Pesticides : avec ou sans, radiographie des dangers encourus<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pesticides font peur aux consommateurs et sont rejetés par les agriculteurs spécialistes du bio.
Les pesticides font peur aux consommateurs et sont rejetés par les agriculteurs spécialistes du bio.
©Reuters

Papa, comment ça marche ?

Emmanuel Giboulot, viticulteur en Bourgogne, encourt six mois d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour avoir refusé de traiter sa vigne atteinte d'une grave maladie, la flavescence dorée. "Je ne voulais pas utiliser de produits chimiques dans mes parcelles, que ma famille cultive en bio depuis 1970" déclare-t-il avant l'ouverture de son procès, à Dijon.

Atlantico : Bête noire des agricultures bio, les pesticides peuvent, sous certaines conditions, s'avérer utiles sinon indispensables. Qu'en sait-on réellement aujourd'hui ?

Marc Dufumier Les pesticides sont surtout la bête noire de ceux qui veulent une alimentation saine dépourvue de tous résidus de ces produits. Les endocrinologues considèrent que les jeunes qui ont été exposés depuis in utero jusque la puberté à certaines familles de pesticides pourraient avoir une espérance de vie en bonne santé (c’est-à-dire sans maladie neurodégénérative ni cancer) bien moindre que les générations antérieures qui ne l’ont pas été. Et la bête noire aussi de tous ceux qui s’inquiètent des dégâts occasionnés par les quelques "mauvaises herbes", insectes ravageurs et agents pathogènes résistants à ces pesticides et qui finissent par proliférer sans plus aucun concurrents ni prédateurs.

Jean-François Narbonne Les pesticides font partie d'une logique agricole et économique. Ça n'a pas beaucoup de sens de dire qu'il faut économiser les pesticides du fait que l'on puisse faire une société alternative sans pesticide et avec une autre logique agricole. L'INRA (Institut national de la recherche agronomique, ndlr) vient de prouver, après 12 ans d'étude sur l'agriculture, qu'on pouvait se passer totalement de l'engrais et des pesticides. En tout cas, les pesticides entrent dans une logique économique, sociale et d'industrie alimentaire. 

Contre quels parasites les pesticides ont-ils permis de lutter ? Et contre quelles maladies ? Quelles cultures ont-ils sauvé ?

Marc Dufumier Les herbicides sont destinés à lutter contre les "mauvaises herbes", les insecticides contre les insectes ravageurs, les fongicides contre les champignons pathogènes, les acaricides contre les araignées, les nématicides contre les nématodes, les raticides contre les rats…

Les plantes les plus fréquemment traitées sont les pommiers (jusqu’à 30 traitements par an !), les pommes de terre, la vigne et, sous les tropiques, les cotonniers. Sans que l’on ait pu pour autant éradiquer les plaies que l’on voulait combattre. Bien au contraire : la multiplication des traitements est en fait la conséquence de leur emploi  qui, si elle soulage dans l’instant, ne parvient qu’à aggraver les problèmes sur le long terme.

Jean-François Narbonne :Les pesticides ont permis de lutter contre tous les parasites. Il y a des tas de catégories de pesticides : les germicides, les insecticides, les fongicides, etc. On lutte contre tout ce qui peut diminuer la productivité agricole dans les champs (insectes et mauvaises herbes).

Prenons l'exemple du blé : la première année on récoltera 100% de blé, la deuxième année 80%, la troisième année 60% et la cinquième année on ne récoltera que 40% de blé car les mauvaises herbes se seront développées sur le champ. C'est une dynamique de l'écosystème. Si on veut récolter que du blé et pas de mauvaises herbes, il faut évidemment les tuer. C'est la même logique pour les insectes : ils attaquent le maïs ou autre, ce qui favorise le développement de mycotoxines. Là aussi on a des champignons et des développements de bactéries qui dégradent en apparence ou dans la structure la plante. Dans ce cas-là on utilise des fongicides.

En fonction de l'humidité au cours de l'année, on n'utilisera plus ou moins de pesticides. En cas de sécheresse, les champignons ne se développent pas. En cas de fortes pluies, on utilise les pesticides pour contrer la prolifération de champignons. En conclusion, les agriculteurs n'utilisent pas plus de pesticides qu'avant, c'est le climat qui change. 

Les pesticides ont permis de lutter contre les maladies des plantes. Si on augmente les rendements, les plantes sont plus fragiles et il faudra augmenter les traitements. Si on veut lutter contre les champignons, il faut diminuer les mycotoxines. Il y a des quantités de maladies de plantes ! Ça peut aussi induire des maladies chez l'homme : toxicité hépatique, cancer, etc. Les maladies humaines peuvent provenir des attaques sur les plantes.

