2021 : La forte croissance masque un retournement qui sera brutal <!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, présente le projet des "prêts participatifs" le 4 mars 2021, dans le cadre du plan de relance face au Covid-19.
Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, présente le projet des "prêts participatifs" le 4 mars 2021, dans le cadre du plan de relance face au Covid-19.
©ÉRIC PIERMONT / AFP

Bilan de l'année 2021

2020 a été marquée – qui pourrait l'oublier ? - par une violente récession. Désormais l'économie française est caractérisée par une croissance hors du commun en 2021 et le Gouvernement ne cesse de le répéter jusqu'à plus soif. Néanmoins la lucidité conduit à relever l'existence de foyers d'inquiétude ( reprise épidémique ) et un risque tangible de retournement conjoncturel.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Le taux de croissance retenu dans le PLFR ( projet de loi de finances ) est de 6,25% et la Banque de France considère qu'un taux de 6,75% est tout à fait plausible. Autant dire qu'il s'agit d'un rebond technique digne d'une " catapulte " pour reprendre le mot de Nicolas Dufourcq ( dirigeant de BPI France ) même s'il convient de demeurer attentif au fait que de sérieuses inégalités sectorielles existent. Le soleil ne brille pas avec uniformité et bien des PME survivent sous un ciel ardoise. Parlant d'ardoises, nul ne peut ignorer les différés de remboursements qui visent les échéanciers des PGE ( prêts garantis par l'État ). Le médiateur des relations inter-entreprises, Pierre Pelouzet, n'en fait pas mystère. L'Observatoire du financement des entreprises, dans un récent rapport, énonce lui aussi des conclusions mesurées. S'il serait inclément de convoquer la notion de mur des faillites, il faut néanmoins conserver à l'esprit que la crise n'est pas finie et que certains bilans d'entreprises présentent encore des déséquilibres susceptibles de générer des défaillances. L'endettement privé est une puissante caractéristique qui altère la visibilité exacte de la santé de notre économie et les carences en fonds propres sont une dure réalité. D'autant plus que la reprise a vu persister la lancinante question des délais de paiement. Plus de 820 Mds d'€uros de flux monétaires permettent aux grands groupes d'encaisser 13 Mds de résultats exceptionnels au détriment de la trésorerie de leurs sous-traitants et de leurs fonds de roulement. Quand mon fournisseur devient, de facto, mon banquier du quotidien… est un refrain que seul l'ancien vice-président du Sénat, le regretté Étienne Dailly, avait traité – dans les années 1980 - avec ses bordereaux de mobilisation des créances non échues.

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Corrélé au fort taux de croissance, il convient de souligner le prometteur ressac du chômage qui atteint désormais 8,2% pour la catégorie A. Comme d'habitude, la prudence impose de rappeler que d'autres catégories, D par exemple, ne vivent pas la même dynamique et surtout que la France reste marquée par le phénomène du " halo " du chômage défini ainsi par l'Insee :

"Le halo autour du chômage se compose en effet de personnes sans emploi qui soit ont recherché un emploi, mais ne sont pas disponibles pour travailler (composante 1 ; 365 000 personnes en 2020) ; soit n’ont pas recherché d’emploi, mais sont disponibles pour travailler et souhaitent travailler (composante 2 ; 933 000 personnes) ; soit n’ont pas recherché un emploi et ne sont pas disponibles pour travailler, mais souhaitent travailler (composante 3 ; 629 000 personnes). "

La bataille du chômage n'est donc que partiellement gagnée et témoigne d'un lourd paradoxe français. Plus de trois millions de chômeurs d'un côté et de l'autre plus d'un million de postes non pourvus. Cette crise et ces pénuries de main d'œuvre ( bâtiment, restauration, hôtellerie ) sont objectivement des freins à la croissance et posent, en creux, la délicate question de la revalorisation des rémunérations dans des secteurs nourris de pénibilité. De surcroît, les secteurs en tension en termes de recrutement sont marqués par un degré d'inadéquation entre les besoins et les niveaux de formation des impétrants. Serpent de mer depuis des années, souvenons-nous des politiques engagées par Michel Sapin alors ministre du Travail en 2012, la formation demeure un défi sociétal tout autant vivace que la question de la mobilité géographique du facteur travail.

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Cette double question se complique si l'on songe à la faible distance pécuniaire qui sépare les revenus d'un travailleur au Smic de ceux perçus par une personne relevant de l'aide sociale. C'est clairement un sujet à traiter avec méticulosité mais lucidité : tout autant que les diverses fraudes sociales détectées par les corps de contrôle ou par le magistrat Charles Prats. A cet effet, les premiers chiffres communiqués par Elizabeth Borne, ministre du Travail, au sujet des fraudes en matière de chômage partiel total ( plus de 50 millions d'€uros et qui sont régulièrement révisés à la hausse ) sont préoccupants. Il est d'usage, dans la presse économique, de dire que " L'État a fait le job " en omettant trop souvent d'intégrer qu'une telle manne publique d'inspiration keynésienne et à visée contra-cyclique s'accompagne hélas de porosité et de détournements de fonds publics.  Le statisticien penché sur la période 2020-2021 sera contraint de relever que certaines créations d'entreprises ont été fictives et réalisées dans le seul objet de percevoir des aides publiques. Pour ma part, ayant eu l'opportunité de travailler auprès de Nathalie Goulet, Vice-présidente de la commission des Lois du Sénat, je m'en remets aux futurs travaux circonstanciés de la Cour des comptes.

