Ados djihadistes : mais que font les représentants français du culte musulman pour prévenir la radicalisation ? <!-- --> | Atlantico.fr
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le Secrétariat national à la défense et à la sécurité tacle le CFCM quant à son absence d’implication dans la prévention de la radicalisation.
le Secrétariat national à la défense et à la sécurité tacle le CFCM quant à son absence d’implication dans la prévention de la radicalisation.
©Reuters

Silence assourdissant

La France vit actuellement, effarée, sous le choc de plusieurs radicalisations brutales de jeunes, dont certains mineurs, qui partent faire le jihad en Syrie. Dans un rapport remis à Matignon le 30 octobre 2013, le Secrétariat national à la défense et à la sécurité tacle le CFCM quant à son absence d’implication dans la prévention de la radicalisation.

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)

Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.

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Atlantico : Cette inaction est-elle avérée ? Si oui, doit-on l’attribuer à un manque de légitimité, de moyen, de bonne volonté ? A quelque chose d’autre ? 

Haoues Seniguer : L'absence de déclaration ou d'action publique visibles du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) sur le volet des jeunes Français, qui partent en Syrie accomplir ce qu'ils pensent être le djihâd, est moins l’indice d’un silence complice de sa part que le symptôme avancé de deux difficultés, auxquelles il est confronté, outre de manière chronique, de façon de plus en plus manifeste : la première de ces difficultés concerne son déficit évident de représentativité, et par conséquent de légitimité aussi, auprès de nombreux segments de la communauté musulmane au sens large de son extrême diversité sociale, culturelle et religieuse ;  soit par indifférence, soit par défiance de leur part. Il lui est, en effet, souvent reproché d’être en constante collusion avec le personnel politique français et les ambassades ou consulats des pays d'origine, sapant ainsi les fondements d’une autonomie du croire par rapport à des intérêts idéologiques ou électoralistes. De ce point de vue, les leaders du Conseil ne sont pas complètement naïfs dans la mesure où ils savent pertinemment qu'ils ne sont guère écoutés et suivis par la majorité des musulmans de France communément appelée "silencieuse". Le cafouillage de dernière minute du CFCM quant à la détermination du premier jour du Ramadan 2013 a autant créé la confusion et le malaise chez une grande partie de la communauté musulmane de notre pays, et sa colère naturellement, que mis au jour le grand décalage entre les élites d'un Conseil de l'islam de France exsangue et la base composée des croyants ordinaires qui ne s'y retrouvent pas. De plus, les membres de l'instance craignent peut-être de prendre ouvertement position sur la Syrie de peur de créer eux-mêmes un lien ou un amalgame entre l’islam de France et le djihadisme qui reste un phénomène extrêmement marginal. Ce silence traduit l’évitement et la crainte de susciter une nouvelle controverse publique autour des musulmans. La deuxième de ces difficultés est que le CFCM se concentre actuellement davantage sur les actes anti-musulmans qui ont lieu sur le territoire national, en vue de ne pas laisser le monopole de la lutte au CCIF (Collectif Contre l'Islamophobie en France) avec lequel il est en concurrence au moins larvée. Le Conseil ne veut donc pas être l'objet de davantage de discrédit auprès des musulmans, en désertant ce champ d'action de grande sensibilité aujourd’hui aux yeux d’une partie importante de la communauté musulmane. Autrement dit, a priori, la question syrienne et l'implication de jeunes français qui s'y rendent pour des motivations religieuses ou non, n'est clairement pas la priorité actuelle du CFCM. 

Qu’en est-il de l’action des autres leaders musulmans de France quant à la prévention de la radicalisation ?

C'est beaucoup plus ambigu que le CFCM. A cet égard, il nous est loisible de mettre en évidence quelques hypothèses explicatives qui gagneraient sans conteste à être plus largement discutées. Dans une tribune éditée le 1er juillet 2013, nous évoquions nominativement des individus, des personnalités, pas forcément françaises certes, mais dont la parole peut être néanmoins écoutée et entendue parmi de nombreux musulmans de notre pays, et des organisations de l'islam de France, à l'instar de l'UOIF (Union des Organisations Islamiques de France), qui ont gardé silence quand le cheikh Yûsuf al-Qaradhâwî (mufti du Qatar), lequel est pour eux une référence théologico-politique majeure (certains allant jusqu’à le qualifier de « Calife sans pouvoir »), a appelé les musulmans sunnites du monde au djihad contre le régime syrien et ses alliés, avec des accents messianiques et d’une violence caractérisée. De deux choses l'une: soit ils partagent son avis religieux et, partant, préfèrent ne rien ajouter à ce propos, soit ils ne le partagent pas, mais optent cependant pour le silence par solidarité idéologique et/ou organique. Dans les deux cas, la responsabilité morale est pleinement engagée. Par ailleurs, il est de plus en plus fréquent, sur le conflit syrien notamment, que certains médias communautaires musulmans français, hormis sans doute Oumma.com, Saphirnews, et peut-être d’autres, qui font a contrario preuve de nuance, de pondération et de distance critique sur le sujet, montent au créneau en des termes confessionnels et généralement virulemment anti-chiites. A ceux-là s'ajoutent des individus très actifs sur les réseaux sociaux qui diffusent régulièrement des images horrifiques d'enfants syriens qui auraient été tués par l'armée et les miliciens de Bachar al-Assad. Or, en frappant de la sorte les imaginaires, des acteurs musulmans nourrissent consciemment ou non une haine qui peut précisément dériver chez certains esprits à l'identité fragilisée en une volonté farouche de se rendre en Syrie quel qu'en soit le moyen. Là aussi, la responsabilité morale est pleinement engagée.  

Comment cette prévention de la radicalisation pourrait-elle être mise en place ? Et surtout par qui doit-elle l’être ? 

Outre les pouvoirs publics, toutes les institutions de socialisation sont concernées : organisations de l'islam de France, mosquées, famille, école, etc. La marginalité du phénomène djihadiste en France n’est pas une cause suffisante pour ne rien en dire, car cela concerne au premier chef, dans le cas présent, des adolescents. 

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