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Assurance chômage, santé, retraite : l’agonie des systèmes paritaires de protection sociale s’accélère...
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Dans le mure

L‘échec de la négociation chômage donne le coup de grâce au système paritaire. Le modèle social français fondé sur la co-gouvernance par les partiaires sociaux vit ses derniers jours mais qui osera le dire ?

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Après l’échec cette semaine de la négociation pour redresser l’assurance chômage, le président de la République n‘a pas eu tort de tacler les partenaires sociaux incapables d’assumer leur responsabilité. « On réclame de toute part des corps intermédiaires responsables, et quand ils ont un dossier un peu difficile à traiter, ils redonnent le dossier à l’Etat pour que l‘Etat paie les factures » s’est étonné le président. Mais l‘Etat c’est le contribuable !

L’échec de la négociation sur le chômage a peut-être donné le coup de grâce au système paritaire comme moyen de gérer le modèle social français.

Parce que, les yeux dans les yeux, tout le monde ment.Le courage politique et la bonne logique aurait été de dire la vérité du système social français. Expliquer que le système installé après la guerre prenait l’eau de toute part, parce que les syndicats se sont enfermés dans une protection d’avantages acquis qui ne correspondent plus à l’environnement. Les organisations patronales, tout comme les syndicats de salariés.

Dire la vérité, ça aurait été aussi d’expliquer que le format et les procédures qui peuvent remplacer ce paritarisme épuisé sont capables de garantir une pérennité, une qualité de services améliorée et surtout, un coût qui n’hypothèque pas la compétitivité du système économique Mais, personne n’ose en parler.Les politiques n’ont jamais osé en parler aussi crûment qu’aujourd’hui. Les syndicats n’ont pas fait la pédagogie du changement auprès de leurs adhérents trop rares.

Tout le monde est tétanisé et chacun cherche des coupables. Les syndicats de salariés accusent les patrons et réciproquement. L‘Etat se débat avec les fins de mois en craignant que la grogne sociale ne s’ajoute à celle des gilets jaunes.

Sur l’assurance chômage, les choses sont maintenant claires. Le gouvernement n’a pu que constater le désaccord profond entre les partenaires sociaux sur les modalités de financement du système.Et la fracture ouverte sur une réforme dissuasive des contrats courts.Tout se passe comme si personne ne voulait comprendre qu’en période de chômage, les indemnités explosent et avec les indemnités, la totalité du système.

Au-delà du périmètre couvert par le chômage, c’est Edouard Philippe qui s’est engagé sur le terrain miné des fins de droits, ou plus largement, du régime qui gère le RSA et toutes les formes d’allocations. Sa réflexion était très simple.Il invitait les partenaires sociaux à s’interroger si on ne pouvait pas imaginer que les allocations soient assorties d’obligations d’activités ou de formation. Quelle audace qui lui a valu une volée de critiques et de sarcasme !

Sur la retraite, Jean-Paul Delevoye, chargé de préparer la réforme, multiplie les propositions pour faire comprendre que si la durée de vie s’allonge et que l’activité professionnelle se raccourcit, il faudra bien, soit augmenter les cotisations, soit retarder le départ à la retraite, soit diminuer les pensions. Ou alors changer de système.

Sur l’assurance maladie, on sent bien que Matignon veut ouvrir une concertation pour réformer le système des indemnités journalières en cas de maladie. Limiter les arrêts de travail courts et moduler les arrêts longs (qui monopolisent plus de 80% des remboursements). Pour faire des économies, certes, mais parallèlement inventer une compensation payée par l’employeur de la perte de salaires liée aux congés-maladie chez tous ceux qui ont moins d’un an d’ancienneté ou alors qui sont en CDD. Mais constatant que là encore, les partenaires sociaux sont hostiles au changement, le gouvernement sera bien obligé d’intervenir.

A partir du moment où le président de la République a ouvert des projets de réforme des systèmes sociaux et où chacun s’est mis à travailler sur les dossiers techniques,on s’aperçoit que c’est l’ensemble du système paritaire qui est à l’agonie.

La France pouvait être fière de son modèle social. Fondé après la guerre à l’initiative politique du Général de Gaulle,la conception de ce modèle reposait sur le principe de la solidarité. C’est à dire qu’il était universel et bénéficiait à tous en couvrant les grands risques de la vie : le travail avec l’assurance chômage, la santé avec l‘assurance maladie, et la retraite avec l’assurance vieillesse.

La caractéristique de ce système, c’est qu’il était paritaire, on avait choisi d’en confier la responsabilité aux partenaires sociaux, organisations syndicales et patronales qui déterminaient les risques couverts et à quelle hauteur, mais aussi le montant des cotisations payées par les employeurs et les salariés.

Ce système a très bien fonctionné pendant presque un demi-siècle pour une raison simple. Il y avait de la croissance, de l‘activité, et des emplois. Bref du grain à moudre. Les partenaires sociaux se partageaient le gâteau des Trente glorieuses.

