suffisamment importants pour l'amener à considérer que l'indépendance de la France est menacée. En outre, ces déficits sont largement financés par des avances de la Banque de France, ce qui entretient l'inflation. De Gaulle demande au ministre de l'Economie Antoine Pinay de réunir un comité d'experts dirigé par Jacques Rueff (l'ancien conseiller de Laval) et chargé de faire des propositions. Le plan, qui reçoit la bénédiction du Général, est articulé autour de trois principes : une remise à l'équilibre du budget de fonctionnement de l'Etat (ce que l'on appellera plus tard la rigueur), une accélération de la baisse des droits de douane (l'inverse de la démondialisation) et une dévaluation d'environ 17 %, ce qui fait grincer des dents dans la haute administration. Evidemment, ce sont ces deux derniers points qui présentent un caractère d'originalité. Ce qui fait du plan Pinay-Rueff une réussite, contrairement au plan Laval, c'est qu'il pratique la rigueur, mais en l'accompagnant d'une politique de l'offre (la stimulation de la productivité engendrée par la concurrence internationale), et d'un anti-inflammatoire (la dévaluation qui permet, sur un mode assez keynésien, d'aller rechercher à l'extérieur ce que la rigueur fait perdre en demande interne). La période qui suit l'adoption du plan verra les principaux déséquilibres macroéconomiques se résorber dans un contexte de croissance très forte.

Quels enseignements tirer de ces deux épisodes pour la période actuelle ? Que la rigueur ne doit pas se confondre avec la déflation. Le retour à l'équilibre des soldes publics courants est nécessaire et, de toute façon, nous n'avons pas le choix puisque ce sont nos créanciers qui l'exigent. Mais il nécessite un accompagnement monétaire (ce que fait la BCE de plus en plus) et une politique de croissance économique, qui pourrait prendre la forme d'une ouverture, non pas à l'international, ce n'est plus le sujet, mais à la simple concurrence interne d'un certain nombre de secteurs protégés. C'est de cette façon que l'on peut atteindre le Graal : diminuer les déficits publics en augmentant notre potentiel de croissance, soit le rêve des dirigeants occidentaux aujourd'hui chargés des politiques économiques.

L’Histoire ne se répète pas, et la compétence technique du gouvernement français ne saurait être mise en doute. Ceci dit, il me semble, au regard des outils de l’analyse économique et des faits empiriques que vouloir réduire les déficits trop rapidement et uniquement en alourdissant la fiscalité, sans mettre en place de larges réformes de structure, fait courir un énorme risque à l’économie française.

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