Les pesticides ne sauvent pas les cultures mais ont été des aides à l'agriculture productiviste. Quand on a des attaques de champignons sur la vigne, si on ne traite pas on perd tout alors que si on traite on sauve sa récolte. Un agriculteur bio préférera sans doute vendre une culture non bio plutôt que de ne rien vendre du tout. Ça permet de sauver les plantes contre les attaques et contre les insectes. On utilise donc des pesticides pour freiner le développement des insectes susceptibles de ravager les cultures, comme les invasions de criquets dans certains pays d'Afrique par exemple.  

Dans quels cas et à quelles conditions l'usage des pesticides se révèle-t-il bénéfique ?

Marc Dufumier Malgré leur coût, l’usage des pesticides  paraît souvent bénéfique sur le très court terme pour les agriculteurs, ce qui les rassure dans un premier temps. Mais les déséquilibres écologiques occasionnés à plus long terme font qu’il devient finalement de plus en plus difficile de s’en passer sans vraiment pouvoir résoudre les problèmes qu’ils sont sensés résoudre.

Jean-François Narbonne :Les pesticides sont bénéfiques car ils protègent les plantes. Il faut bien comprendre qu'on n'utilise pas les pesticides juste comme ça. On les utilise associés avec une certaine agriculture. Ce n'est pas comme si on était dans un environnement naturel et il y a une attaque donc on utilise des pesticides. Les pesticides peuvent être comparés à l'engrais. Si on cultive tous les ans du maïs, on épuise le sol et il faut remettre des engrais pour rétablir le bilan nutritionnel. Les plantes récupèrent les minéraux donc il faut remettre des minéraux tous les ans sinon ça ne pousse plus sur le champ. Une façon de gérer cet épuisement des sols est de faire, par exemple, du blé après le mais : c'est le système de rotation des cultures. Mais aujourd'hui on fait la même culture au même endroit tous les ans, ce qui favorise les mycotoxines. En conclusion, on utilise les engrais et les pesticides car on a arrêté les rotations. On a simplement changé de logique d'agriculture.

A contrario, dans quels cas est-on allé trop loin dans les usages qui ont pu en être faits ? Où se situe la frontière entre usages positifs et négatifs des pesticides ? A quelles conditions se sont-ils révélés nocifs ?

Marc Dufumier Il n’y a pas de frontières entre usages négatifs et positifs. Qu’ils soient chimiques (produits de synthèse) ou naturels, les pesticides ont tous des effets néfastes à long terme et il faudra bien parvenir à s’en passer. Et cela d’autant plus que des techniques alternatives inspirées de l’agro-écologie existent bel et bien : elles ne visent pas à éradiquer la mauvaise herbe, l’insecte ravageur ou l’agent pathogène, mais à réduire leurs effets les plus ravageurs tout en parvenant à vivre avec. Il s’agit d’employer des variétés de plantes tolérantes à tous ces agents et d’avoir recours à des insectes auxiliaires qui en limitent la prolifération.

Il est erroné de penser que nous ne parviendrions pas à nourrir l’humanité sans pesticides. Mais ce qui est vrai, c’est que le producteur bio qui s’interdit de les employer et souffre des dégâts écologiques occasionnés par ses voisins "conventionnels" voit ses rendements diminuer. Et plus encore, les méthodes plus soignées et artisanales de l’agriculture biologique exigent souvent plus de travail et ne pourront s’imposer que si leurs produits sont correctement rémunérés.

Jean-François Narbonne : On est allé trop loin dans le sens où, avant, on traitait systématiquement les champs en cas d'une éventuelle attaque et non proportionnellement au besoin de protection des plantes. Mais aujourd'hui on est revenu à une logique où on adapte le traitement à la capacité d'attaque, ce qui s'appelle une agriculture raisonnée.

Qu'est-ce qu'on sait concrètement des conséquences sur la santé des pesticides ?

Marc Dufumier Il faut distinguer les conséquences aiguës liées à un des surdosages éventuels (par exemple, suite à des erreurs de manutention) et les maladies chroniques liées à une exposition prolongée, même à faible dose, aux pesticides perturbateurs endocriniens.

  • Sur les consommateursmaladies de Parkinson, d’Alzeimer, cancers de la prostate, troubles de la fertilité.
  • Sur l'environnementsurmortalité des abeilles exposées aux néo-nicotinoïdes, disparition des coccinelles prédatrices des  pucerons, éradication des carabes prédateurs des limaces, invasion de nouvelles mauvaises herbes envahissantes, etc.
  • Sur les agriculteurs : les mêmes méfaits que pour les consommateurs auxquels il faut sans doute ajouter une prévalence accrue du cancer de la peau.