Et puis, à partir des années 1980,début des mutations mondiales, la croissance dans les pays développés s’est tassée. Les recettes capables de financer la protection sociale se sont taries. Nous sommes passés d’une gestion facile des excédents à l’obligation de gérer des pénuries.C’est devenu d’autant plus frictionnel que les risques à couvrir se sont accrus.

Coté emploi,une hausse des chômeurs à indemniser. Cotés anté, plus de maladies à soigner longtemps et une espérance de vie qui allonge la durée de la retraite.

Résultat des comptes : les régimes sociaux se sont déséquilibrés avec l’impossibilité pour les syndicats de s’entendre pour savoir qui allait couvrir les déficits.Personne, ni les salariés, ni les chefs d’entreprises, ne pouvaient accepter cette galère.

On ne pouvait ni rogner sur le pouvoir d’achat des salariés, ni raboter les marges de la compétitivité.Par ailleurs, pas question pour les partenaires sociaux d’abandonner les avantages acquis.La retraite devait rester à l’âge où on l’avait fixée à l’époque des machines à vapeur, quand les luttes sociales battaient leur plein.

En pleine crise des années 1990,on a même accru à nouveau le fardeau social avec les 35 heures au plus mauvais moment du cycle économique. On n’est jamais revenu sur cet acquis social unique en Europe.

Devant l’ampleur des dégâts sur la sécurité sociale,il a donc bien fallu que quelqu’un paie. L’Etat est donc intervenu en imposant des recettes supplémentaires (dont la CSG) mais l’Etat c’est nous, nous les contribuables.

Cette situation a fait de la France, la championne du monde développé de la dépense sociale, championne du monde des prélèvements obligatoires et des déficits.

Et globalement, à l’issue d’une analyse rapide (mais pas fausse), cette situation a réussi, au terme de 40 ans de déficits,à mettre les gilets jaunes en colère sur les ronds-points de la France et de Navarre.

Voilà comment l’histoire d’une France post industrielle a aussi perdu l‘ADN de son modèle social parce qu’à partir du moment où l’Etat arrive et paie la fin de mois,qu’il comble tous les déficits sur le chômage, sur la santé et sur les retraites. L’Etat a pris de plus en plus de pouvoir sur les partenaires sociaux. Dans tous les systèmes organisés, c’est évidemment celui qui paie qui commande. Sur ce point il n‘y a pas débat !

Aujourd’hui, c’est évidemment l‘Etat qui prend la main sous les cris d’orfraie des partenaires sociaux qui se retrouvent dessaisis de toute initiative.L’Etat, lui, a deux obligations : faire en sorte que la protection sociale ne s’effondre pas.Mais faire en sorte aussi que le financement de cette protection sociale n’effondre pas le système économique.

Ce qui veut dire deux choses :

Première chose : l’Etat prend la gestion des systèmes sociaux, il va les nationaliser, du moins dans un premier temps. C’est absolument évident sur le chômage et au delà de leurs états d’âme, les partenaires sociaux seront d’accord.L’Etat doit donc une trouver une solution de trésorerie pour financer 70 milliards de déficit.Mais il doit aussi trouver le moyen de dépenser moins. Et dépenser moins en allocations chômage, c’est investir davantage en emplois, activité et formation. Un travail structurel.

Deuxième chose : si l’Etat gère la protection sociale, l’intérêt pour tous sera qu’il fasse passer des pans entiers de cette protection sociale sous la logique assurancielle. Contrairement à ce qu’on dit, l’assurance sociale n’existe pas en France, le modèle paritaire fonctionne sous l’égide des principes de solidarité.

Si on veut continuer de profiter de la dépense sociale sans mettre en risque le système économique, il faudra emprunter des principes de fonctionnement chère à l‘assurance. L’assurance, c’est une mutualisation du risque entre ceux qui acceptent ou choisissent d’être assurés. Tout peut s’assurer. La perte d’un bras ou d’un œil dans un accident, la perte d’un job, le coût d’une vieillesse ennemie, comme dit don Diego dans le Cid «  bref la vie, et la mort ». Tout s’assure et les professionnels savent calculer ce que ça coûte et à qui ça coûte.

Le sauvetage du modèle social passe donc forcément par une mutation vers les logiques d’assurance qui permettent aux assurés un niveau de consommation et des niveaux de protection sociale de même qualité,et cela au même coût compte tenu de la concurrence qui ne se privera pas.

La plupart des pays occidentaux ont un taux de prélèvements obligatoire de 10 à 15 points inférieur au notre. Ça ne veut pas dire qu‘ils ont niveau de protection sociale moindre. Ça veut simplement dire que le mode de financement est différent. Les 10 à 15 points d’écart sont de la responsabilité de l’assuré social qui décide lui-même du niveau de couverture du risque et qui choisit son prestataire.

Alors, pour la France ça peut paraître révolutionnaire bien sûr, mais bien que non écrite et non exprimée, cette prise de responsabilité individuelle sur ce que l’on veut consommer ou pas, doit répondre à certaines revendications. 

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