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 SNCF, le dossier social qui cachait une angoisse nationale (et son potentiel explosif)
©GERARD JULIEN / AFP

Un train peut en cacher un autre

Si seuls 42% des français trouvent aujourd'hui le mouvement de mobilisation contre la réforme de la réforme SNCF justifié, ils étaient 77% dans un sondage datant de septembre 2014 à estimer que le service public devait être préservé car il fait partie de l'identité française. Le gouvernement risque-t-il d'oublier cet aspect symbolique ?

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Atlantico : Si seuls 42% des français trouvent le mouvement de mobilisation contre la réforme de la réforme SNCF justifié (Ifop pour CNews et Sud Radio), ils sont 57% à estimer que la politique du gouvernement sur l'amélioration des services publics ne va pas dans le bons sens (Ipsos Sopra Steria). Or, dans un sondage datant de septembre 2014 (Ifop pour EY), 77% des français estimaient que le service public devait être préservé car il fait partie de l'identité française. Dans sa volonté de cibler les cheminots, le gouvernement n'est-il pas en train de manquer une dimension hautement politique qui est la défense de l'identité française au travers du service emblématique qu'est la SNCF ? Un tel sujet pourrait-il, sur cette base, être une source de cristallisation du mécontentement des Français à l'égard d'Emmanuel Macron ?

Maxime Tandonnet : Il me semble qu’il y a deux sujets distincts dans ce dossier, celui du statut particulier des cheminots et celui de l’avenir de la SNCF en tant que servie public. Les sondages que vous évoquez marquent bien cette distinction dans l’esprit du public. Une majorité est favorable, dans un souci d’égalité, à ce qu’elle perçoit, à tort ou à raison, comme des privilèges des cheminots, sur l’âge de la retraite, la gratuité des voyages où les tarifs avantageux pour la famille. En revanche, il est certain que la remise en cause du service public de la SNCF, la privatisation du rail, c’est-à-dire le retour au régime qui prévalait jusqu’à 1938, n’est pas une idée populaire dès lors que dans l’esprit des usagers, elle se traduirait par une diminution de la qualité du service et une hausse du prix des billets. Pour l’instant, le gouvernement a réussi, par sa communication, à dissocier les deux volets de la réforme en se focalisant sur la réforme du statut des cheminots. Si l’opinion se persuade que la France se dirige vers une privatisation et une remise en cause du service public – malgré le démenti formel du gouvernement – la réforme peut très vite basculer dans l’impopularité.D’ailleurs, il faut toujours se méfier des sondages dans ce genre de circonstances. Aujourd’hui, peut-être qu’une majorité se déclare favorable à la réforme du statut des cheminots. Si le conflit s’enlise et si la vie des Français en est perturbée, l’opinion peut basculer à une vitesse vertigineuse…

En quoi ce cas d'espèce masque-t-il une dimension nationale qui pourrait être masquée par une dimension sociale à laquelle s'attaque le gouvernement ? 

Oui, en effet, le sujet ne peut pas se réduire à son aspect économique et social. Il peut s’enflammer et prendre rapidement une dimension politique nationale majeure. D’ailleurs, les arrière-pensées politique n’en sont probablement pas absente pas absentes. La France est confrontée à des enjeux colossaux, sur les banlieues, la sécurité, le chômage qui touche toujours au total environ 5 millions de personnes, la pauvreté, le déclin du niveau scolaire, la violence quotidienne, la dette public et les déficits sociaux. Pourquoi faire du statut des cheminots une priorité ? Les effectifs de la SNCF se sont effondrés : 500 000 en 1938, 213 000 en 1988 et 146 000 en 2016. A y regarder de près, le statut  des cheminots, par exemple leur rémunération (1658 € brut en début de carrière) ne semble pas scandaleux. En outre le gouvernement a déclaré qu’il ne toucherait pas au système des retraites ni aux facilités personnelles consenties aux cheminots. Dès lors c‘est probablement un choix politique, une question de symbole qui prédomine dans la position du gouvernement. L’image est au cœur de la politique moderne. Le pouvoir politique entre dans une logique de démonstration de force alliant une image d’autorité, de fermeté et de réformisme. La forme, me semble-t-il, compte au moins autant que le fond.

​Ne peut-on pas voir ici une symbolique opposant des «élites mondialisées" perçues comme composante du macronisme, accentuée par l'accusation d'une politique menée en faveur des riches par le gouvernement au reste du pays, marqué par un attachement au territoire qui peut être révélé par le cas de la SNCF ?

Ne parlons pas  « d’élites mondialisées » une formule très connotée. En revanche, le grand danger pour le pouvoir est que ce conflit s’enlise et soit ressenti, à un moment où à un autre comme un combat entre d’une part la bourgeoisie privilégiée et d’autre part la population des cadres, employés ouvriers, voire des retraités lésés par la hausse de la CSG. Le pire pour le pouvoir en place serait une cristallisation des mécontentements et des frustrations s’identifiant à la cause des cheminots. La réforme en cours de la SNCF correspond en partie à des orientations décidées à Bruxelles, même si cet aspect apparaît peu dès lors que la réforme dans sa présentation, est focalisée sur le statut des cheminots. Dans le climat actuel de l’Europe, avec le Brexit, les situations politiques en Allemagne et en Italie, la révolte de l’Europe centrale, nous pouvons avoir un effet de radicalisation de l’opinion en France contre une réforme qui apparaîtra comme ayant été imposée par une technostructure bruxelloise remettant en cause un service public du transport ferroviaire auquel les Français sont attachés. Il suffit sans doute d’une étincelle, d’un enlisement du conflit qui perturbe la vie quotidienne des Français pour que l’opinion bascule. Dès lors, cette opération présentée comme dirigée contre des avantages (réels ou supposés) d’une profession, pourrait être interprétée, dans l’esprit d’une majorité, comme une manœuvre globale contre les intérêts de la population. La situation deviendrait vite explosive. Il n’est pas certain que le pouvoir prenne ce risque. L’issue pourrait être de faire passer une réforme a minima, vidée de substance, qui ménagerait in fine l’amour propre de tout le monde.

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