Agriculture : un massacre made in France <!-- --> | Atlantico.fr
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L'éleveur français Michel Van Simmertier arrive avec sa vache Salers Ovalie, l'égérie du Salon International de l'Agriculture, le 24 février 2023.
L'éleveur français Michel Van Simmertier arrive avec sa vache Salers Ovalie, l'égérie du Salon International de l'Agriculture, le 24 février 2023.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Salon de l’agriculture

Le monde agricole français est en butte à un double problème : un discours environnemental qui ignore largement la réalité de ses enjeux d’une part, une politique européenne ravageuse d’autre part. En jeu, la souveraineté alimentaire du pays.

Philippe  Stoop

Philippe Stoop

Philippe Stoop est membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, où il intervient sur l’évaluation des effets sanitaires et environnementaux de l’agriculture. 

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Atlantico : Alors que le Salon de l’agriculture s’ouvre ce samedi, la présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Christiane Lambert, a déclaré : "La France perd en souveraineté alimentaire. L'agriculture française dévisse. Nous importons plus de porcs, de fruits et de légumes." Est-ce une vision alarmiste, ou une réalité ?

Philippe Stoop : C’est une évidence, et qui n’a rien de neuf. Un rapport récent du Sénat a rappelé que, sur les 20 dernières années, la France est passé de 2ème à 5ème exportateur mondial, et que ses importations alimentaires ont doublé. Nous avons découvert en 2022 que nous dépendions totalement de l’étranger pour un condiment aussi populaire que la moutarde. Bien avant ce cas conjoncturel, la production de cornichons extra-fins, dont la consommation est pourtant une quasi-spécialité française, a disparu de nos campagnes. Ces exemples frappants sont anecdotiques, car ils concernent des aliments non indispensables. Mais, pour prendre un autre exemple sur une production plus importante, la consommation française de poulet repose désormais à 50% sur des importations, contre 20% en 2000.

Derrière cette débâcle, il y a des causes économiques et sociales, comme le vieillissement de la population agricole, le coût de la main d’œuvre et la difficulté à attirer des jeunes sur les exploitations agricoles, que ce soit de nouveaux chefs d’exploitation ou de la main d’œuvre salariée. Mais toutes ces difficultés sociologiques sont aggravées par une vision catastrophiste des impacts de l’agriculture, entretenue par les partis écologistes, qui décourage la transmission familiale et l’entrée de nouveaux talents dans ce secteur, et incite à des contraintes réglementaires qui dégradent de plus en plus la compétitivité de l’agriculture européenne, et particulièrement française.

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Dans quelle mesure le discours environnemental que l’on tient sur l’agriculture ignore-t-il la réalité des enjeux agricoles ? A quel point mettons-nous l’accent sur des mesures écologiques qui nuisent - parfois inutilement - à la situation du monde agricole et à la production ?

En fait, ce discours environnemental dominant ignore non seulement la réalité agricole, mais aussi la réalité de la consommation alimentaire. La vision politique française, traduite par les lois Egalim successives, repose sur l’idée que l’agriculture française devrait se positionner sur un haut de gamme en surenchère continuelle sur le plan environnemental. Cela lui permettrait de mieux valoriser ses productions, et ainsi de préserver le revenu des agriculteurs, malgré une production en baisse à cause de ces exigences qui se disent environnementales. Mais la réalité est que seule une minorité des consommateurs est prête à acheter plus cher une alimentation présentée, à tort ou à raison, comme plus écologique. D’où le recours accru aux importations, qui répondent mieux au besoin prioritaire de la majorité des français et des européens : une alimentation de qualité correcte et la moins chère possible. La France est en train de reproduire avec l’agriculture l’erreur qu’elle a commise dans les années 80 avec l’industrie, qu’elle a laissé péricliter et délocaliser, en rêvant de se spécialiser dans un secteur tertiaire plus propre et supposé plus lucratif. 

C’est d’autant plus affligeant que cette polarisation sur les enjeux environnementaux s’accompagne d’un préjugé selon lequel les agricultures extensives, en premier lieu le bio, seraient la panacée pour réduire l’impact environnemental de notre alimentation. C’est bien sûr vrai quand on raisonne localement (l’impact de l’agriculture sur les parcelles agricoles et leur environnement immédiat), mais les études d’impact écologique montrent de plus en plus que ce n’est pas le cas quand on raisonne sur les risques globaux (émissions de gaz à effet de serre et dégradation de la biodiversité globale, en incluant celle des zones non cultivées). Malgré les mises en garde qui devraient résulter des analyses de cycle de vie des produits bio et conventionnels, l’Europe s’obstine à promouvoir des modes de production agricoles qui font baisser sa production alimentaire, et pénalisent sa compétitivité, pour de supposés bénéfices environnementaux de plus en plus chimériques. 

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L’agriculture française est-elle aussi victime des directives européennes en la matière ? et du zèle du gouvernement français à appliquer voire surinterpréter ce droit ?

Il est difficile de faire la part des effets respectifs de la politique européenne et de ses surinterprétations par la politique française. En effet, alors que jusqu’aux années 90, la France avait tendance à freiner chez elle l’application de la réglementation agricole européenne, elle est de plus en plus motrice pour les mesures restrictives, comme elle l’a montré sur le cas du glyphosate. L’exemple récent des insecticides néonicotinoïdes, irremplaçables dans l’état de l’art actuel sur betterave, en est un autre exemple : la France a complètement banni ces produits chez elle, alors que la réglementation européenne n’imposait pas une interdiction totale de toute cette famille chimique, qui va rester employée dans d’autres pays européens. Un autre exemple moins connu, mais tout aussi ravageur pour une production majeure, est celui du diméthoate. Cet insecticide est la seule solution actuellement efficace contre Drosophila suzukii, une mouche ravageuse des fruits, en particulier de la cerise, apparue récemment en Europe. Les évolutions récentes de la réglementation européenne imposaient de réduire les usages de ce produit, auparavant autorisé sur une très large gamme de fruits et légumes, mais n’exigeait pas de l’interdire totalement. C’est pourtant ce qu’a fait la France, laissant ainsi les producteurs de cerise français démunis, alors que leurs concurrents européens peuvent se protéger de façon simple contre ce nouveau ravageur majeur. C’est avec ce genre de « piqures d’épingles » discrètes, dont la gravité est camouflée par leur caractère très technique, que l’on étouffe progressivement des filières agricoles complètes.

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