Le sommeil sur ordonnance : pourquoi il est urgent que nous réapprenions à dormir<!-- --> | Atlantico.fr
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Le sommeil est l'un des grands piliers dans le domaine de la prévention de la santé.
Le sommeil est l'un des grands piliers dans le domaine de la prévention de la santé.
©Reuters

Faites de beaux rêves

Face aux troubles du sommeil, la station thermale allemande de Bad Kissingen a décidé de s'attaquer aux irrégularités de notre rythme chronobiologique. Ayant un impact important sur notre santé et notre performance au travail, celles-ci peuvent être combattues grâce aux siestes quotidiennes.

Bruno Comby

Bruno Comby

Bruno Comby est polytechnicien et directeur scientifique de l'Institut Bruno Comby.

Il est l'auteur de l'Eloge de la sieste (TNR, 2005)

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Atlantico : Réputée pour ses soins thermaux, la ville allemande de Bad Kissingen a souhaité se démarquer de la concurrence en proposant de soigner les individus grâce au sommeil. Dans quelle mesure le sommeil fait-il partie des grandes questions actuelles de santé ?

Bruno Comby : Effectivement, le sommeil est l'un des grands piliers dans le domaine de la prévention de la santé, avec la lutte contre l'alcoolisme, le tabagisme et l'alimentation. Le sommeil est une composante importante de notre santé, conditionnant bien évidemment la manière dont nous nous portons.

Le sommeil est important au regard du temps que nous consacrons à cette activité : nous passons un tiers de notre existence à peu près à dormir.

Parce que le sommeil est caractérisé par une certaine forme d'amnésie dans la mesure où l'on ne se souvient pas vraiment de ce qui se passe, on a tendance à croire qu'il ne se passe rien. Or en fait, il se passe beaucoup de choses, mais dans notre inconscient.

Plus précisément, sur le plan de la santé, le sommeil est essentiel.Il existe deux grands troubles relatifs au sommeil :l'insomnie, qui touche les individus qui ne dorment pas suffisamment ou qui ont du mal à s'endormir, et l'hypersomnie, dont les personnes qui en sont atteintes dorment trop et n'arrivent pas à se réveiller. En Europe occidentale, on estime qu'environ 85 % de la population présente des carences en sommeil, sous des formes diverses et pas toujours graves non plus.

Bad Kissingen souhaite donc remédier aux problèmes de sommeil des individus en s'attaquant à leur rythme chronobiologique. Comment se mesure-t-il ? Est-il réellement possible de l'améliorer ?

Le terme de "chronobiologie" vient du mot "chronos" qui signifie "temps", et du mot "biologie" qui correspond à la science de la vie. Suivant que l'on ait une action comme manger ou dormir à tel moment de la journée ou de la nuit, il est clair que cela ne débouche pas sur le même résultat. Cela peut dont se ressentir sur notre santé. D'une manière générale, la chronobiologie correspond aux différents rythmes de la vie. Il existe donc une chronologie du sommeil qui correspond à l'art et la manière de dormir à certains moments plutôt qu'à d'autres. Un exemple : habituellement, nous avons un sommeil qui est plutôt monophasique, c'est-à-dire que nous dormons uniquement la nuit au cours d'un long épisode de sommeil d'une durée moyenne de huit heures. On se lève ensuite vers 7 heures du matin pour rester éveillé jusqu'à 23 heures ; et c'est reparti pour un autre cycle identique. On a donc l'alternance suivante : 16 heures d'éveil sans repos et 8 heures de repos sans réveil. Ce rythme nous est présenté un peu comme le rythme habituel, mais ce n'est pas le seul.

Généralement, les chronobiologistes recommandent l'exécution de siestes, soit plusieurs épisodes de repos au cours de la journée. La chronologie du sommeil consiste donc à étudier ce qui se passe quand on modifie son rythme habituel ou qu'on en utilise un autre, ainsi que l'impact de ces modifications sur l'amélioration de certaines pathologies liées au sommeil.

La chronobiologie ne s'applique pas qu'au sommeil: il existe aussi une chronobiologie de l'alimentation et thérapeutique, soulignant ainsi l'impact que peut avoir sur l'organisme le fait de prendre un traitement le matin ou l'après-midi.

Il est bien évidemment possible d'améliorer les irrégularités de son rythme chronobiologique, notamment en fractionnant son sommeil, c'est-à-dire en ne dormant pas seulement durant la nuit, mais en faisant comme la plupart des animaux domestiques qui introduisent des épisodes de sieste dans la journée. L'être humain n'est pas fait pour rester éveillé seize heures d'affilée, c'est pourquoi il est recommandé d'introduire des petits moments de repos dans la journée afin d'améliorer la récupération et d'aider les insomniaques et les hypersomniaques à améliorer leurs performances de sommeil ; les insomniaques trouveront ainsi plus facilement le sommeil et les hypersomniaques se réveilleront plus facilement. La sieste est l'une des clés de la chronobiologie.

Quel est l'impact de la chronobiologie sur notre quotidien ? Quelles conséquences sur l'organisme peut avoir un rythme chronobiologique irrégulier ?

Une certaine régularité est bien évidemment recommandée afin de donner des repères à l'organisme, en vue de son équilibre. Il y a bien-sûr des professions qui, par nature, comme les pilotes d'avion ou les navigateurs solitaires, sont confrontées quotidiennement à ce problème de la chronobiologie. Ces personnes sont alors obligées d'adopter des rythmes qui leur conviennent.

Un rythme chronobiologique irrégulier rejaillit à bien des niveaux ; sur la qualité du sommeil lui-même : sur la latence du sommeil qui correspond à la période d'endormissement et sur le temps que l'on met pour se lever notamment ; sur le stress, la tension, la mémoire, la concentration, la qualité des réflexes, les risques d'accident du travail et de la route, ainsi que sur la créativité indirectement. Un bon sommeil est donc synonyme d'une vie heureuse et épanouie en général, d'où l'importance de la chronobiologie.

Les jeunes sont le plus sujet à ces irrégularités du rythme chronobiologique. Comment améliorer leurs habitudes de sommeil ?

Dans la nature, il existe une synchronisation des rythmes de sommeil qui se fait par la lumière, c'est-à-dire qu'en l'absence de lumière artificielle, le soir, le soleil se couche, ce qui déclenche la venue du sommeil. Vous n'avez alors pas le choix que de vous dormir parce qu'il fait sombre. Mais grâce à l'ampoule électrique inventée par Thomas Edison, on peut se permettre de veiller tard et de garder une source lumineuse le soir, ce qui est notamment le cas chez les jeunes à travers les écrans informatiques ou la télévision. Ces derniers constituent ainsi un gros point lumineux qui stimule notre cerveau et nous empêchent ainsi de trouver le sommeil. C'est donc la porte-ouverte au non-respect de nos besoins fondamentaux, dont celui du repos.

Les enfants et les adolescents ont principalement tendance à se laisser embarquer là-dedans plus que les personnes plus âgées nées dans un monde où il y avait moins de télévision. Cette question de la lumière artificielle et des écrans qui restent allumés jusqu'à très tard le soir est un vrai problème de société. Ce qu'il faudrait donc faire, c'est imposer une extinction des feux à partir d'une certaine heure grâce à un système de chronomètre par exemple, qui couperait l'ordinateur à partir de 22 heures.

La mondialisation a, en partie, imposé de nouveaux rythmes de travail, dérégulant ainsi notre cycle chronobiologique. Le professeur de neuroscience Russell Foster reconnaît qu'une amélioration de notre sommeil ne pourrait provenir que de nos supérieurs hiérarchiques. Notre santé est-elle entre leurs mains ?

Je répondrais à la fois par l'affirmative et la négative. Il est vrai que le rythme du travail organise notre vie pour ceux qui ont la chance d'avoir un travail. Dans un monde où il y a de plus en plus de transport, la durée du travail a tendance à diminuer depuis un siècle d'une manière assez régulière. Cette réduction de la durée du travail s'explique aisément par la robotisation du travail. A ce phénomène s'ajoute donc celui de l'augmentation de la durée passée dans les transports pour se rendre sur son lieu de travail. Cela participe à l'augmentation des irrégularités du rythme chronobiologique.

Le travail peut, bien-sûr, provoqué un certain stress en vous imposant des horaires qui ne correspondent pas à votre rythme naturel. Cela peut néanmoins être compensé par l'instauration de siestes au cours de la journée.

Par le projet qu'elle souhaite développer, la ville de Bad Kissingen a ainsi imposé le modèle de ce qui est désormais appelé "ChronoCity". Quels pourraient être les avantages d'une manière générale, de ce nouveau modèle de ville reposant sur la réparation du rythme chronobiologique ?

Je tiens à saluer cette initiative de la ville allemande de Bad Kissingen. Il est vrai que la plupart des stations thermales s'occupent beaucoup de la qualité de l'eau mais également de l'alimentation, et assez peu de la dimension du sommeil qui est quand même l'un des grands secteurs de la santé préventive.

Il n'est pas très courant qu'une ville communique sur ce thème-là, et moins qu'elle en fasse sa spécialité. Plus ça va, et plus l'on peut observer une multiplication de ce type d'initiative. Certaines entreprises désormais prennent en compte la chronobiologie de leur personnel, à l'instar des grandes entreprises comme Apple, IBM ou Google. Depuis que j'ai publié mon livre L'éloge de la sieste en 1992, un certain nombre de sociétés s'intéressent au sommeil de leurs salariés car cela joue sur leur efficacité et leur productivité.

Étant moi-même candidat actuellement à la mairie de Ouilles dans les Yvelines, j'ai bien l'intention d'y introduire, une fois élu, une dimension de prévention du sommeil. Je pense que les collectivités locales ont intérêt à s'intéresser à cette dimension, de même que les entreprises le font depuis les années 1990. Une prescription sur la sieste dans l'administration pourrait être mise en œuvre afin que les fonctionnaires soient plus efficaces.

Une population ou des travailleurs qui dorment mieux améliorent bon nombre de choses : ils sont en meilleure santé ; cela joue aussi sur la longévité comme ont pu le relever certaines études faites en Grèce qui montrent que ceux pratiquant la sieste régulièrement vivent plus longtemps ; cela participe également à la prévention des maladies cardio-vasculaires qui sont, je le rappelle, la première cause de mortalité dans tous les pays développés ; un effet est également à noter sur la prévention du stress, et donc sur l'ambiance au travail. Un bureau dont toutes les personnes présentes ont fait une sieste génère une ambiance beaucoup plus décontractée et perspicace.

Propos recueillis par Thomas Sila

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