Jenner, Dolezal : changer de sexe est courageux, changer d'identité ethnique est une escroquerie. Ah bon, et pourquoi donc ?

Il y a toujours un risque à comparer une chose et une autre, constater qu'elles se ressemblent et en déduire une théorie générale sur leur équivalence. Les syllogismes ont été inventés pour ça, après tout. On peut pourtant se demander, en toute candeur, sans préjugé ni agenda, pourquoi des situations aussi parfaitement superposables - le "coming-out" féminin de Caitlyn Jenner et "l'outing white" de Rachel Dolezal - provoquent des réactions aussi diamétralement opposées.

Mais en préalable, et pour ceux qui, habitant l'un de ces petits patelins savoyards injustement privés d'ADSL, auraient loupé ces événements, un petit cours de rattrapage s'impose :

Caitlyn Jenner, est une personnalité américaine, jusqu'ici connue sous le nom de Bruce Jenner, ayant annoncé publiquement son changement de sexe sous les vivats de la foule. Cet ancien champion olympique d'athlétisme reconverti dans la télé-réalité aurait remis son apparence physique "en conformité" avec son identité intime et pourrait désormais, légitimement, revendiquer son état de femme.

Rachel Dolezal est une militante anti-raciste, présidente d'une section régionale de la principale organisation américaine de défense des droits civiques des Noirs, dont on vient de découvrir qu'elle était 100% blanche alors qu'elle avait toujours laissé entendre qu'elle était métisse. Elle est train d'être démolie médiatiquement.

En gros, la première serait courageuse quand la seconde ne serait qu'un imposteur (incidemment, il n'existe pas de féminin pour ce mot, ce qui pourrait faire l'objet d'une autre chronique mais ne nous dispersons pas). Jenner mériterait une médaille et Dolezal le pilori.

Un taux de mélanine plus différenciant qu'un caractère sexuel biologique

La question se pose pourtant de savoir en quoi il est si fondamentalement différent de se percevoir comme noir si l'on est blanc et femme si l'on est homme -- au moins en apparence dans un cas comme dans l'autre. Et de comprendre le cheminement intellectuel de ceux qui défendent le droit d'être reconnu dans l'identité de genre dans laquelle on se sent confortable, mais traitent d'escroc (toujours pas de féminin) quiconque est, disons, aussi fluide sur son identité ethnique.

Existerait-il, dans ce cas, et dans ce cas seulement, des barrières objectivement infranchissables ? Un bête taux de mélanine serait-il plus différenciant qu'un caractère sexuel biologique ?

Je lis ici et là que Dolezal, en dépit de son CV irréprochable d'activiste de l'égalité des droits, aurait "menti" en toute conscience quand Jenner aurait été forcé(e) par la société à ne pas dire la vérité sur ce qu'il (elle) était véritablement jusqu'à son coming out. Et que la coupe de cheveux et le bronzage en cabine de l'une procéderaient de la mascarade quand la chirurgie et les traitements hormonaux lourds de l'autre relèveraient de l'évidence.

Je ne prétends pas savoir ce qui se passe réellement dans leurs têtes respectives et même, je ne me le demande pas. Ma perspective personnelle, c'est que les gens ont bien le droit de faire ce qu'ils veulent de leur vie, que je n'ai pas à valider leurs choix et que s'ils sentent mieux comme ceci que comme cela, ça les regarde. Je prétends, en revanche, avoir une petite idée de ce qui se passe dans la tête de ceux qui ont décidé de massacrer Dolezal et, simultanément, d'encenser Jenner. Je me retiendrai toutefois de l'énoncer ici. J'aurais bien trop peur de tomber dans le syllogisme.