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"La politique peut unifier la colère."
"La politique peut unifier la colère."
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Confronté notamment à la fonde des bonnets rouges, François Hollande a été pris à partie par de nombreux manifestants durant les célébrations du 11 novembre. Si la contestation touche de nombreuses catégories sociales, leurs revendications restent trop disparates pour converger.

Michel Wieviorka

Michel Wieviorka

Michel Wieviorka est directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociale (EHESS). Il a notamment publié Pour la prochaine gauche aux Editions Robert Laffont et Evil chez Polity. 

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Atlantico : Confronté notamment à la fonde des bonnets rouges, François Hollande a été pris à partie par de nombreux manifestants durant les célébrations du 11 novembre. Une nouvelle preuve des tensions sociales qui agitent la France. Quelles sont-elles exactement ? Quels sont les groupes sociaux concernés ?  

Michel Wieviorka : Il y a des tensions liées à des suppressions d'emplois : fermetures d'entreprises et d'usines. Il y a aussi des tensions liées à la politique fiscale chaque fois qu'un groupe économique ou social a le sentiment de payer plus d'impôts que ce qui pourrait être légitime. On peu évoquer des tensions religieuses liées notamment à la question de l'islam en France. La question du mariage pour tous a révélé des tensions culturelles liées à une certaines conception du mariage et de la famille. Enfin, la question de l'école est un enjeu central comme on peut le constater aujourd'hui à travers le débat sur les rythmes scolaires.

Certaines de ces tensions peuvent être avalées par la contestation politique. Le Front national fédère certaines d'entre elles. Certaines sont en dehors de la capacité du système politique à les absorber et les traiter. Les bonnets rouges par exemple sont relativement éloignés de ce que le Front national peut proposer comme vision économique pour la France. Il y a de la politisation qui gère ou qui ne gère pas ces tensions.

Ces tensions sociales sont-elles uniquement dirigées contre les pouvoirs publics ou existent-ils également des tensions entre les différents groupes sociaux ? Les luttes peuvent-elles converger et conduire à une explosion ?

Il ne faut pas confondre exacerbation des tensions entre groupes sociaux et exacerbation entre certains groupes sociaux et le pouvoir politique. Ce sont deux questions différentes. L'exacerbation des tensions sociales qui mettent en cause le gouvernement sont indubitables. On le voit notamment en Bretagne ou à travers la fronde des patrons et des artisans. A chaque fois, c'est le pouvoir politique qui en est la cible. Entre les groupes sociaux eux-mêmes, il est plus difficile de parler de tensions vives.

Néanmoins on peut affirmer qu'il y a clairement des distances ce qui affaiblit considérablement la thèse de la convergence des luttes qui pourrait déboucher sur une révolte générale. En Bretagne par exemple, il y a d'un côté les bonnets rouges et de l'autre la CGT et le Front de gauche. Même au niveau d'une région, il n'y a pas d'unité des luttes. Il y a des tensions entre certains groupes sociaux et l’État et par ailleurs dans cette société des questions non réglées qui concernent différentes corporations, mais aussi des minorités ou des enjeux religieux.

La France a toujours eu la réputation d'être un pays contestataire. Comment peut-on évaluer la progression des tensions ? Y a-t-il une exacerbation réelle de la colère sociale ces dernières années ?

On ne peut pas mesurer l'exacerbation actuelle comme en d'autres temps, on pouvait mesurer les jours de grève qui étaient un indicateur fort. L'exacerbation ne peut être quantifiée directement. Mais elle peut apparaître indirectement à travers les sondages d'opinion. Les chiffres de la popularité ou plutôt de l'impopularité du chef de l'Etat sont à eux-seuls révélateur. La conjoncture politique et notamment la montée du FN constitue également un indice important. Le Front national déstabilise tout le système politique. C'est d'abord vrai à droite, l'UMP se déchirant sur la question du cordon sanitaire. C'est également vrai à gauche car le pouvoir actuel a conscience que le FN est peut-être sa meilleure chance de se maintenir. Stratégiquement, le PS peut-être tenté par la division de la droite, mais est également taraudé par des questions morales. La gauche est donc également mal à l'aise sur le sujet. Ce flou politique accroît le sentiment général d'un manque de repères. Dans ce contexte, les tensions sociales ne peuvent que progresser.

Le risque de fragmentation de la société française est-il important ? Comment cette fragmentation pourrait-elle se manifester - se manifeste-t-elle d'ailleurs déjà ? Et avec quelles conséquences ?

La politique peut unifier la colère. Le FN semble en position de fédérer le ressentiment. Cependant en dehors du Front national, les forces politiques classiques sont considérablement affaiblies : le syndicalisme n'est plus ce qu'il était et les associations ne sont pas capables de porter des contestations fédérées et organisées. Cela ne débouche pas forcément sur une fragmentation de la société française, mais cela signifie qu'il est désormais difficile de transformer la colère en conflit qu'on pourrait institutionnaliser. Il n'y a plus d'acteurs capables de représenter des points de vue collectifs. Plus que de fragmentation je parlerais de manque de médiation pour transformer la crise, la colère et les conduites de rupture en conflits institutionnels et en négociations.

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