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Et sinon, à part notre nouvelle obsession pour la déchéance de nationalité et l’état d’urgence, de quels exemples étrangers efficaces pourrait s’inspirer la France pour lutter contre le terrorisme ?
©Reuters

Manque de mesures

La France, qui a une grande expérience en matière de prévention et de lutte contre le terrorisme devrait cependant s'inspirer d'autres pays pour lutter de manière encore plus efficace. En Israël et aux Etats-Unis, d'autres mesures ont fait leurs preuves dont il faudrait probablement prendre note, alors qu'en Colombie, la situation est un peu plus complexe.

Eduardo Mackenzie

Eduardo Mackenzie

Eduardo Mackenzie est journaliste et écrivain. Il est notamment l’auteur de Les Farc ou l’échec d’un communisme de combat (Publibook, Paris, 2005).

 

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Arnaud Blin

Arnaud Blin

Arnaud Blin est politologue, spécialisé dans l'étude des conflits et plus spécifiquement du terrorisme. Il est président de Modus Operandi et Monde Pluriel.

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Alain Marsaud

Alain Marsaud

Alain Marsaud est député de la 10e circonscription des Français de l'étranger. Ancien magistrat, il a aussi occupé le poste de chef du Service central de lutte antiterroriste au Parquet de Paris.

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : Dans les années 90 après les vagues d'attentats sur le sol français, des mesures avaient été prises pour lutter contre le terrorisme, qu'est ce qui selon vous était important dans ces mesures ? Qu'a-t-on gardé de celles-ci ? Qu'est ce qu'il manque à la France aujourd'hui ? 

Xavier Raufer : Le monde tel qu'il était dans la décennie 1990 n'existe plus - en matière stratégique, il est presque aussi distant de nous que le moyen-âge. Un facteur l'explique : l'accélération du temps, la double contrainte monochromie + flux-tendu, faisant qu'à la minute, d'énormes et irrésistibles tornades médiatiques s'élèvent et sans rémission, ravagent tout. Dans un autre domaine stratégique, voici Volkswagen, tout-puissant et respecté géant mondial. En trois - trois jours ! - l'entreprise est ravagée, presque ruinée, son PDG viré. Tel est le monde post-11 septembre. Aujourd'hui, une entreprise mondiale, un Etat - une grande puissance même - sont des bolides de formule 1, lancés à 300 kilomètres à l'heure : toute sortie de piste leur est fatale. Donc oublions les mesures antiterroristes de la décennie 1990. 

L'actuel gouvernement devrait en revanche imaginer et appliquer un plan de lutte pertinent face au terrorisme d'aujourd'hui et tel qu'il s'annonce pour demain. Qu'il anticipe les dangers ; qu'il soit préventif et non réactif. Mais cela, notre gouvernement en paraît incapable. Il fait des cérémonies, il pleure des morts, il promet, il fait de la com' - tout cela fort bien. Rien au-delà. Rien qui permette de comprendre et de réagir plus vite, d'anticiper, de frapper juste et à temps.

Ce qui manque à la France est un service de renseignement intérieur simple, efficace, réagissant vite et à propos. Un service sur lequel le gouvernement s'appuie en confiance - au lieu de cauchemarder chaque nuit sur ce que ledit service est encore en train de rater - comme c'est le cas aujourd'hui dans la réalité des choses, derrière le rideau des officielles rodomontades. Entendons-nous bien. Les services antiterroristes français sont bons, les officiers et agents de haut niveau y abondent. Leur dévouement et compétence sont grands. Reste à leur donner une direction d'hommes neufs ; de jeunes chefs connaissant l'ennemi tel qu'il est vraiment aujourd'hui. Surtout, capables de pressentir l'ennemi de demain.

Alain Marsaud : Nous avons été des précurseurs dans le domaine des décisions législatives en matière de lutte contre le terrorisme.  Ca a commencé avec les affaires de l’OAS en Algérie et aussi du terrorisme d’inspiration nationale de type Action Directe. Pour cela la France avait des outils tels que la cour de sureté de l’Etat, qui était une juridiction d’exception à laquelle on a reproché d’avoir pris des décisions un peu expéditives et sans doute pas assez protectrices des "droits des personnes". C’est la raison pour laquelle les socialistes en 1981 ont mis à plat tout le système et nous ont laissé sans défense avec uniquement une législation de droit commun. C’est à dire que l’on avait pour lutter contre le terrorisme la même législation que pour lutter contre le banditisme. C’est pour cela que, face à la nouvelle vague terroriste que nous avons connu dans les années 80, on a créé le service central de lutte antiterroriste. On a été un des premiers pays purement démocratique avec l’Espagne à centraliser notre système judiciaire. Ca a été une grande avancée, qui a permis au bout de quelques années, de venir à bout de la plupart des organisations ou des réseaux terroristes agissant en France. Tout cela a été efficace car nous étions en présence d’organisation a peu près structurées et en présence de terrorisme d’Etat, que l’on pouvait régler de manière diplomatique. Là, nous nous trouvons en présence d’un phénomène de terrorisme que l’on peut considérer comme un terrorisme de masse, à l’égard duquel on ne sait pas réagir. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui on piétine.

