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De la déchéance de nationalité à la déchéance rhétorique : quand la France cartésienne oublie les principes élémentaires de la logique et de la compétence
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Rhétorico-laser

"Efficace" ou "symbolique", "trahison" ou "cohérence", "tradition républicaine" ou "retour à Vichy" : retour sur une semaine de "déchéance" rhétorique.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Si l’on voulait une preuve que la France reste un pays de passions idéologiques, le spectacle du débat autour de la déchéance de nationalité pour des binationaux condamnés pour crimes terroristes aura été des plus édifiants : notre pays soi-disant cartésien oublie aisément les principes élémentaires de la logique comme de la compétence. On aura lu et entendu tout et son contraire, y compris dans le même camp, d’un discours à l’autre, voire dans le même discours ; l’on aura vu des historiens donner des cours de droit, les juristes des leçons d’histoire et des people trancher d’autorité les débats des uns et des autres… 

Pour éviter ce travers, on se cantonnera ici à relever la faiblesse de l’argumentation sur un sujet important qui aurait mérité davantage de recul, de connaissances et de dialogue de fond : alimenté par exemple par l’avis du Conseil d’Etat sur la question. Il n’est certes pas parole d’évangile mais ses termes, bien posés et bien pesés, auraient pu donner une base solide au débat. Même si l’on est en droit de penser que le rétablissement de la peine d’indignité nationale, eût été à tous égards, la bonne solution dans cette affaire : politiquement, car répondant à la nécessité d’une sanction appropriée au crime commis ; juridiquement, car applicable à tous les Français sans distinction autre que celle de leurs actes ; historiquement, car dans la ligne d’un précédent combat contre une autre idéologie totalitaire et mortifère. Solution envisagée par Manuel Valls mais écartée par François Hollande.

Mais puisque la (mauvaise) solution de la déchéance a été choisie, pour le moment du moins, voyons donc l’impact rhétorique de son annonce. On reste pantois devant le véritable délire qui s’est emparé de certains commentateurs, invoquant la déchéance de nationalité du Général de Gaulle ou des Juifs naturalisés par Vichy, le "retour aux heures les plus sombres de notre histoire" et autres exemples de reductio ad Hitlerum dont nous avons le triste secret. Véritable maladie des esprits qui consiste, à inverser systématiquement les rôles, à confondre bourreaux et victimes, à ne pas distinguer entre la persécution pour ce que l‘on est et la sanction pour ce que l’on fait ; et qui, logiquement, aurait conduit les mêmes à refuser toute « déchéance » contre des nazis binationaux en 1945… Au risque de basculer dans une analogie monstrueuse et purement nominaliste qui conduirait à voir dans les djihadistes d’aujourd’hui les descendants des Résistants d’autrefois et dans l’Etat français actuel le successeur de Vichy : les Résistants n’étaient-ils pas qualifiés de "terroristes" par "l’Etat français" d’alors ? C’est exactement le langage de Daech…

A lire certains titres, l’on dirait que la France s’apprête à supprimer le droit du sol pour les binationaux, les descendants d’immigrés, voire les musulmans, alors qu’il s’agit en l’occurrence d’une sanction contre les seuls terroristes condamnés. Et que dire du souci "humaniste" qui s’inquiète de la situation juridique de ces pauvres terroristes binationaux, si d’aventure (quasi-impossible, vu l’interdiction internationale de l’apatridie) le second Etat venait à leur retirer leur autre nationalité ? Curieusement l’objection de l’apatridie est toujours invoquée quand il est question de la déchéance par la France, jamais de la déchéance par l’autre Etat, auquel elle s’impose pourtant également…Et d’autant plus si l’intéressé a d’abord perdu sa nationalité française. 

Reste le débat le plus entendu autour du caractère « efficace » ou "symbolique" de la déchéance. L’argument de son inefficacité pour la rejeter ne tient pas un instant. Ecarter une mesure parce que « purement symbolique » conduirait à abolir une grande part du patrimoine national tout aussi « symbolique » : en quoi brandir le drapeau tricolore ou chanter la Marseillaise dissuaderait-il les terroristes ? Derrière le fallacieux argument de l’efficacité se trouve en fait l’ignorance volontaire d’un fait anthropologique fondamental : la nécessité des symboles justement pour souder une collectivité, quelle qu’elle soit.

Mais il y a plus : cette prétendue inefficacité, proclamée chez les « contre » comme chez les « pour », est-elle si certaine ? Certes, la menace de déchéance n’aurait dissuadé aucun des terroristes de janvier et de novembre, à la veille de passer à l’acte : mais est-on sûr qu’elle n’aurait aucun effet, vu les conséquences induites, notamment sur l’attitude des familles et des entourages qui y trouverait un argument de poids à l’égard de jeunes en début de radicalisation ?

Il reste que l’on peut sourire de voir comment le Premier ministre a d’abord souligné le caractère « symbolique » de la mesure pour la disqualifier… avant de l’invoquer pour la justifier. Génie de la contradiction qui a aussi inspiré Eva Joly, dénonçant une disposition « à la fois inutile et scandaleuse » : inutile, dit-elle, car déjà présente dans le code civil ; scandaleuse car créant des « Français de seconde zone ». Argumentation parfaitement contradictoire : car si cette mesure est « scandaleuse », il faudrait logiquement la supprimer aussi du code civil !     

En tout état de cause, le droit positif et la jurisprudence distinguent bel et bien, en la matière, différentes catégories de Français selon le fait générateur de leur nationalité. Autrement dit, « la tradition républicaine » sur ce sujet comme sur tant d’autres (laïcité, droit du sol, etc…) est bien plus complexe que le message univoque que ses champions autoproclamés lui prêtent. Et « pire » encore, la tradition de la gauche elle-même, car la législation en vigueur sur la déchéance de nationalité remonte pour une bonne part au radical Edouard Daladier et à la chambre de Front populaire. 

Après tout, l’on peut comprendre que François Hollande s’inscrive dans cette tradition, étant lui-même si l’on y réfléchit bien, non pas un social-démocrate, ni un « social-libéral », mais un radical pur sucre dans la grande tradition de la IIIème République… 

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