Jean-François Narbonne :

  • Sur les consommateurs Rien n'est démontré pour le moment. Au contraire, les études épidémiologiques relatives aux consommateurs de produits issus de l'agriculture "conventionnelle" ont montré que le bénéfice l'emporte sur le risque en ce sens que consommer des fruits et légumes protègent des maladies cardiovasculaires et des cancers. On n'a pas démontré que manger bio protégeait de maladies puisqu'on n'a jamais démontré des maladies liées aux pesticides contenus dans les aliments. 
  • Sur l'environnement Il y a les impacts sur les agrosystèmes c'est à dire tout ce qui va être autour des champs comme les abeilles par exemple. Les pesticides ont des effets secondaires. Les interrogations sur la toxicité des pesticides ont d'ailleurs été posées à l'occasion des effets secondaires : dans les années 1960 aux Etats-Unis, on a vu disparaitre des prédateurs (faucons, aigles, etc.) car les oeufs se fragilisaient et ils n'arrivaient pas à se reproduire. Il a été prouvé que le pesticide DDT était à l'origine de la baisse de la reproduction. Alors que ce neurotoxique devait tuer les insectes, il perturbait la reproduction des oiseaux. Ça a été le premier perturbateur endocrinien. Mais au-delà de ça, l'abeille étant un insecte, quand on utilise des insecticides, c'est évident qu'il y a des conséquences sur les abeilles. Après on essaye de jouer sur les conditions d'usage pour amoindrir les effets secondaires. Ce n'est pas toujours effectif mais on essaye de limiter. 
  • Sur les agriculteurs :L'agriculteur manipule un produit technique c'est-à-dire un mélange de pesticides (de plusieurs molécules) et de formulant (solvants) qui vont aider le pesticide à rentrer dans le végétal. La molécule du pesticide ne rentre pas naturellement dans la fibre et elle a besoin de solvant pour entrer dans la plante.

    Les conséquences sont de plusieurs ordres : neurologiques (Parkinson), cancer (comme le cancer du sein chez les femmes par exemple), malformations, effets sur la reproduction (chez les agriculteurs et chez les familles d'agriculteurs), effets sur les reins, effets sur le foie, tête qui tourne en respirant fort, accouchements prématurés, santé à risque de l'enfant de l'agriculteur, stérilité, infertilité, etc. Les effets sur l'agriculteur causés par les pesticides ont été démontrés. 

Une utilisation raisonnée est-elle possible ?

Marc Dufumier Certes, il est possible d’en limiter parfois la sur-utilisation (en limitant les dosages et la fréquence des épandages). Mais il convient surtout de ne pas se faire d’illusions : on va devoir impérativement s’en passer et donc subventionner de préférence les formes d’agriculture alternatives à celle de l’agriculture industrielle.

Jean-François Narbonne :L'agriculture raisonnée est de systématiquement user des pesticides de façon raisonnée c'est-à-dire ne traiter qu'en cas d'attaques et proportionner la riposte à l'attaque. Certains agriculteurs mettent des capteurs d'insectes ce qui permet de regarder si d'une année sur l'autre il y a eu des attaques et quel est le niveau de parasitage. Le tout est qu'il y ait un taux de parasite acceptable économiquement. L'idée est d'avoir un indicateur qui permet de connaitre l'intensité de l'attaque. Certains agriculteurs préfèrent perdre 20% de rendement que de traiter car traiter coute cher. Comme ça il y a moins de pollution et pas de pesticide. Alors qu'auparavant, tous les ans, sous prétexte d'une éventuelle attaque, on traitait. Maintenant, on ne traite pas d'avance et on attend de voir si on a une attaque ou non. Ainsi, désormais, on ne peut traiter qu'une année sur trois ou cinq. On l'a vu, cette agriculture est possible puisqu'elle est déjà appliquée. En conclusion, certes en mettant des restrictions plus fortes, on a limité l'usage des pesticides. Ainsi, en 15 ans, on est passé de 1300 molécules actives, à 450 aujourd'hui. Il convient de noter le progrès énorme. Mais le problème c'est que les pesticides sont utilisés pour avoir un bon rendement. Si on utilise moins de pesticides, on a un moins bon rendement. En mettant des contraintes sur l'agriculture française, on augmente les prix donc les consommateurs vont acheter à l'étranger…


Propos recueillis par Marianne Murat

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