Bruits de bottes russes sur l’Ukraine : petite revue des moyens militaires en présence<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Défense
Des soldats russes de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) assistent à une cérémonie en janvier 2022.
Des soldats russes de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) assistent à une cérémonie en janvier 2022.
©ALEXANDRE BOGDANOV / AFP

Tic tac, tic tac, tic tac…

Après le Donbass et la Crimée, la Russie menace la souveraineté territoriale de l’Ukraine. Kiev et les Occidentaux s’inquiètent depuis de nombreuses semaines du renforcement du potentiel militaire russe à la frontière ukrainienne.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

Voir la bio »

Atlantico : Quel est l’état actuel de l’armée russe en termes de forces, en termes de vétusté, de capacités mobilisables ? A quel point l’armée russe est-elle puissante et en capacité d’agir ?

Jean-Vincent Brisset : L’armée russe reste une puissance extrêmement importante. Les combattants déjà projetés à proximité de l’Ukraine sont un peu plus de 100.000. Il s’agit d’une quantité importante. C’est à comparer avec l’ensemble de l’armée de terre française pratiquement. Ce sont des forces qui sont projetées, qui sont toutes en capacité de se battre. Les administrations sont restées derrière. Ce sont des forces relativement modernes. Les militaires russes, les cadres en particulier, tournent en Syrie depuis plusieurs années. Ils sont au contact des réalités opérationnelles. La plupart des cadres russes ont fait la guerre récemment.

Au-delà de cette force qui est déjà déployée à la frontière, l’armée russe qui dispose en totalité de 900.000 hommes selon les derniers chiffres de l’IRIS. Sur le plan matériel, quand on compare avec les forces occidentales, il y a une différence dans la mesure où la Russie continue avec les traditions héritées de l’Union soviétique, ce qui fait que l’on gardait tout, y compris des équipements un peu vieux quitte à les remettre en service plus tard. La Russie dispose notamment de 2.800 chars (quatorze fois plus que la France). L’armée russe a 1.000 avions de combat (sept ou huit fois plus que la France). Les avions de combat sont pratiquement tous modernisés. Et la Russie consacre un budget de défense de l’ordre d’une quarantaine de milliards par an, soit 2,7% du PNB, c’est dix fois plus que l’Ukraine.

À Lire Aussi

L’Europe sous-estime-t-elle largement la réalité de la menace d’invasion russe de l’Ukraine ?

En termes de forces brutes, à quel point est-ce que l’Ukraine est en situation d’infériorité sur la question des capacités, du nombre et de l’équipement ? La modernisation décidée après 2014 peut-elle porter ses fruits ?

Le budget de défense de l’Ukraine, c’est 4,3 milliards de dollars par an, soit 3% du PIB. Théoriquement, il y a 210.000 hommes dans l’armée ukrainienne avec 145.000 dans l’Armée de Terre. Ces chiffres sont à mettre en perspective par rapport aux 110.000 combattants russes, déjà prêts à être engagés à la frontière. Pour l’armée ukrainienne, parmi les 145.000 personnels de l’Armée de Terre figurent 50 à 60.000 combattants pour l’ensemble de l’Ukraine. Les forces terrestres ukrainiennes ne peuvent pas s’opposer aux Russes selon des équilibres jouables.

Les forces ukrainiennes disposent du même matériel que les Russes mais en plus vieux et bien moins entretenu. En nombre, il y a une grande quantité de matériel en Ukraine. Mais en termes de qualité, il s’agit de matériel de générations précédentes pratiquement dans tous les domaines. Ces équipements sont d’une génération plus ancienne que les équipements russes. La disponibilité n’est donc pas forcément très bonne.

Le plan de modernisation est très récent et n’a pas encore produit beaucoup d’effets. Les Ukrainiens voulaient intégrer l’OTAN et mettre son armée aux standards de l’organisation. L’ambition a donc été revue à la baisse au profit d’un interopérabilité avec les forces de l’OTAN. Dans le combat moderne, l’interopérabilité signifie des choses que l’Ukraine n’a sans doute pas encore (communication, identification, procédures).

À Lire Aussi

Ogre russe : cette incompréhensible insouciance occidentale face à l’ultimatum lancé par Vladimir Poutine à l’OTAN

Un certain nombre de livraisons de matériels en provenance de pays occidentaux en faveur de l’Ukraine ont été recensées. Quelle est l’importance de ces livraisons ?

Il y a des livraisons de matériels anti-char, des missiles notamment. Il y en avait déjà dans l’inventaire ukrainien. Cela participe donc à un complément de dotation de missiles anti-char. Si vous voulez vous opposer à une force de la taille des troupes russes qui pourraient attaquer, les options et les tentatives vont être avec du matériel purement défensif, du matériel anti-char. La meilleure défense contre un char étant de pouvoir disposer d’un char. Il y a une disproportion flagrante entre les deux côtés. Les livraisons, notamment de munitions, ne dépassent pas quelques millions de dollars. La Turquie fournit du matériel à l’Ukraine, mais simplement parce que les ennemis de mes ennemis sont mes amis.

Faut-il voir dans ces livraisons un moyen de rendre plus coûteuse à Moscou une potentielle intervention ?