Si la dette Covid sera aménagée notamment via la CRDS, il est acquis que la dette publique s'est accrue de 650 Mds d'€uros au cours du présent quinquennat. Le " quoi qu'il en coûte " légitime réponse à la crise d'ampleur inédite ne doit pas masquer la trajectoire des finances publiques que le HCFP et les agences de notation jugent " préoccupante ". Effectivement, 16 points de PIB séparent la dette 2021 de la dette 2019 pour un total de 115%. Ce qui est significatif dans l'absolu mais surtout au regard du potentiel fiscal du pays. A un tel niveau vient se poser la question de la solidarité trans-générationnelle voire du risque de tensions budgétaires là où les taux remontent graduellement et pèsent sur la charge annuelle de la dette.

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La croissance 2021 a pour siège le dynamisme de l'investissement, la reprise des achats " B to B " et le redémarrage de la consommation longtemps bridée par les confinements sanitaires. S'agissant de l'épidémie, le Chef de l'État a été clair lors de son allocution du 9 novembre. Oui, une cinquième vague se profile et un rappel ( 3ème dose ) vaccinal est désormais déjà d'actualité.

Selon l'évolution de cette variable sanitaire, la croissance 2021 pourrait être moins étincelante en fin d'année. D'autant que les Français souffrent en termes de pouvoir d'achat et que les tensions inflationnistes se font jour avec insistance. Elles visent le prix des matières premières ( bois, acier, énergie avec des hausses à deux chiffres ) les coûts logistiques ( fret maritime ) et les phénomènes de transmissions sectorielles analysées dès les années 1980 par Serge-Christopher Kölm et plus récemment par la Coface.

Bien des économistes estiment que l'inflation prendra la forme d'une " bosse " et sera avalée par l'année 2022. Mes travaux, effectués pour le compte de deux fonds d'investissement, me permettent – hélas – de conclure à une inflation durable caractérisée par des répercussions en chaîne et des anticipations à valeur auto-réalisatrice. Un point est acquis, la croissance de 2022 sera moitié moindre de celle de 2021. En effet, le consensus des économistes table sur 3,5% de croissance l'an prochain, le Gouvernement restant attaché au chiffre de 4% ( ce qui représenterait déjà plus d'un tiers de moins que les 6,75% ). Quant aux prévisions publiées pour 2023, elles sont encore plus faibles : 1,9% selon la Banque de France.

Selon l'Insee, le PIB du premier trimestre de 2022 devrait s'élever à +0,4% et à +0,5% pour le deuxième trimestre. Nous serons loin du 1% de croissance par mois de 2021.

Si la " veuve de Carpentras " ( expression de Gérard de La Martinière visant les petits porteurs ) peut se réjouir d'un indice CAC à plus de 7000 points, la veuve de Morlaix compulse fébrilement ses factures haussières et sa retraite figée. L'inflation va raviver des tensions sociales qui risquent de nuire au climat des affaires et qui va provoquer une redéfinition de la politique accommodante de la BCE. Nous allons passer du " Whatever ittakes " de Mario Draghi à ce que je nomme le  " Whatever we will may " car l'injection massive de liquidités que nous connaissons depuis des années prend une autre tournure en phase d'inflation. Qui oserait contester le fait que la forte création monétaire a bel et bien un lien avec l'inflation ?

La croissance 2021 aura été une belle parenthèse avant un futur atterrissage plus rugueux. Certains veulent rapporter le niveau de fin 2019 à celui de 2021. Or, comparaison n'est pas raison lorsque la dette s'est accrue de 16 points de PIB sur la période. Il fallait recourir au quoi qu'il en coûte mais cela ne doit pas nous priver d'un regard lucide sur les agrégats de notre nation comme l'a récemment exprimé Jacques de Larosière. Se souvenir que notre déficit budgétaire se cale au niveau de 8,1% ( 2021 ) et qu'il est anticipé à 5,3% pour l'an prochain ne saurait être gage d'euphorie béate. Formons le souhait que les initiatives de relocalisation industrielle soigneusement supervisées par la ministre Agnès Pannier-Runacher et que les retombées du plan France 2030 soient aussi fructueuses que fécondes. Ici se joue une part conséquente de nos futures années de croissance. Selon l'évidence, le tempo économique du Printemps et d'un certain mois d'Avril 2022 n'aura rien à voir avec le feu d'artifice du troisième trimestre de 2021.

Jean-Yves Archer

Économiste, Membre de la Société d'Économie Politique

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