Quand certains proposent de mettre sous surveillance ou résidence surveillée des individus fichés type S avec un bracelet, on est un peu dans un système Guantanamo. En face de ce terrorisme de masse, certains proposent une réaction de masse, qui n’est pas ciblée. Nous sommes tout de même le seul pays au monde à faire de la lutte antiterroriste avec un porte-avion. La France aujourd’hui lutte contre le terrorisme avec les avions Super étendard et Rafale du Charles de Gaulle, qui est dans le golfe persique. C’est assez stupéfiant. Alors même que, si l’on en croit la vérité judiciaire, nos camarades terroristes sont plutôt situés entre Drancy, Molenbeek et Saint-Denis. On a décidé de transposer le sujet. "On m’attaque entre Molenbeek et Saint-Denis, et je m’en vais faire la guerre à Raqqa avec mes avions". Cherchez l’erreur ? Voilà les mesures que nous sommes en train de prendre aujourd’hui. Nous sommes en train de passer au stade des mesures législatives. Le gouvernement est gêné et vient de faire la douloureuse expérience avec le projet de déchéance de nationalité. Finalement pour fuir l’inconfort législatif dans lequel il se trouve, il s’en va monter des opérations martiales en faisant la guerre dans le golfe persique. Ce n’est pas une solution. La déchéance de nationalité est par ailleurs, totalement inefficace. 

En Israël, l'Etat d'urgence n'est pas décrété et le pays obtient des résultats en matière de lutte anti-terroriste. A ce niveau, Qu'est-ce qu'Israël peut apprendre à la France ? 

Frédéric Encel : Les choses sont plus complexes. En réalité, une forme d'état d'urgence existe depuis le mandat britannique sur la Palestine instauré en 1920. A sa création en 1948, l'Etat juif fut immédiatement confronté à l'invasion armée de plusieurs Etats arabes, ainsi qu'à l'hostilité de groupes rebelles palestiniens à l'intérieur même de son territoire national ; du coup, cet état d'urgence n'a jamais été annulé - la Knesset le renouvelle au contraire très régulièrement - d'autant moins qu'un état de guerre tour à tour ouvert ou larvé n'a jamais vraiment cessé. Cela dit, a contrario de la situation française actuelle, il n'y a pas d'entrave aux rassemblements publics ni de protection militaire permanente au sein du pays ; c'est la police qui intervient le cas échéant, même si certains de ses corps (ex : la police des frontières) sont équipés comme des soldats. Dans tous les cas, la justice ordinaire d'une part, la Cour suprême d'autre part et surtout, demeurent très présentes dans les initiatives ou processus sécuritaires d'Israël. C'est si vrai qu'à plusieurs reprises, saisie par de simples citoyens israéliens ou palestiniens, cette haute juridiction - très respectée dans le pays - a prononcé des avis sévères à  l'encontre de gouvernements ou de corps de troupe qui avaient fait un "usage disproportionné" de la force au regard des nécessités de sécurité ! 

Je dirais qu'en dépit de contextes et d'expériences fort différents, la France et Israël sont aujourd'hui deux démocraties en guerre, en l'occurrence contre le terrorisme islamiste radical. 

Alain Marsaud : Israël est un pays qui s’est déclaré en Guerre depuis longtemps. Ils ont pris des mesures totalement coercitives. Israël a décidé de commettre des actions homicides, et finalement l’opinion publique israélienne s’en porte très bien. Lorsque les Israéliens s’en vont commettre des attaques homicides à l’extérieur du territoire, même l’opposition applaudit. Est-ce que la France a véritablement les moyens aujourd’hui de faire cela, je ne pense pas. Est ce qu’elle en a la volonté ? Lorsqu’on nous dit qu’effectivement les attaques sur le territoire syrien aujourd’hui ont pour objet d’éliminer des citoyens français, cela provoque automatiquement un débat. Il y a un certain nombre de socialistes qui évoquent tout de suite le fait que l’Etat français décide de contourner cette suppression de la peine de mort, en allant donner la mort à l’étranger. Sincèrement, le débat est stupéfiant. Alors que l’on devrait passer par les méthodes israéliennes, regardez où se situe le débat.

Un jour, Monsieur Le Drian fera l’objet de plaintes pénales pour assassinats, pour les actions que l’armée française mène aujourd’hui à l’étranger. La déviation idéologique de certains est telle que notre ministre fera l’objet de plainte de la part des familles simplement parce qu’il aura engagé l’action militaire au nom de la France. Passer au stade des mesures israéliennes, il n’y a pour moi aucune chance. J’ai moi-même proposé lors d’un débat que nous mettions en place, comme Israël, des opérations homicides, pour tuer les types les plus dangereux partis en Syrie ou en Irak. A condition que nous en ayons les moyens, ce dont je ne suis pas certain aujourd’hui. 

Aujourd’hui par exemple, les Américains utilisent des drones Reaper ou des missiles Predator. On est dans une législation qui permet à un chef d’Etat de décider de donner la mort à l’extérieur du territoire américain. Quand j’ai posé la question à Monsieur Le Drian de savoir s’il existait aujourd’hui une doctrine d’emploi de nos drones pour liquider les terroristes en Irak ou en Syrie que l’on surveille, il m’a répondu "non, aujourd’hui nous sommes en train de réfléchir mais il n’existe aucune doctrine d’emploi des drones d’attaques car jusqu’ici nous avons refusé de transformer nos drones de surveillance en drones d’attaque". Israël a des drones d’attaque comme les américains. Alors est ce qu’on ne le fait pas parce que l’on n’a pas les moyens matériels ? Ou parce que notre doctrine ne le permet pas. Cela fait partie du secret défense. Les drones d’attaque sont une des mesures que l’on devrait utiliser, comme Israël ou les Etats Unis.

Les systèmes de rétention globale, même si je ne suis pas certain de leur efficacité et qu’ils ne sont pas concessionnels, sont une alternative pour lutter contre le terrorisme. L’Etat islamique va petit à petit se restreindre, et on va assister au retour des "combattants" Français. Est ce qu’un juge d’instruction sera désigné à chaque personne, ou va-t-on réfléchir à un enfermement de masse. Je vois mal le gouvernement de gauche y procéder parce que cela poserait un problème constitutionnel. Il manque à la France "le courage homicide". Qui est une mesure dissuasive à la différence de la déchéance de nationalité. Le problème est que nous n’aurons jamais de décideurs français. Le Président de la République n’a pas les moyens constitutionnels de donner la mort.

Aux Etats Unis après les attentats de 2001, le Patriot Act a permis d'éviter l'Etat d'urgence, quelles mesures ont été prises pour lutter contre le terrorisme dont la France devrait s'inspirer ? 

Yves Roucaute : Le Patriot Act est une décision qui a été prise aux Etats-Unis pour essayer de régler une question devenue urgente, celle du terrorisme. Les Etats-Unis avaient en face d’eux un certain nombre de problèmes que la France a aujourd’hui.  Le premier était celui du manque de coordination entre les services de renseignements. Un certain nombre de services travaillaient chacun de leur coté. Parmi celles ci : la CIA,  le FBI, la NSA, la DIA qui dépend du ministère de la défense, la NGIA qui s’occupe des satellites et de la surveillance du territoire, ou encore la Coast Guard Intelligence qui garde les côtes. Toutes celles-ci n’étaient pas coordonnées. Après 2001, le président Bush a décidé qu’il fallait imposer la coordination entre ces structures.

En France nous souffrons encore d'un manque à ce niveau. Nous avons des phénomènes de concurrence qui sont inadmissibles, notamment entre la police et la gendarmerie. Il faut que l’on arrive au respect mutuel, à la cohésion de toutes les structures de façon à avancer. Nous avons un grave déficit de la coordination entre les structures du ministère des Finances et de l’Economie par exemple, mais aussi de celles qui dépendent de tout ce qui est technologique, les structures traditionnelles comme l’armée et la police qui sont liées aux activités régaliennes de l’Etat. Il y a un manque de coordination évident aussi entre le public et le privé. Le Patriot Act consistait d’abord à régler cette question. La deuxième chose liée à celui-ci est l’idée que la question financière est une question fondamentale. Il y a tout une partie du Patriot Act dont l’objectif est de s’intéresser au blanchiment d’argent et à organiser des lois contre le financement des terroriste.

