Accusé Twitter, levez-vous : le réseau social qui gazouille joue l’opacité face à la justice française <!-- --> | Atlantico.fr
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Twitter est assigné en justice par 4 ONG qui lui reprochent de ne pas en faire assez pour la modération des contenus haineux.
Twitter est assigné en justice par 4 ONG qui lui reprochent de ne pas en faire assez pour la modération des contenus haineux.
©NICOLAS ASFOURI / AFP

GAFAM

Le site américain est assigné par 4 ONG qui l’accusent de ne pas en faire assez pour la modération des contenus haineux. Si la liberté d’expression doit absolument être défendue contre les différentes tentatives de censure, ce combat mérite néanmoins d’être mené dans la transparence.

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN). Il est aussi enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il a exercé les fonctions de délégué interministériel aux usages de l’Internet auprès du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie numérique (2007-2013). Il y a fondé le portail Proxima Mobile, premier portail européen de services mobiles pour les citoyens. Il a coordonné la première conférence ministérielle européenne sur l’Internet des objets lors de la Présidence Française de l’Union européenne de 2008. Il a été le conseiller de la Délégation Française au Sommet des Nations unies sur la Société de l’Information (2003-2006). Il a aussi créé les premières conférences sur l’impact des technologies sur les administrations à l’Ena en 1998. Enfin, il a été le concepteur de « Passeport pour le Cybermonde », la première exposition entièrement en réseau créée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1997.

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Atlantico : Twitter est assigné en justice par 4 ONG qui lui reprochent de ne pas en faire assez pour la modération des contenus haineux. Dans l’état actuel des choses, Twitter a-t-il les moyens de mettre en place des mesures pour modérer ces contenus ? Surtout, est-ce vraiment dans son intérêt ? 

Bernard Benhamou : Twitter n’est pas le mastodonte que sont Facebook ou Youtube. Twitter fait même figure de nain économique en comparaison de ces deux géants du numérique. Mais certaines règles de fonctionnement rapprochent ces sociétés. En effet, plus les contenus relayés sont clivants et polarisants, plus ils sont commentés, likés et retweetés. Et donc ces contenus génèrent des revenus publicitaires importants pour les réseaux sociaux. Twitter tente donc de se retrancher derrière l’argument que la mise en place des mesures de modération plus poussées remettrait en cause son modèle économique ou même sa viabilité.

Cependant, la problématique de la modération des contenus par des examinateurs humains n’est qu’une partie du problème qui se pose à Twitter et à l’ensemble des réseaux sociaux. Le véritable point sur lequel cette plateforme devrait être modifiée est l’organisation et l’architecture des systèmes mis en place pour limiter les risques d’amplification des propos de haine. Il faudrait bien entendu davantage de locuteurs de différentes langues, ce qui demande un investissement important. Mais ce que l’on n’examine pas, c’est la manière dont les messages haineux qui devraient rester confinés ou supprimés sont aujourd’hui encore promus par l'amplification des algorithmes de Twitter.

Le véritable problème est que Twitter a tout intérêt à rester opaque sur ses pratiques de modération. Surexposer des contenus extrêmes est un véritable moyen d’engranger des revenus publicitaires. Tant qu’on ne revient pas sur ce modèle économique publicitaire, nommé de microciblage (ou microtargeting), le problème continuera de se poser. Ce système est d’ailleurs incompatible avec le fonctionnement légal de Twitter sur le long terme. On commence à peine à prendre conscience de cet enjeu, qui est fondamental. En conclusion, on peut dire que l’intérêt des plateformes comme Twitter reste pour l’instant en contradiction avec l’intérêt général.

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Quel est l’enjeu de ce procès ? Cette procédure est-elle vraiment fondée et ne présente-t-elle pas des effets pervers ?

