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Petites leçons baltes pour l’Ukraine : combien ça coûte vraiment de s’affranchir énergétiquement (et politiquement) de la Russie
©REUTERS/Gleb Garanich

Ca gaze... ou pas

Alors que de nombreux pays d'Europe de l'Est ou centrale entendent diversifier la provenance de leur gaz et se libérer du joug russe, ceux-ci s'exposent à des coûts financiers et politiques plus conséquents. Leur stratégie est donc menacée.

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi est conseiller scientique de Futuribles international et géoéconomiste spécialiste des questions énergétiques. Il est aussi docteur en géographie économique, professeur de relations internationales au sein de l’Enseignement militaire supérieur spécialisé et technique, intervenant à Sciences Po et à Polytechnique. Il est l'auteur de Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir, chez Armand Colin (2017) et avec O. Kempf et F-B. Huyghe, Gagner les cyberconflits, Economica, 2015.

 

 

 

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Atlantico : Pour diversifier l'origine de leur gaz et se détacher du joug russe, des pays d'Europe de l'Est ou centrale  entendent se tourner vers d'autres producteurs tout en misant sur le gaz naturel liquéfié, plus aisé à transporter. Les choix envisagés coûteront-ils plus cher que de passer directement commande à la Russie ? Si oui, pourquoi ?

Nicolas Mazzucchi : Les pays d’Europe centrale et orientale, en premier lieu les Pays baltes et la Pologne, envisagent en effet de plus en plus d’avoir recours au gaz naturel liquéfié (GNL) pour leurs approvisionnements énergétiques. Développer des solutions de GNL qui impliquent la construction de terminaux de regazéification et l’achat d’un ou plusieurs méthaniers pour les compagnies chargées du transport leur permettrait en effet de faire appel à des fournisseurs extra-européens comme le Qatar, l’Algérie, l’Australie ou, à moyen terme, les Etats-Unis. C’est dans cette optique un choix stratégique intéressant de diversification potentielle puisque les mêmes infrastructures peuvent servir quel que soit le fournisseur.

Toutefois cela pose plusieurs questions dont la plus importante est liée à la structure de coût. En effet le GNL coûte bien plus cher que le gaz livré par gazoduc. Il faut ainsi compter les couts d’infrastructures : terminaux de liquéfaction au départ et de regazéification à l’arrivée, méthaniers achetés en Corée du Sud ; mais aussi le cout du transport maritime inhérent au fait de faire voyager du gaz, même avec un volume 600 fois moindre, sur plusieurs milliers de kilomètres. Habituellement les solutions de GNL ne sont, comme dans le cas de la France par exemple, envisagées que pour des approvisionnements d’appoint. Faire reposer un mix énergétique sur le GNL, vu la santé économique des différents Etats européens concernés, est très étonnant et semble difficilement tenable.

De plus les pays se fournissant auprès de la Russie par pipeline ont le plus souvent signé des contrats d’approvisionnement de long-terme avec Gazprom ; la question de la rupture de ces contrats et des éventuelles indemnités devrait aussi s’ajouter à la facture finale.

On sait que la Russie effectue des factures personnalisées en fonction des pays. Quels autres avantages pourraient perdre ces pays en termes de sécurité, rapidité et efficacité ou encore en termes économiques et  militaires ?

La sécurité des approvisionnements de gaz par GNL pose quelque part la même question que celle du gaz par gazoduc puisque les deux maillons de la chaine importants sont les mêmes : la fiabilité du fournisseur en termes de volumes et celle du transporteur en termes de ponctualité. Le plus souvent dans le cas du gaz par gazoduc c’est le fournisseur qui assume également le rôle de transporteur alors que dans les projets visés en Europe centrale et orientale il y aurait visiblement séparation entre les deux, les pays européens souhaitant avoir le contrôle direct sur le transport. 

Le gros avantage du GNL est, du moment que l’on contrôle la partie transport maritime, de permettre de s’approvisionner chez n’importe quel fournisseur doté d’infrastructures de liquéfaction. Dans cette optique cela augmenterait la sécurité des approvisionnements en faisant jouer la concurrence entre les pays du Maghreb, du Golfe persique, d’Asie ou les Etats-Unis. Toutefois la distance n’étant pas la même, il y aura forcément une répercussion au niveau des couts et de la rapidité de livraison.