La troisième mesure concerne la protection aux frontières. En France on est totalement en dessous de ce qu’il faudrait faire face au terrorisme. Si on avait pris la mesure du terrorisme en France et dans l’Union uropéenne, nous n’aurions pas ouvert nos frontières comme nous l’avons fait aux flux migratoires ces derniers mois. Il est clair que nous aurions du faire des contrôles plus poussés, ce que les Etats-Unis font depuis le Patriot Act. Celui-ci a été signé depuis 2001, et on commence simplement en France à se poser la question.


Dans le Patriot Act il était également question des procédures de surveillance et du renforcement des législations pénales contre le terrorisme. Là encore on se rend compte que si la France avait pris ces mesures, elle n’aurait pas eu besoin d’instaurer cet Etat d’urgence. Un Patriot Act aurait suffit. C’est là-dessus sans doute qu’arrive la plus grande confusion en France : pour refuser ces mesures d’urgence, certains politiques crient à l’atteinte aux libertés publiques. La désinformation est forte. L’anti-bushisme sert de façade à cette ignorance. Le Patriot Act aux Etats-Unis est la suite de mesures instaurées en 1978 à la demande du sénateur Kennedy et qui avaient été prises par Jimmy Carter, un démocrate, pour assurer la sécurité du territoire. A L’époque le terrorisme n’était pas en avant. Néanmoins, la sécurité du territoire nécessitait un "act" (une loi) très important : le FISA (foreign intelligence surveillance act). Le Patriot Act n’en est que la forme renforcée, il n’a pas inventé la surveillance. Il a été voté par l’ensemble des républicains et démocrates, sans réserve. C’est parce que ce FISA prévoit en même temps une cour de justice indépendante de l’état et de l’exécutif pour surveiller la surveillance. Il y a un appareil judiciaire indépendant. Une cour de justice créée par Carter et qui s’appelle le FISC, dont le seul job est de surveiller le travail de surveillance. Le Patriot Act renforce ce FISC et le nombre de juges qui sont amenés à juger des autorisations. Il faut également l’autorisation de la Cour pour organiser le renseignement ou la surveillance. Les 11 juges fédéraux reçoivent plusieurs milliers de requêtes par jour que le FISC à la possibilité de modifier ou de refuser. Des requêtes présentées par la CIA ou le FBI par exemple.

La France ferait bien de regarder ça de plus près. Je comprends le souci de certains défenseurs des libertés publiques en France, mais on est en train de faire de la surveillance à partir de juridictions administratives, et ca c’est intolérable. Il faut des juridictions indépendantes. C’est ce qui se passe aux Etats-Unis, où les juges nommés à vie ont le soutien du président de la Cour suprême américaine ; indépendants des partis politiques. Il faut en France que l’on en vienne à un vrai état de justice et effectivement, avec un Patriot Act, on n’aurait pas les ennuis que l’on a aujourd’hui et un certain laxisme. Dans le système juridique américain, nous avons à faire à des gens qui dépendent des tribunaux américains, qui sont ou bien des citoyens américains, ou des gens qui ont commis des crimes sur le territoire américain. On a aux Etats-Unis réglé la question de ces combattants illégaux qui ont pris les armes en Syrie ou en Irak. Ils mettent ces citoyens en détention car c’est la seule solution juridique, ils ne sont pas redevables des tribunaux américains. Et c’est tout a fait légitime. 

Arnaud Blin : Il y a eu un gros changement après 2001 avec un accroissement de la coopération avec d’autres services. Un meilleur processus pour tout ce qui touche aux données. Il y a eu un surplus d’informations qu’on n'arrivait plus à analyser de manière efficace. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis en 2001, où les services étaient mal coordonnés, ce qui a permis les attaques du 11 septembre.

L’Etat d’urgence dans une démocratie ne peut pas se perpétuer ad vitam aeternam. En France, Il y a simplement un aspect rassurant pour la population dans la mesure où la lutte antiterroriste est une guerre psychologique. Les terroristes cherchent à démontrer que l’Etat est incapable de protéger ses citoyens. Le problème se pose de façon différente aux Etats-Unis où vous n’avez que deux frontières, donc pour que les individus sortent et rentrent comme en Europe, c’est plus compliqué. Aux Etats unis vous avez affaire à un système fédéral décentralisé où il y a plusieurs niveaux de pouvoir. Par exemple, une ville comme New York s’est dotée de moyens absolument extraordinaires pour lutter contre le terrorisme. Lorsque vous habitez dans un Etat, vous payez pour tout ce qui touche à la lutte anti terroriste, et l’Etat de New-York est celui qui dépense le plus dans ce domaine.

Il y a  par ailleurs aux Etats-Unis, un soutien de l’opinion publique que la France était loin d’avoir avant les attentats de 2015. Il est trop tôt pour dire si ce soutien a augmenté pour atteindre le niveau de celui des Etats-Unis. Je ne pense pas. Ici, vous pouvez faire des choses qui sont impensables en France, notamment autour de l’espionnage.


Au niveau des moyens, les Etats-Unis ont mis des sommes d’argent phénoménales dans la lutte contre le terrorisme. Des sommes qui ne sont pas divulguées publiquement. Mais l’argent que les Etats-Unis dépensent dans la lutte contre le terrorisme est supérieur au budget de défense de la France. C’est un pays plus grand certes mais malgré tout, la France est dans une situation géopolitique qui la rend plus vulnérable.

Au niveau local, il y a probablement beaucoup de choses à faire en France. Je ne pense pas que les villes aient mis des moyens semblables à ceux que l’on peut voir au Etats-Unis. Au niveau de la lutte antiterroriste organisée localement il y a des efforts qui devraient être fait.


Un renforcement des services de renseignements en France devrait également être effectué. L’espionnage est tout de même vital dans ce genre d’affaire. Il faut investir dans ce domaine. Dans le cas de Daesh, il y a également l’aspect militaire. La France militairement a les moyens. Une coalition entre divers pays européens et les Etats-Unis, si elle est bien organisée, serait une solution. Ce qu’il manque c’est le soutien de l’opinion publique pour se lancer dans ce genre d’aventure. La France n’est pas prête à envoyer les troupes pour combattre Daesh. Aux Etats-Unis, le fiasco irakien a fait que se soutien n’existe plus vraiment. On a du mal a se dire qu’il y a des forces qui ont émergées qu’il faudrait peut être combattre avec les armes. 
Il faut que l’Europe se prenne par la main et développe une véritable politique étrangère, une véritable politique de sécurité et de défense. 

En Colombie, comment le gouvernement tente-t-il d'apaiser le conflit contre les FARC ? Est ce un réel exemple de lutte contre le terrorisme ? 

Eduardo Mackenzie :Le gouvernement colombien a commencé depuis 3 ans et demi des négociations de paix, entre les chefs des FARC et des négociateurs nommés par le gouvernement de Juan-Manuel Santos. Une quantité de sujets a été abordé. Ils ne concernent pas seulement le problème de la guerre civile contre les FARC. Les discussions tournent autour de toutes les structures de l’Etat et de la société. Ce sont des négociations qui sont en train de se transformer. Les FARC veulent que la doctrine militaire en Colombie change, en obtenant la souveraineté sur une partie du territoire colombien, sur les ressources etc. C’est un point qui scandalise la population colombienne. Les attaques de masse ont cessé, elles sont désormais plus dissimulées et ciblée. Les FARC sont démobilisés et il y a un cessez-le-feu décrété de façon unilatérale, mais qui n’a pas été suivi véritablement de faits. L’intérêt du gouvernement est de dire que la situation est réglée. Les médias rapportent tout de même des faits qui vont à l’encontre de la fiction créée par le gouvernement du président Santos. Il y a une lutte médiatique très intéressante. Le problème est que les négociations sont secrètes car le gouvernement ne peut pas dire précisément ce qui se passe. En revanche, les FARC n’ont pas cette même discipline face à la presse et diffusent tous les jours leurs messages. Les FARC revendiquent des sièges au Sénat sans passer par des élections, ils veulent un journal, une radio, une chaîne de télévision. Le gouvernement colombien est en train de négocier avec un groupe terroriste. En faisant cela, les FARC négocient la paix mais continuent à lutter et défendre un programme qui reste le même. Ils luttent contre le capitalisme, la démocratie, ils veulent inventer un système alternatif à la démocratie représentative, instaurer un contrôle sur les entreprises du pays et les propriétés agricoles, changer la politique extérieure de la Colombie, la doctrine militaire. Ils veulent transformer l’Etat. On ne comprend pas en Colombie comment le gouvernement peut accepter cette situation. Le problème est que le gouvernement antérieur d’Alvaro Uribe, qui a gouverné pendant 8 ans, a mené un combat qui a obligé les FARC à se retirer dans des endroits reculés et se réfugier au Venezuela et en Equateur. Il y a une situation d’insécurité dans ces régions qui prospère. Uribe a mené une politique très dure de répression contre les paramilitaires. Lorsque le président Santos est arrivé, les FARC se sont mis à négocier l’Etat, la société, en échange de la paix. Ils ont adopté ce modèle de négociation. Nous sommes dans un processus de paix dissimulé.  

Tristan Lochon 

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