Assistons-nous à une démondialisation ou à une désoccidentalisation de la mondialisation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Justin Trudeau, Charles Michel, Joe Biden, Yoshihide Suga, Boris Johnson, Mario Draghi, Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen et Angela Merkel posent lors du sommet du G7 à Carbis Bay, le 11 juin 2021.
Justin Trudeau, Charles Michel, Joe Biden, Yoshihide Suga, Boris Johnson, Mario Draghi, Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen et Angela Merkel posent lors du sommet du G7 à Carbis Bay, le 11 juin 2021.
©Leon Neal / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Jacques Soppelsa et Alexandre del Valle publient « La mondialisation dangereuse : vers le déclassement de l’Occident ? » aux éditions de L’Artilleur. Après l’effondrement du système bipolaire consécutif à la fin de l’URSS et à l’abandon de logique des blocs, le monde est entré dans une ère de grande incertitude. Aggravation du fossé entre les pays du Nord et ceux du Sud, essor des conflits inter-étatiques, terrorisme international, autant de troubles qui se cumulent et viennent compliquer les tendances « lourdes » que sont les évolutions de la donne énergétique et les aléas du contexte climatique. Extrait 1/2.

Jacques Soppelsa

Jacques Soppelsa

Jacques Soppelsa est normalien, agrégé, docteur d’Etat, ancien président de l’université Paris I – Sorbonne où il a détenu l’unique chaire officielle de géopolitique en France. Il fut conseiller culturel, scientifique et de coopération auprès des ambassades de France aux Etats-Unis et en Argentine. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il a présidé l’Académie internationale de géopolitique.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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L’évolution de l’échiquier géoéconomique mondial de ces dernières années et les crises de 2008 – financière – et de 2020-2021 – sanitaire et économique – ont porté un rude coup à la mondialisation heureuse, tant vantée par Alain Minc et les démocrates américains dans les années 1990. Longtemps indiscutable, cette doxa ne fait plus l’unanimité. Elle est même fortement combattue à l’intérieur de l’Empire américain par les adeptes du nouveau Parti républicain – et pas seulement par l’aile gauchisante du Parti démocrate autour de Bernie Sanders – depuis que le Grand Old Party a été métamorphosé et resouverainisé par les adeptes du Tea Party et Donald Trump, dont les électeurs s’autoqualifient fièrement de « Patriots ». Ces adeptes du « Make America Great Again » accusent ceux qui ont une lecture mondialiste de la globalisation marchande et financière d’avoir affaibli les États-Unis et appauvri les Américains anglo-saxons natifs en faisant subir aux ouvriers étatsuniens la concurrence déloyale mexicaine et asiatique ainsi que l’immigration incontrôlée.

À l’opposé des partisans du libre-échangisme économique, qui voient la mondialisation comme bénéfique en soi, les interventionnistes de droite et de gauche, adeptes de l’État stratège, prônent une altermondialisation ou une démondialisation qui passe par la réglementation, les cycles courts, la réindustrialisation et les relocalisations, voire par une forme de protectionnisme. Dans les années 1990-2000, ceux qui dénonçaient le plus la mondialisation marchande dite « néolibérale » étaient les anticapitalistes No Global (voir mouvement Attac), situés à gauche et à l’extrême gauche, marqués par un tiers-mondisme et un internationalisme prolétarien, qui proposaient un modèle alternatif à la mondialisation capitaliste néolibérale, donc une altermondialisation fondée sur le mantra paradoxal : act local (déglobaliser/renationaliser les entreprises, combattre les multinationales et le capitalisme financier) but think global (mondialiser les institutions publiques, c’est-à-dire supprimer des frontières qui empêchent les migrations – présentées comme bonnes en soi – et promouvoir une citoyenneté universelle). La contradiction résidait dans le fait qu’ils étaient identitairement mondialistes et économiquement nationalistes. Depuis que le monde est en voie de multipolarisation, ce sont des forces plus identitaires et nationalistes qui remettent le plus en question la mondialisation libérale à l’anglo-saxonne et qui œuvrent à une démondialisation. Ces puissances nationalistes ne se limitent pas à des États semi-autarciques comme la Russie. La plus hégémonique d’entre elles, la Chine mercantiliste, cherche plus à désidéologiser, désoccidentaliser et retourner la mondialisation contre ses protagonistes anglo-saxons qu’à la détruire. Les puissances montantes y voient en fait un gigantesque champ de concurrence, le théâtre d’une guerre géoéconomique et géocivilisationnelle qu’elles escomptent gagner face aux pays concurrents ou hégémoniques, notamment occidentaux.

La démondialisation ne décrit donc pas, selon nous, l’aspiration – irréaliste et folle – à mettre fin aux échanges entre êtres humains, ni le « repli sur soi », qui provoquerait inéluctablement le retour des guerres et des nationalismes, d’après les adeptes de la mondialisation heureuse. Elle désigne la volonté des États de récupérer leur souveraineté – politique, économique et financière – et l’aspiration des peuples à défendre leur identité nationale. Celles-ci ont en effet été mises en danger par une mondialisation dérégulée à l’anglo-saxonne, une financiarisation excessive de l’économie, une désindustrialisation corrélative ainsi que par l’action des puissances supranationales et multinationales dont la croissance a semblé s’opérer au détriment des États-nation.

Cette démondialisation, que nous pourrions aussi nommer la postmondialisation, signifie donc plutôt une redistribution des cartes économiques sur des bases géographiques plus cohérentes. Elle implique la réorientation des économies vers la priorité de la production destinée aux marchés locaux ; le rétablissement des « circuits courts » ; l’interdiction ou la limitation des délocalisations ; l’instauration d’un protectionnisme intelligent ; l’imposition de taxes douanières plus élevées aux pays à bas salaires qui pratiquent le dumping social et/ou – comme la Chine – une concurrence déloyale et des échanges inégaux. On peut également mentionner les dernières mesures instaurées sous l’impulsion de Joe Biden et de l’OCDE visant à taxer à une moyenne de 20 % minimum les multinationales et les Gafam. Les penseurs de la démondialisation ajoutent la règle d’une nette séparation entre banques d’investissement et de dépôts, la lutte contre les fraudes et même parfois l’abandon du dollar comme monnaie de réserve mondiale, grande requête des pays multipolaristes de l’OCS et des Brics. L’idée générale est qu’il serait possible de donner un autre contenu à la mondialisation, et empêcher que les délocalisations et la désindustrialisation ne continuent d’appauvrir les peuples et de rendre l’UE toujours plus dépendante, donc à la merci, des puissances commerciales asiatiques ou nord-américaines.

La démondialisation, longtemps assimilée aux protectionnistes d’extrême gauche ou d’extrême droite, a commencé à être prise au sérieux depuis les effets dévastateurs de la crise financière de 2007-2008 et les mesures d’austérité insupportables pour les peuples qui ont suivi. Le terme est apparu pour la première fois en 2002, sous la plume du penseur philippin Walden Bello, auteur de l’ouvrage Deglobalization (2002), qui explique que la mondialisation s’est construite aux dépens des pays du sud de la planète et qui appelle à un contrôle politique des systèmes économiques ainsi qu’à un démantèlement des institutions financières internationales (notamment la Banque mondiale, le FMI, l’OMC), dans une logique assez tiers-mondiste et dirigiste. Outre-Atlantique, c’est le libéral-conservateur américain Donald Trump qui s’est fait élire en 2017 sur un programme de dénonciation des effets pervers de cette mondialisation jugée dangereuse, source de chômage et de perte de souveraineté au profit de l’ennemi géoéconomique chinois, notamment. Une idée jugée au départ belliciste dans la bouche de Donald Trump mais que Joe Biden semble reprendre à son compte en partie aujourd’hui. En Grande-Bretagne, le Brexit a triomphé grâce au vote des régions dévastées par la désindustrialisation et donc des souverainistes – conservateurs comme travaillistes – ainsi que par l’action de Nigel Farage, créateur de partis politiques eurosceptiques Ukip (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, 2016), puis le Parti du Brexit (2019). Ses idées seront reprises par un autre leader non réputé pour son tiers-mondisme ou son étatisme, Boris Johnson, qui table non pas sur une démondialisation à la façon des No Global socialisants mais sur une canalisation de la mondialisation en fonction des intérêts premiers de sa nation redevenue souveraine et capable de sortir de tous les traités internationaux et supranationaux jugés attentatoires à la souveraineté. Il est intéressant de noter que chez ces personnalités occidentales, la logique qui a inspiré les travaux de Walden Bello est renversée : alors que chez le penseur philippin, les politiques de démondialisation devaient servir à protéger les pays du Sud de ceux du Nord, les démondialistes d’Occident veulent protéger les pays du Nord des logiques qui dépassent leur souveraineté nationale, des agressions économiques et du dumping social des anciens pays du Sud et de l’ex-tiers-monde devenus émergents ou même riches.

En France, des personnalités issues de bords aussi différents que le politique Arnaud Montebourg (PS), l’économiste iconoclaste Jacques Sapir, ou l’économiste et journaliste François Lenglet, ont adapté les thèses des démondialistes à la réalité française et européenne. Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif de François Hollande, s’est emparé du thème du made in France et de la réindustrialisation à la suite de la crise financière de 2008 et des mesures d’austérité drastiques imposées par les dirigeants européens et les instances de Bruxelles, chantres de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie. Montebourg rappelle que si les États-Unis dirigent l’ensemble de la technologie mondiale, c’est parce qu’ils protègent leurs technologies et donc leurs intérêts, parce qu’ils ont pratiqué la guerre économique et surtout parce qu’ils n’ont pas laissé faire le marché mondial chez eux, tout en l’exigeant des autres… Et le leadership dans le spatial (lanceurs) qu’ils sont en train de ravir aux Européens est selon lui dû au fait qu’ils ont subventionné Elon Musk et SpaceX, même si en réalité, SpaceX s’est aussi imposé grâce à une série d’innovations et à la supériorité de son business model qui a permis de baisser les prix de production en comparaison avec la Nasa sclérosée. L’homme politique plaide en faveur d’un État fort et reconnaît même que la politique économique de Donald Trump a fonctionné avant la Covid-19 grâce à cette reprise en main de l’économie par le politique en fonction des intérêts nationaux. Il affirme que la France et l’UE devraient suivre l’exemple de Trump face à la concurrence déloyale chinoise en surtaxant les importations de produits chinois et en rééquilibrant l’énorme déficit commercial par une forme de protectionnisme et la fin de la fermeture d’usines ou leur rachat afin de préserver notre capacité de production ainsi que les emplois. Il préconise un capitalisme à l’allemande, comme l’a incarné l’ex-chancelier Gerhard Schröder, aux antipodes du modèle dérégulé anglo-saxon, plus organisé autour de l’humain, des responsabilités, de la participation d’inspiration gaulliste, et il appelle à une reconstruction écologique de l’industrie et de l’agriculture qui favorise les relocalisations et les circuits courts.

De son côté, François Lenglet, auteur de La Fin de la mondialisation, explique que cette dernière a été durablement freinée depuis la crise financière et économique de 2008, phénomène renforcé par la crise sanitaire, au point de remettre en cause le « consensus de Washington », cette doxa mondialisante qui posait le primat des échanges commerciaux et des pouvoirs financiers, de moins en moins régulés par les États. L’auteur constate « l’ensablement » de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce – que la Chine a intégrée étonnamment vingt ans plus tôt que la Russie honnie mais dont les règles ont systématiquement été violées par Pékin –, et il voit dans le rapatriement des chaînes de production vers les États-Unis, notamment, le début d’une tendance lourde initiée sous l’ère Obama et poursuivie par ses successeurs. On peut, certes, lui répondre qu’il serait presque impossible de rapatrier la plupart des usines car cela conduirait à l’augmentation du coût de vie que la société américaine ne pourra pas accepter. Il pronostique par ailleurs que les cures de désendettement imposées aux pays touchés par la crise impliqueront un mouvement généralisé de « renationalisation » financière. Selon lui, la crise sanitaire aurait précipité la fin du cycle libéral enclenché dans les années 1960 avec la génération des baby-boomers et qui atteignit son apogée dans les années 1980-1990. Elle légitimerait la reprise en main de l’économie par les États, le retour d’une forme de souverainisme économique et même d’un protectionnisme raisonné.

Extrait du livre de Jacques Soppelsa et Alexandre del Valle, « La mondialisation dangereuse : vers le déclassement de l’Occident ? », publié aux éditions de L’Artilleur

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