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Reconnaissance du vote blanc par le Parlement, ou la fausse bonne idée
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Démocratie en péril

Le Parlement vient d’adopter définitivement, ce mercredi 12 février, une proposition de loi des centristes de l'UDI qui vise à reconnaître le vote blanc. La mesure entrera en vigueur le 1er avril 2014, au lendemain des élections municipales.

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

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Cet article a précédemment été publié sur Atlantico le 28 novembre 2013

Atlantico : Le Sénat vient de valider la reconnaissance du vote blanc comme une expression politique à part entière (lire ici). Peut-on dire que cette mesure aura un impact productif sur la vie politique française ?

Dominique Reynié : Cela peut être perçu comme la reconnaissance d'une démarche très particulière, celle d'une abstention civique qui chercherait à s'exprimer sans pourtant faire un véritable choix politique. Le but est ici de faire en sorte que le vote blanc se distingue du bulletin nul (gribouillé, raturé, déchiré) qui est davantage considéré comme une "erreur" tandis que le premier comportement s'inscrit dans le civisme. On cherche donc ici à valoriser le vote blanc pour saluer malgré tout le souhait de participer à la procédure, sans participer à l'élection. On peut considérer qu'il y a plusieurs raisons de faire un tel choix : il peut s'agir d'une volonté de montrer que l'on ne se reconnaît dans aucune candidature, ou au contraire être le résultat d'une réelle hésitation entre deux candidats, parmi d'autres motivations. C'est bien le problème du vote blanc, dans le sens où il est pratiquement impossible à interpréter de par sa nature plurielle et indéterminée.

Cette mesure, en traitant le problème en bout de chaîne, semble ignorer les racines mêmes du détournement de certains citoyens de l'exercice électoral. Peut-elle être efficace sans être accompagnée en parallèle d'une réforme des institutions de la Ve République ? 

Votre question sous-entend que le vote blanc est mathématiquement un rejet du système, et la réalité est bien plus complexe. Pour prendre un exemple explicite, le "record" du nombre de scrutins blancs et nuls, aux élections présidentielles de 1969, a été atteint dans un contexte pluriel, puisque le rapport était droite-droite au second tour entre Poher et Pompidou (vote blanc d'hésitation, NDLR) et que les communistes ont refusé de choisir un candidat (vote blanc de contestation). Cette pluralité des causes se retrouve aussi pour les présidentielle de 1995 et de 2012, qui ont aussi connu un fort taux de votes blancs et nuls (respectivement 6 % et 5.8 %, 2012 étant un record en volume avec 2,15 millions de bulletins concernés).

Si l'on pose néanmoins la question en termes de régénérescence démocratique, en estimant que cette reconnaissance du vote blanc est un moyen d'agir plus largement contre l'abstention, on peut effectivement considérer que des réformes institutionnelles sont aussi nécessaires. On peut ainsi s'autoriser à réfléchir sur le cumul dans l'espace (député-maire) et dans le temps (nombre de mandats autorisés), à l'arrêt obligatoire de l'exercice d'une fonction publique en cas candidature électorale, ainsi qu'à l'introduction d'une part de tirage au sort dans certaines élections. L'autre aspect essentiel est d'arriver à un système de gouvernement qui permettrait au politique de retrouver son efficacité dans son action publique. 

Si le vote blanc avait été pris en compte en 2012, aucun président n'aurait été élu puisque qu'il doit l'être à la majorité des suffrages exprimés selon la Constitution. La mesure ayant été adoptée, va-t-on assister à un blocage politique ?

Cela aurait aussi été le cas en 1995 puisque Chirac a obtenu 49,5 % des voix d'après ce mode de calcul, et Hollande l'est aujourd'hui avec 48,6 % des voix dans la même optique. Il faudrait néanmoins réussir à distinguer le vote blanc du vote nul pour s'en faire une idée plus précise, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici (un projet de loi avait proposé en 2003 leur séparation dans les chiffres publiés par le Conseil constitutionnel, mais il est resté lettre morte depuis, NDLR). Cependant il est clair qu'il apparaîtrait nécessaire de passer de l'élection par la majorité à l'élection par la pluralité des suffrages (le plus gros score l'emporte de fait) afin d'éviter une crise de régime en cas de minorité des deux candidats au second tour. Cela aura par extension des conséquences sur la légitimité du vainqueur lors de l'exercice de son mandat, puisqu'il pourrait risquer de ne pas être majoritaire.

Faut-il craindre par ailleurs une dérive du non-choix à travers cette réforme ?

C'est effectivement une conséquence envisageable, et c'est d'ailleurs pour cette raison que très peu de pays reconnaissent le vote blanc actuellement. On peut toutefois difficilement considérer que les électeurs se déplaceront massivement pour finalement ne pas choisir de candidat, puisque la majorité de l'abstention reste constituée de "ceux qui restent chez eux" (environ 7 millions contre 2 millions de votes blancs et nuls en 2012, NDLR). 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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