Immunité d’humoriste ? La différence entre Desproges, Coluche et Dieudonné c’est que les deux premiers ne croyaient pas aux horreurs qu’ils proféraient<!-- --> | Atlantico.fr
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Dieudonné a déclaré ne pas être "un nazi" ni "antisémite" dans sa conférence de presse du 11 janvier
Dieudonné a déclaré ne pas être "un nazi" ni "antisémite" dans sa conférence de presse du 11 janvier
©REUTERS/Gonzalo Fuentes

Elémentaire mon cher

Alors que Dieudonné a déclaré ne pas être "un nazi" ni "antisémite" dans sa conférence de presse du 11 janvier, son public soutient que ces propos ne sont que ceux d'un humoriste et qu'ils sont dignes d'un Coluche ou d'un Desproges, adulés pour leur liberté de paroles. Mais eux étaient au-dessus de tout soupçon quant à leurs véritables convictions.

Christian Millau

Christian Millau

Grand reporter, critique littéraire notamment pour le journal Service Littéraire, satiriste, Christian Millau est aussi écrivain.

Parmi ses parutions les plus récentes : Au galop des hussards (Grand prix de l'Académie française de la biographie et prix Joseph-Kessel), Bons baisers du goulag et aux éditions du Rocher,  Le Petit Roman du vin, Journal impoli (prix du livre incorrect 2011), Journal d'un mauvais Français (21 avril 2012) et Dictionnaire d'un peu tout et n'importe quoi (Rocher, 2013)

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Ce n’est pas par nostalgie du homard aux petits légumes qu’il préparait amoureusement dans sa villa de Chatou-Croisy que je repense à Pierre Desproges. Je serais curieux de savoir ce qu’il nous dirait de ce Dieudonné M’Bala M’Bala , dont on nous bulbe le chou comme s’il s’agissait d’un événement planétaire. Un humoriste, un autre Coluche version Banania ? Mais au fait c’est quoi, un humoriste ? Un moqueur sans frontières qui balance à tout va des vannes et des vacheries, en se fichant pas mal des conventions et des bonnes manières ? Oui, on peut dire cela comme cela. Alors à partir de là, Dieudonné est un humoriste. La seule différence avec les autres est qu’il tape plus fort .

Pourtant non .Dieudonné a été un humoriste .Un très bon mais il ne l’est plus. Pas parce qu’il n’est pas drôle - le plus souvent ,il ne l’est pas - mais parce qu’il croit profondément à ce qu’il dit.

Desproges, Coluche et tant d’autres ont été ou sont des vrais humoristes parce que, pas une seconde, ils ne croyaient ou ne croient aux horreurs qu’il leur arrivait de débiter. C’est toute la différence entre Desproges et Goebbels, Coluche et Dieudonné. Le premier et le troisième provoquent pour faire rire. Le dernier fait ni plus ni moins de la propagande, degré zéro.

Dieudonné lâchant : "Quand j’entends Patrick Cohen, je me dis… Les chambres à gaz… Dommage", où est la drôlerie, où se cache l’humour ? Comment peut- n imaginer qu’une salle peut s’éclaffer à un truc pareil sauf à la voir garnie d‘un public qu’on n’ose qualifier ? Au contraire, quand Desproges, poussant le bouchon très loin, avec : "Lorsque 40.000 Juifs s’entassent au Vél' d’Hiv, il faudrait être armé d’une singulière mauvaise foi pour les taxer de snobs", personne n’avait  honte de sourire ou de rire. Pas davantage, quand il dévidait ses perles :

"C’est plus fort que moi : plus la situation est sombre, plus j’en ris. Juif aux années sombres, j’aurais contre-pété aux portes des chambres à gaz, n’eussent été les menaces de fouet. J’ai horreur qu’on me fouette quand je contre-péte"

“Le juif renâcle à l’idée de se mélanger au peuple non élu… en dehors des heures d’ouverture de son magasin".

"Depuis que le port de l’étoile jaune est passé de mode, il n’est pas évident de distinguer un enfant juif d’un enfant antisémite".

"Il faut toujours faire un choix, comme disait Himmler en quittant Auschwitz pour aller visiter la Hollande : on ne peut être à la fois au four et au moulin".

Desproges pouvait aussi bien, dans le registre négro-spirituel, en lâcher une comme celle-ci :

"Ce qui me frappe dans la personne de Yannick Noah, me disait tout à l’heure mon ami Ralbol, ce n’est pas le tennisman, c’est le nègre" sans faire sonner aussitôt le téléphone de la Licra.

Pourquoi, avec lui, n’éprouvait-on jamais une quelconque gêne ? Simplement parce qu’il y avait entre lui et nous une complicité au second degré. Nous nous reconnaissions dans les préjugés que ses traits finement empoisonnés faisaient remonter à la surface.

Même réaction avec Coluche quand par exemple il disait :

"Le racisme, c’est comme les nègres, ça devrait pas exister" ou "La guerre de 14, c’était pas des vacances. Heureusement, dans un sens, parce qu’il n’a pas fait beau". Et il ne faisait pas hurler dans les paroisses, en sortant celle là : "On met une croix au dessus des lits parce que Jésus a été crucifié. Imagine, s’il s’était noyé : on aurait mis un bocal ?"

Avec Dieudonné, on se croirait au zinc d’un bistrot, au milieu d’une bande de goitreux de l’âge des cavernes qui s’esclaffent quand Jojo éructe : "Dis ,Paulo, relève ta manche et montre-moi ton numéro. T’auras droit à un blanc-cassis. C’est la Shoah qui régale".

Ce type, ce n’est pas pour antisémitisme qu’on devrait le poursuivre mais pour usurpation d’identité d’humoriste.

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