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Quid des agresseurs de vieilles dames dans une société sans cash ?
©Reuters

Petits métiers et modernité

Les commerçants danois abandonnent l'argent liquide, qui n'en a sans doute plus pour très longtemps. La petite délinquance de rue peut-elle s'adapter sans heurts ?

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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La théorie économique enseigne, du moins dans la mesure où la théorie économique est capable d'enseigner quoi que ce soit mais c'est un autre débat, que la disparition d'une activité obsolète entraîne systématiquement la création d'une activité nouvelle. C'est la fameuse « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter, premier économiste viennois à avoir troqué son Nokia 3310 pour un iPhone dit-on (mais je n'ai pas vérifié, c'est juste un truc que j'ai lu sur un forum Internet).

Ainsi les fabricants de carrioles hippomobiles ont-ils cédé la place aux constructeurs de voitures, lesquels se préparent à s'effacer derrière les inventeurs d'imprimantes 3D, qui seront d'ailleurs eux mêmes bien embêtés par la banalisation probable de la téléportation...

Pour les optimistes, la transition n'est pas nécessairement douloureuse, si les ouvriers du secteur en perdition ne stagnent pas trop longtemps à Pôle Emploi avant de rejoindre le secteur en émergence. Pour les pessimistes, et l'efficacité aléatoire de nos structures de formation continue tend à leur donner raison, la période entre ceci et cela est susceptible d'être ponctuée d'émeutes, de révolutions et de guerres mondiales même si tout finit généralement par rentrer dans l'ordre.

Une question que je me pose, et à laquelle je chercher vainement une réponse schumpéterienne valide, c'est celle du futur des petits délinquants de rue, agresseurs de vieilles dames et autres arracheurs de sacs-à-main dans la société sans cash qui arrive à grands pas. Oh, j'imagine bien que pour un criminel un poil sophistiqué, transférer des fonds dématérialisés ou des bitcoins d'un compte suisse vers une banque des Bahamas ne doit pas poser de problèmes fondamentaux.

Au Danemark, les commerces refusent l'argent liquide

Mais quid du braqueur un peu bas de plafond qui vous tombe dessus au distributeur de billets s'il n'y a plus de distributeurs de billets ? Quid du pickpocket opportuniste qui vous déleste avec talent de votre portefeuille dans le métro mais ne comprend rien aux subtilités du piratage PayPal et du phishing par email frauduleux ? Ils deviennent quoi, ces artisans du crime de base, dans un monde où tout se paye avec un smartphone comme c'est déjà presque le cas au Danemark, où les commerces refuseront bientôt l'argent liquide ?

Je m'étais déjà intéressé au sujet il y a quelques années, en pensant plutôt aux difficultés que présenterait une vraie société sans cash aux types qui font la manche et à leurs généreux donateurs spontanés, mais la diffusion rapide des téléphones mobiles chez les SDF laisse déjà entrevoir une solution si l'on peut satisfaire  une requête du genre « T'as pas cent balles ? » avec une « app » quelconque (ou une CB sans contact si le tapeur est équipé d'un terminal de paiement compatible).

Il y a encore le retour  troc, bien entendu, mais ça paraît un peu compliqué. Je cambriole un appartement, je pique une télé géante à écran plat et mon receleur me l'échange contre un collier de perles parce qu'il ne peut plus me payer en biftons anonymes ? Hum, pas très pratique... Il y a aussi la possibilité de création d'une monnaie physique parallèle réservée aux petits délinquants, façon SEL, mais on suppose qu'elle conduirait surtout les braqueurs au petit-pied à se braquer entre eux pour aller plus vite et ça tournerait vite en rond – surtout si l'on ne peut faire ses courses que dans le milieu qui utilise cette monnaie. On a beau être un délinquant super bas-de-gamme, on a sans doute besoin d'acheter un truc officiel de temps en temps, comme une baguette aux six céréales chez la boulangère par exemple...

La transition vers la société sans cash risque, de fait, d'être bien plus douloureuse pour les petits délinquants que l'arrivée du Kindle pour les libraires, qui peuvent toujours transformer leur boutique en boulangerie où l'on paye sa baguette en euros numériques. Les optimistes diront sans doute que c'est justement toute la beauté du truc : avec la fin de l''argent liquide, plus d'agressions de vieilles dames, plus de braquages aux distributeurs de billets, plus de hold-up spontané de bar-tabac ou d'épicerie pour un butin dérisoire. Les pessimistes leur répondront, OK, sans doute, pourquoi pas, mais pas avant quelques émeutes, révolutions et guerre mondiales, évidemment...

Et Schumpeter, qu'est-ce qu'il en dit ? Aucune idée. Je lui ai laissé un message sur What'sApp et j'attends encore sa réponse. Mais bon, il peut-être déjà passé à SnapChat.

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