La Russie pourrait en outre exercer des mesures économiques à l’encontre des pays qui font le choix de se tourner vers d’autres fournisseurs en cessant d’y investir ou en limitant les approvisionnements de certains matériaux et technologies stratégiques (métaux rares, uranium, matériels militaires ou nucléaires civils).

La Russie a en projet la construction du gazoduc dit South Stream devant la relier à l'Europe occidentale en passant par la Bulgarie et la Serbie. Serait-il alors imaginable que la Russie transporte son gaz vers des pays comme la Bulgarie, la Serbie ou l'Italie avant que ces pays ne les revendent, à leur tour, à des pays désirant pourtant s'éloigner de la Russie ? Cela ne reviendrait-il pas encore plus cher, ou cela pourrait-il s'avérer être une stratégie payante ?

Cela reviendrait au même pour ces derniers et coûterait éventuellement plus cher, si tant est que les infrastructures terrestres entre la Serbie, la Bulgarie et les autres pays existe et qu’ils ne soient pas obliger de bâtir un nouveau réseau de gazoducs. Toutefois en termes de politique interne cela pourrait servir aux dirigeants de ces pays pour communiquer sur un éloignement de la Russie. C’est un peu le même principe qu’avec l’Allemagne sortant du nucléaire mais étant obligée d’acheter à l’étranger de l’électricité d’origine nucléaire pour couvrir ses besoins ; c’est avant tout une question de politique intérieure. La Russie pourrait également inclure dans ses contrats gaziers des clauses de non-revente vers tel ou tel comme le fait l’Australie avec son uranium, mais ce n’est pas son intérêt de procéder de la sorte.  

Il faut rappeler que si dans la chaine de valeur du pétrole, l’étape critique est le raffinage, dans le gaz, c’est le transport. South Stream est avant tout la troisième pointe du trident gazier russe vers l’Europe avec au nord le Nord Stream pour l’Allemagne et les pays de la Baltique, au centre le réseau passant par l’Ukraine pour l’Europe centrale et au Sud le South Stream pour les pays méditerranéens. En ce sens tout le continent européen devrait être potentiellement couvert par les infrastructures d’export russes, chaque pays faisant le choix ou non de s’y approvisionner.  

En se détournant du gaz naturel, quelles autres solutions s’offrent aux pays désirant se détacher de la Russie ? Quelles solutions en interne existent pour les pays enclavés n’ayant pas accès à la mer, et donc pas d’accès au GNL ? 

Le GNL n’est valable, en première solution, que pour des pays ayant un accès maritime or la Hongrie ou la Slovaquie, pour ne citer que ces deux, en sont dépourvues. En outre eu égard aux couts engendrés par le GNL, celui-ci peut difficilement être  la base du mix énergétique de ces pays. Deux solutions existent alors : rester au gaz en misant sur les gaz non-conventionnels comme le gaz de schiste, c’est le choix de la Pologne et de la Roumaine ou se retourner vers d’autres énergies et dans ce cas ce serait principalement le charbon avec les impacts environnementaux que cela implique. Cela explique les intenses batailles de lobbying autour de la révision de la stratégie énergie de l’UE 2030 et de les questions sur les objectifs nationaux en matières d’énergies renouvelables ou d’émissions de gaz à effet de serre.

Cette solution de la diversification et de l’indépendance politique est-elle viable à terme ? 

Eventuellement et à condition de pouvoir en supporter le surcoût, ce qui semble difficile. Toutefois il est important de signaler que ce sont surtout les Etats-Unis qui sont intéressés par ces projets est-européens. En effet, Washington prévoit de devenir exportateur transatlantique et trans-pacifique de gaz à moyen terme. Dans ce cadre la volonté de ses alliés de l'Otan en Europe orientale de passer à des solutions GNL pourrait se révéler pour les Etats-Unis une formidable source d’influence puisqu’ils pourraient devenir leurs nouveaux fournisseurs privilégiés. Le Traité Trans-Atlantique pourrait se révéler un formidable cadre multilatéral de coopération en ce domaine ce qui a été bien compris des deux côtés de l’Atlantique. Dans ce cas les pays d’Europe centrale et orientale ne feraient qu’échanger une tutelle contre autre ; plus lointaine certes. 

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