AME : quand la solidarité nationale atteint ses limites <!-- --> | Atlantico.fr
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le système de santé français, réputé dans le monde entier, est victime de son succès
le système de santé français, réputé dans le monde entier, est victime de son succès
©Reuters

Bonnes feuilles

Explosion des dépenses de santé, gaspillages absurdes, lobby des labos, dégradation de la médecine libérale, hôpital public en détresse, inadéquation des politiques de santé... le système de santé français, réputé dans le monde entier, est victime de son succès. Le pays s'enlise et aucune réforme ne parvient à endiguer la lente dégradation qui ronge notre modèle social. Extrait de "Santé, le grand fiasco" (1/2).

Si le bénéfice de l’AME est réel en termes de santé publique et d’accès aux soins des populations les plus démunies, un certain nombre de critiques s’élèvent face aux inégalités de traite- ment entre ceux qui en profitent et les personnes relevant du régime général ne bénéficiant pas de la CMU-C. Un patient AME est, en effet, mieux couvert qu’une personne payant ses cotisations mais n’ayant pas de mutuelle ou pas accès à la CMU complémentaire. Un clandestin capable de justifier de sa présence sur le territoire depuis trois mois, est pris en charge à 100 % alors que le bénéficiaire de la Sécurité sociale n’est pris en charge qu’à 70 % pour ses consultations et entre 15 % et 65 % pour les médicaments. Au ticket modérateur s’ajoutent, en effet, les franchises, le paiement d’un euro forfaitaire par consultation et le forfait hospitalier. Pour avoir une protection équivalente, le travailleur est donc obligé de faire partie des bénéficiaires de la CMU complémentaire, ou de payer en supplément une cotisation à une assurance maladie.

À niveau de ressources équivalent (environ 650 euros par mois), le travailleur régulier français ou étranger bénéficiaire de la CMU complémentaire cotise donc directement et indirectement (CSG et parts salariales et patronales des cotisations sociales) plus de 2 000 euros par an pour bénéficier du même niveau de protection que l’étranger en situation irrégulière pris en charge gratuitement par l’AME. Si le travailleur régulier français ou étranger a des ressources supérieures à ce seuil de 650 euros, il devra souscrire à une complémentaire santé. N’est-ce pas ubuesque ?

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a supprimé la franchise médicale symbolique de 30 euros mise en place en 2011 pour les étrangers clandestins, bénéficiaires de l’aide médicale d’État, afin de répondre aux « exigences de santé publique et d’humanisme1 ». Une décision « irresponsable » selon Bernard Debré : « Tous les assurés sociaux participent au financement du système de soins, même les bénéficiaires de la couverture maladie universelle, qui ne sont pourtant pas riches ! Pourquoi ne pourrait-on pas exiger des immigrés clandestins une contribution – au demeurant modeste – en contrepartie des soins qu’ils reçoivent en France2 ? »

Ce type de discours irrite les associations sur le terrain. Pour le docteur Philippe Tard, travaillant depuis dix ans à Médecin du monde (MDM), « ceux qui évoquent une suppression de l’AME, ou des restrictions à la marge, comme l’institution de franchises, ne se sont manifeste- ment pas penchés sérieusement sur le sujet. Je ne parle même pas du problème moral : com- ment laisser sans soins des populations démunies qui ne se trouvent pas à des milliers de kilomètres, mais à notre porte ? La réflexion sur des sujets complexes comme l’AME ne peut être réduite à des cas particuliers et au constat d’abus. Les abus, les détournements de la législation sont inévitables dans une société soucieuse des droits humains. Il faut craindre que la recherche de la suppression de ces abus, aussi irritants et injustes soient-ils, n’aboutisse à des abus beaucoup plus graves. En l’absence de prise en charge régulière, de nombreuses pathologies (par exemple un diabète, une hypertension artérielle, une infection – VIH ou tuberculose) conduiraient à des décès, ou plus probablement à un engorgement de services d’urgence déjà débordés ». Si le sujet épineux de l’AME se voyait réduit à son financement, certaines questions mériteraient d’être posées : si certains clan- destins n’étaient pas soignés et transmettaient des maladies, combien cela coûterait-il au final ?

Sans vouloir critiquer le système, il n’en demeure pas moins objectivement dérogatoire au droit commun : pas de carte Vitale, pas de médecin traitant, pas de ticket modérateur, pas d’avance de frais pour les soins médicaux et dentaires, pas de forfait journalier à l’hôpital, pas de tarification à l’activité pour les séjours hospitaliers, pas de participation forfaitaire sur les médicaments ni de franchise médicale sur les transports sanitaires… voilà une situation exceptionnelle accordée à des personnes auxquelles on refuse le droit de travailler et pas celui de se soigner. Irrationnel, le dispositif en agace plus d’un, à commencer par certains médecins hospitaliers qui voient des patients utiliser le statut de l’AME pour profiter du système. « Pourquoi les bénéficiaires de l’AME ne rentreraient-ils pas dans le droit commun comme les autres (par- cours de médecin traitant, déclaration en ALD, etc.) » s’énerve un médecin hospitalier. « D’autant que ceux n’ayant pas l’AME mais nécessitant des soins urgents ou semi-urgents peuvent être pris gratuitement à l’hôpital dans le cadre des permanences d’accès aux soins de santé (Pass), qui existent normalement dans tous les hôpitaux publics. »

L’utilité de cette institution est évidente pour les soins d’urgence et/ou graves. En revanche, les dérapages crispent le corps médical quand il s’agit de pathologies peu urgentes ou quand ils découvrent des bénéficiaires de l’AME exploitant les failles du système. L’automatisme de l’attribution de l’aide et la gratuité généralisée des soins sont pointés régulièrement du doigt : « Bien sûr que certains ont compris le système et sont devenus des consommateurs de soins aguerris. La gratuité accélère ces comportements de consommation pure. Certains patients viennent faire leur marché auprès du médecin comme s’ils allaient à la supérette du coin », soupire une infirmière. Jusqu’en 20111 par exemple, des femmes sans papiers se sont ainsi fait rembourser intégralement leurs cures thermales et des parcours de soins type procréation médicale- ment assistée (PMA) avec des fécondations in vitro (FIV), lesquelles ont coûté en moyenne 8 000 euros chacune. À Paris, en 2009, 22 bénéficiaires de l’AME ont eu recours à des PMA pour plus de 99 000 euros. Les cas sont certes extrêmes mais médecins, pharmaciens, infirmières et même certains militants associatifs commencent à dénoncer un dispositif sans limites ni contrôles, parfois détourné de son objectif initial.

Interpellée à ce sujet à l’Assemblée, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, a préféré répondre que les fraudes relevaient du « fantasme ». 827 cas de fraudes sur la CMU-C ou l’AME ont été cependant recensés en 2011, pour un montant de 0,9 million d’euros, reposant essentiellement sur de fausses déclarations en matière de conditions de ressources. Mais il s’agit seulement de la partie émergée de l’iceberg, c’est-à-dire des fraudes détectées.

Extrait de "Santé, le grand fiasco", Véronique Vasseur et Clémence Thevenot (Editions Flammarion), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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