Radiographie de l'abstention depuis 30 ans : ceux qui se fichaient des élections et ceux qui faisaient de leur non-vote un choix actif<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le taux de participation au premier tour des élections départementales, de 49,83%, a été accueilli avec un certain soulagement.
Le taux de participation au premier tour des élections départementales, de 49,83%, a été accueilli avec un certain soulagement.
©

Non j'irai pas !

Il ne dépasse pas les 50%, pourtant le taux de participation au premier tour des élections départementales, de 49,83%, a été accueilli avec un certain soulagement. Retour sur le phénomène de l'abstention en France, qui n'a cessé de s'accentuer depuis le milieu des années 1980.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »

Atlantico : L'abstention, "premier parti de France"… depuis combien de temps cette antienne se vérifie-t-elle dans les faits ?

Bruno Cautrès : On constate, et pas seulement en France, une tendance à la hausse de l’abstention depuis la fin des années 1980-début des années 1990. Cette période constitue un moment charnière de la vie politique française : les alternances à répétition, les étapes franchies par l’intégration européenne (Maastricht), la chute de l’empire soviétique mais aussi les tendances de évolutions sociologiques, semblent avoir modifié en profondeur les significations et les représentations que les citoyens se faisaient de la politique. Bien sûr, il ne faut pas être déterministe : les sociétés économiquement intégrés par l’Europe ou interdépendantes du fait de la globalisation, ne connaissent pas une sorte de déclin inéluctable de la participation et de l’intérêt des citoyens pour les questions publiques.

Au fil des décennies, quelles variations a-t-on observé en fonction de la nature des élections, et des enjeux spécifiques à certaines d'entre elles ?

Les différentes élections ne vont pas mobiliser avec la même intensité : les élections européennes, avec des enjeux difficiles à cerner pour les électeurs, mobilisent difficilement. Mais de manière générale, les élections en France, comme dans de très nombreuses autres démocraties européennes, ont connu une tendance avec davantage d’abstention depuis la fin des années 1980. Ainsi, même lors des élections municipales, pourtant réputées pour symboliser la proximité des électeurs avec les problèmes publics, l’abstention a-t-elle connu une hausse significative depuis cette période lorsqu’aux municipales de 1989 l’abstention est passée à 27% au premier tour. Les dernières élections municipales qui ont mobilisé les Français ont été celles de 1983. Pour les élections législatives, on constate également une baisse de la participation depuis la fin des années 1980, accompagnée d’un logique institutionnelle : lorsque les législatives suivent de près la présidentielle, soit parce que le nouveau Président dissout (1981, 1988), soit depuis 2002 du fait de la réduction du mandat présidentiel à 5 ans et de l’inversion du calendrier électoral de 2002 (Lionel Jospin alors Premier ministre de cohabitation avait souhaité prolonger de quelques semaines le mandat des députés de manière à ce que les législatives de 2002 aient lieu 5 semaines après la présidentielle), alors on constate un très fort tassement de la participation par rapport à la présidentielle. Ainsi, en 2007, les deux tours de la présidentielle mobilisent près de 84% des électeurs alors que les deux tours des législatives quelques semaines plus tard ne mobilisent que de l’ordre de 60% des électeurs. Même constat à peu de choses près pour 2012.

La présidentielle conserve, à l’exception du premier tour de 2002, un fort pouvoir de mobilisation des électeurs : le plus faible taux de participation à la présidentielle sous la Vème République a été de 71.60% le 21 avril 2002 ; le plus fort taux a été de 84.75% lors du premier tour de 1965, première élection du Président de la République au suffrage universel. Cette élection, dans un système semi-présidentiel et avec en général une forte polarisation des votes (ne serait-ce que parce que le second tour organise mécaniquement une confrontation entre deux programmes et deux personnalités), continue de mobiliser.

Qui sont les abstentionnistes, et quelles sont leurs motivations ? Comment ces deux aspects de l'abstention ont-ils évolué au fil des ans ?

L’abstention relève de logiques que les recherches en sociologie électorale ont bien cerné. Il existe une dimension sociologique à l’abstention qui va traduire une dimension d’intégration sociale. Les moins diplômés, les moins dotés en capital culturel, mais aussi les jeunes électeurs participent moins. Cette dimension sociologique est complétée par une dimension politique : les moins intéressés par la politique, les moins impliqués par la politique, les plus défiants vis-à-vis de la politique vont s’abstenir davantage. Cette dimension politique est plus complexe qu’il n’y paraît. Certains électeurs, avec des niveaux de diplômes plus élevés, vont à la fois se déclarer intéressés par la politique, parfois même avoir une haute idée de la politique et vont néanmoins s’abstenir notamment lorsque l’offre électorale les déçoit. Dans le sondage post-électoral réalisé par l’IFOP après le premier tour des départementales de dimanche dernier, les deux principales motivations des abstentionnistes ont été les suivantes : « parce ces élections ne changeront rien à votre situation » (21%) et « pour manifester votre mécontentement à l’égard des partis politiques » (20%). La première de ces deux motivations a été plus forte encore parmi les électeurs de Marine Le Pen de 2012 (34%), tandis que la seconde a été encore plus forte qu’en moyenne parmi les électeurs de François Hollande (31%) et de Nicolas Sarkozy (24%) de 2012.

La dimension sociologique de l’abstention correspond davantage au profil des abstentionnistes « constants », ceux qui s’abstiennent à presque toutes les élections ; la dimension politique, notamment lorsqu’il s’agit d’électeurs politisés, traduit un phénomène plus récent : l’abstentionnisme « intermittent » d’électeurs qui peuvent voter à une élection et pas à la suivante, à un tour d’une élection et pas à l’autre. On notera aussi que des effets générationnels existent : dans les générations plus anciennes, même si l’on est déçu de la politique, on continue de voter car « voter c’est un droit, mais aussi un devoir civique » comme il est indiqué sur la carte d’électeur ; en revanche les plus jeunes générations, marquées par une plus forte autonomie vis-à-vis des normes sociales, vivent davantage le vote comme un « droit » que comme un « devoir ».

Finalement, ces explications qui relèvent de l’électeur ne doivent pas faire oublier qu’une partie des raisons de l’abstention se situe du côté de l’offre politique, de la qualité des candidats et de leur capacité à faire apparaître des propositions politiques fortes et contrastées. Car nombre d’électeurs n’ont pas le temps ou le goût de lire en détail les propositions des partis ; les candidats doivent (et c’est là l’une de leurs fonctions importantes) donc être des « médiateurs » entre l’univers complexe des enjeux politique ou économiques et les citoyens.  

Pour ces départementales, les "mauvais élèves" de la participation se trouvent principalement dans le quart nord-est, au sud-est et en Île-de-France. Le sud-ouest, en revanche, enregistre les taux d'abstention les plus faibles. Cette disparité entre régions entre-t-elle en cohérence avec les niveaux d'abstentions traditionnellement observés dans les différentes zones du territoire français ?

La géographie de l’abstention est relativement stable en France. Cette géographie vient en écho aux dimensions sociologiques de l’abstention. Les territoires où se concentrent davantage que dans le reste du pays le chômage et différentes inégalités sociales s’abstiennent plus ; les territoires à forte concentration urbaine, les périphéries des grandes villes, s’abstiennent davantage que la France rurale. La géographie de l’abstention le 22 mars 2015 n’a pas échappé à ces grandes lignes.

Propos recueillis par Gilles Boutin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !