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En Afghanistan, 
les civils sont tous suspects
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Guerre lointaine

Nicolas Mingasson est le seul reporter à avoir été autorisé par l'armée française à partager pendant un an la vie d'une unité de combat engagée en Afghanistan. Il restitue cette expérience exceptionnelle pour nous faire comprendre, de l'intérieur, les enjeux et la réalité de cette guerre lointaine. Extraits de "Afghanistan : La guerre inconnue des soldats français"(2/2).

Nicolas Mingasson

Nicolas Mingasson

Nicolas Mingasson est photographe et grand reporter.

Il est l'auteur de Afghanistan : La guerre inconnue des soldats français (Acropole / avril 2012) et de Journal d'un soldat français en Afghanistan, (Plon / avril 2011) en partenariat avec le sergent Tran Van Can.

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Gamins ou vieux, hommes ou femmes, tous sont suspects. De cacher une arme ou une ceinture d’explosifs, de renseigner les insurgés, toujours pour quelques dollars ou seulement pour un peu de tranquillité. Les insurgés, en effet, manient habilement le bâton et la carotte. Les civils sont, pour ainsi dire, pris dans un gigantesque étau à plusieurs mâchoires : les talibans et les Français, la pauvreté et la tradition qui, finalement, ne leur laissent qu’une liberté très relative. Alors les hommes n’ont pas d’état d’âme quand il s’agit d’empêcher un civil de rejoindre son village, de fouiller le même homme pour la quatrième fois, de garder un gamin au milieu du groupe pour qu’il ne sorte pas du dispositif. Peu importent ses larmes.

Il est tellement évident qu’il parlera des soldats français croisés 5 minutes plus tôt à son père, qui en parlera à son tour…

Christophe s’est déjà retrouvé dans cette situation. Le soir, à la FOB, nous en discutons. « Non, franchement, je n’ai pas eu d’état d’âme. Et pourtant, j’ai trois enfants, dont une fille qui a l’âge de ce gamin. Je vais te dire, je ne suis même pas sûr que ses larmes étaient sincères. De toute façon, je m’en fous. Ta question n’a même pas de sens ici !

Il y a des risques qu’on ne peut pas prendre. On applique les règles intégralement et, dans cette situation, la règle est simple : personne n’entre et personne ne sort du dispositif. Gamin ou vieillard.

Personne. Il suffit d’une fois pour nous foutre dans la merde et perdre des gars. Je n’ai même pas le droit de me demander si les larmes de cet enfant sont vraies ou pas. Et puis, quoi ? Je n’y peux rien si ce gamin est né en Afghanistan, s’il traînait au mauvais endroit aujourd’hui… »

Vue de loin, la réaction de Christophe peut paraître brutale. Elle l’est. Comme l’est la guerre. Et pour survivre là-bas, il ne faut pas se tromper de règle du jeu.

Dès Bagram et la présentation des règles d’engagement faite par l’officier américain, les soldats savaient que de la théorie à la pratique, il pourrait y avoir un fossé. Plus ou moins large. Mais ils n’avaient pas prévu certaines situations. Comme celle de se retrouver face à un gamin armé d’une kalachnikov. C’est arrivé à F., le tireur Minimi du groupe, au mois d’août dernier. À peine suis-je revenu début septembre pour un nouveau séjour parmi eux, qu’il se met à me raconter l’histoire de ce gamin, au bout d’une ruelle, en train d’épauler son arme dans sa direction. « Nous étions bloqués depuis pas mal de temps au même endroit.

Crédit : Nicolas Mingasson

C’était une situation complètement pourrie, le jour où la 4 a perdu deux hommes. Les insurgés pouvaient nous tomber dessus d’à peu près n’importe où. J’étais posté devant une ruelle très étroite, protégé par un petit muret en terre. Nous étions tous hyper tendus à cause du temps qui passait.

En gros, nous attendions que ça nous tombe dessus ; nous étions tous certains que ça nous tomberait dessus. Ma Minimi était installée sur le muret, je chouffais et j’attendais comme les autres gars du groupe. J’étais préparé à tout sauf à ça ! Tout d’un coup, un gamin a débouché dans la ruelle, à moins de 50 mètres de moi. Ça a été très vite : à peine le temps de comprendre qu’il était armé d’un kalach’ que ce petit con nous balançait une rafale. Un gamin ! Il avait 14 ans, pas plus. J’ai tiré quand même, un bon quart de bande, et le sergent Christophe a riposté avec moi. On ne l’a pas eu, il a réussi à se planquer derrière le mur d’un compound. »

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Extraits d'Afghanistan : La guerre inconnue des soldats français, Editions Acropole (12 avril 2012)

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