Cette procédure est longue. Il y a quelques années, des ONG comme SOS racisme avaient eu l’occasion de faire savoir à quel point la procédure de retrait des contenus était beaucoup trop longue et très souvent partielle voire inexistante. Le but pour ces associations est donc de faire savoir à quel point le refus de Twitter d’investir davantage dans la modération des contenus n’est pas un problème technique mais l’expression d’une stratégie de la part des dirigeants. L’exemple le plus évident aura été l’action de Donald Trump puissamment relayée par Twitter et Facebook, jusqu’à la « déplateformisation » tout aussi brutale des comptes de celui qui était encore président en exercice…

Ce que l’on peut remarquer, c'est que malgré toutes les déclarations de bonne volonté de ces plateformes, elles ont toujours privilégié leur intérêt à court terme, ce qui était prévisible. Le reproche d’insuffisance voire de mauvaise volonté vis-à-vis de ces plateformes est donc fondé. En revanche, il faudra réaliser de nombreuses études pour trouver une solution adaptée sur le long terme en particulier dans la perspective du nouveau règlement européen (Digital Services Act).

Pourquoi n’a-t-on pas voulu modifier le statut des plateformes comme Twitter de façon à les rendre responsables des contenus qu’elles hébergent ? Tout simplement parce qu’on craignait une forme d’autocensure absolue ne s’installe et que l’ensemble des contenus politiques ne soient retirés « préventivement ». C’est ce qui se produit en Chine, par exemple avec le scandale de la tenniswoman Peng Shuai. Cette volonté de censure et d’éradication des espaces de discussion politique est une stratégie affichée du parti communiste chinois. Il faut se demander si on ne risquerait pas d’arriver au même résultat si les plateformes étaient régulées de manière inadaptée. Il y a donc des risques de vider de leur sens le principe même des réseaux sociaux, qui était de favoriser le débat et non la radicalisation politique. Il faut alors trouver le bon équilibre entre modération des contenus haineux et atteinte à la liberté d’expression. Le but n’est à l’évidence pas de faire de l’Internet européen un Internet chinois avec un « crédit social » orwellien ou chaque personne serait notée en permanence. 

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Dans quelle mesure l’opacité de Twitter sur sa modération et ses algorithmes est problématique ?

Twitter a un impact visible sur l’opinion publique. L’opacité est pour le réseau social une sorte de garantie pour préserver leur modèle économique et le secret est leur meilleure arme. Mais là encore cette opacité à conduit ces sociétés à minimiser volontairement les risques de manipulation démocratique. Aux États-Unis ce sont les réseaux sociaux comme Facebook qui ont permis à des groupes comme QAnon de se mobiliser pour mener des actions comme celles du 6 janvier 2021, à savoir l’invasion du Capitole. On est face à des menaces démocratiques majeures puisque cette action n’était ni plus ni moins qu’une tentative de coup d’État. Les gouvernements démocratiques peuvent-ils regarder ces actions de façon sereine sans réagir ? Certainement pas. Il est donc évident qu’il faudra éviter à l’avenir que ce genre de mouvements ne se reproduisent. Même aux États-Unis, où la volonté de modération des contenus a toujours été assez limitée (du fait du premier amendement de la Constitution), on voit que les responsables politiques de manière générale et les Démocrates en particulier comprennent qu’il y a là un risque démocratique majeur, sans parler des risques avérés d’ingérence des puissances étrangères comme la Russie ou la Chine qui mobilisent désormais des moyens considérables pour influencer les processus démocratiques des pays occidentaux.

Comment pousser Twitter à plus de transparence sans porter atteinte à la liberté d’expression ?

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C’est toute la difficulté. Les quatre textes de régulation des plateformes élaborés par l’Union Européenne, le DSA, le DMA, le DGA et l’AIA devront se saisir de cet enjeu. Par définition, il faudra essayer de concevoir ces textes afin qu’ils ne « stérilisent » pas l’internet. Le but n’est pas que l’Internet devienne un jardin pour enfants. Une démocratie se doit en effet de générer de véritables débats, même s’ils peuvent parfois paraître rudes. Mais surtout pas comme cela a souvent été le cas ces derniers temps, d’isoler les citoyens dans des bulles informationnelles sans qu’ils ne soient jamais mis en contact avec des opinions contraires…mais seulement avec celles qui les poussent à se radicaliser. Les réseaux sociaux ne doivent donc plus favoriser les mouvements les plus extrêmes, les plus radicaux et les plus antidémocratiques. Toute la problématique aujourd’hui est de limiter les risques sans rentrer dans une forme de censure absolue, ce qui serait contraire aux intérêts démocratiques de nos sociétés.

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