Oui c’est possible. Mais encore faudrait-il être sûr que la Russie souhaite intervenir militairement. Les soldats à la frontière ukrainienne ont été déployés progressivement depuis 2014, une partie a été retirée et remplacée mais il n’y a pas de montée en puissance. D’après ce que disait récemment Michel Goya, il n’y a pas de logistique mise en place pour une invasion, pas d’hôpitaux de campagne par exemple. Les Russes demandent des garanties, ils n’ont pas intérêt à attaquer.

Dans quelle mesure l’OTAN est un allié important pour l’Ukraine ? Dans quelle mesure peut-elle mobiliser des troupes rapidement en Ukraine en cas de besoin ? Est-ce qu’un rapport de force pourrait s’instaurer ?

À Lire Aussi

Que peut faire la Russie en cas de "sanctions sans précédent" ?

L’OTAN n’a pas vocation à aller se battre en Ukraine. L’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN, ni de l’Union européenne. Il n’y pas de raisons qui justifient que l’OTAN aille se battre en Ukraine au niveau d’une alliance. Les Ukrainiens sont très demandeurs. Les Européens sont divisés à l’idée d’intégrer l’Ukraine dans l’OTAN. Les Allemands ont de nombreuses réticences notamment à réagir ou à intervenir. En termes de capacité théorique de réaction de l’OTAN sur ce genre d’opération, il y a une fusée à deux étages. Le premier étage est constitué d’une force multinationale à très haut niveau de préparation qui est capable de se déployer en deux ou trois jours avec 7.000 hommes à terre ainsi que des bateaux et des avions. Le deuxième étage de la fusée regroupe 20.000 membres d’une force entraînée et déployable dans les sept jours. Le commandement de cette force à l’heure actuelle est entre les mains de la France pour 2022. Le poste de commandement est situé à Lille. Avant cela, c'était la Turquie qui dirigeait cette force d’intervention rapide.

Si l’OTAN n’a pas vocation à intervenir directement, faut-il regarder les capacités des pays alliés de l’Ukraine et avec quels moyens ?    

Si l’on intervient au nom de l’OTAN, les populations des différents pays qui fournissent les troupes n’ont pas tellement leur mot à dire. Par contre, si l’on intervient pays par pays, les populations se sentent beaucoup plus concernées. Il y a des nécessités législatives dans chaque pays. Certains engagements doivent être pris rapidement, d’autres sur le temps plus long pour constituer une force ad hoc. Est-ce que les Français, les Belges ou les Allemands sont prêts à mourir pour l’Ukraine ? Je n’en suis pas du tout persuadé. Autant les dirigeants sont prêts à envoyer des militaires, autant les populations l’accepteraient sans doute très mal. Les problèmes de la gouvernance ukrainienne, de la révolution orange ressortiraient. Une autre difficulté concerne le robinet de gaz. S’il est coupé, cela va provoquer des catastrophes dans les pays européens.

À Lire Aussi

Russie - OTAN : Les négociations n'excluent pas les pressions militaires et plus...

Quel budget l’Europe et l’OTAN pourraient avoir pour soutenir l’Ukraine ?

La totalité de la défense européenne, Royaume-Uni compris, représente 200 milliards de dollars environ. C’est presque cinq fois le budget Russe. Mais si on envoie des forces, ce ne sera que 5 ou 10% des forces. Mais on ne peut pas comparer le budget Russe ou Ukrainien à l’argent européen qui n’est pas un budget à proprement parler. Ce sera un coût en cas d’intervention.

On a parlé du rapport de force purement en termes militaires, purement en termes de nombre mais est-ce que dans un conflit comme celui qui pourrait se produire entre la Russie et l’Ukraine seul le nombre compte ? Est-ce qu’il faut prendre en compte aussi la situation ? Est-ce que l’équilibre militaire est inéluctablement en faveur de la Russie ?

L’endroit où pourraient intervenir les Russes semble être le Donbass. Il s’agit de deux régions du territoire ukrainien où la population est majoritairement russophone qui ont proclamé une espèce d’indépendance au sein de l’Ukraine. Ce sont des républiques dissidentes qui n’existent pas vraiment ou qui ne sont pas reconnues mais qui sont beaucoup plus favorables aux Russes qu’aux Ukrainiens. Si les forces russes rentraient dans cette zone, les troupes ukrainiennes devraient agir au milieu d’une population qui leur serait relativement hostile. Si les Russes veulent annexer le Donbass comme ils l’ont fait en Crimée, ils pourraient le faire très rapidement. Je vois mal ce que pourraient faire les Ukrainiens hormis des actions de guérillas et du sabotage. En revanche, j’imagine mal les Russes aller jusqu’à Kiev.

Julien Théron, expert en conflits internationaux et enseignant à Sciences Po, fait mention dans The Conversation de l'apparition de "bataillons de défense territoriale" qui pourraient mener une guérilla et ainsi poser une difficulté à des forces d’occupation. Est-ce un élément important ?

Il est évident que si les Russes voulaient aller jusqu’à la frontière de la Moldavie, ce qui me semble irréaliste, ils trouveraient une résistance. Il semblerait qu’il y ait pas mal de réservistes disposés à agir, mais sans doute très mal entraînés et mal armés. Ils seraient toutefois capables de faire de la résistance.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Milices et guerre électronique high-tech : un inquiétant tournant

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !