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Quelles leçons tirer de l’exemple marocain ?
©Reuters

Autre regard

Une tribune de Nabil Bayahya, executive partner en charge de la practice consulting au sein d’un cabinet international d’audit et de conseil.

Nabil Bayahya

Nabil Bayahya

Nabil Bayahya est diplômé de Sciences Po Paris. Il est actuellement Executive Partner en charge de la practice Consulting au sein d’un cabinet international d’Audit et de Conseil. Il intervient  régulièrement dans les colonnes du premier quotidien économique du Maroc, L'Economiste (www.leconomiste.com)   notamment sur des thématiques culturelles ou politiques 

 

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Le concept d’émergence est apparu dans les années 1990 pour désigner une mise à niveau économique rapide dans une période d’ouvertures tous azimuts. Il a été marqué par le triomphe idéologique du libéralisme sur le socialisme, à coups de « thérapies de choc », dont les instances internationales ont fait le modèle de la gouvernance.

Le Maroc n’a pas été épargné par cette évolution où le politique, l’économique, et le social sont étroitement liés. Mais à l’heure du bilan, alors que la crise mondiale vient remettre en cause le modèle occidental, et que les révolutions arabes ont eu raison des régimes autoritaires, le royaume conserve une étonnante stabilité, malgré trois décennies de réformes et de contestations. Longtemps regardé avec circonspection pour ses choix peu orthodoxes, le compromis chérifien intrigue désormais par son modèle de transition démocratique et de décollage économique.

Le poids de la dépense publique

Le Maroc n’a pas attendu la fin de la Guerre froide pour lancer les réformes libérales. Confronté à une faiblesse structurelle de son équilibre budgétaire, le Maroc a fait appel dans les années 1980 à l’aide du FMI, qui a répondu par son Plan d’Ajustement Structurel (PAS), lequel fut le point de départ d’une longue série de réformes.

Dans le collimateur du FMI figure avant tout, la dépense publique sous toutes ses formes. Or, comme dans de nombreux pays à l’économie dirigiste, l’emploi public a été longtemps utilisé comme un système social en tant que tel, agissant aux côtés de l’informel comme une variable d’ajustement d’un taux de chômage resté relativement bas.

Dans une société caractérisée par un taux de pauvreté parmi les plus élevés au monde, ces restructurations douloureuses ont révélé la fragilité du lien social. Les décennies 1980 et 1990 ont ainsi été marquées par des émeutes violentes et récurrentes, durement réprimées, maintenant le Maroc, à l’instar de ses voisins, dans un état de tension permanente. Aujourd’hui encore, la caisse de compensation, qui assure un accès à bas coût aux produits de base, reste politiquement trop sensible pour être réformée, à moins d’être remplacée par un système de protection sociale universel, sur le modèle de l’AMO et du RAMED qui préfigure un Etat providence à l’européenne. 

In fine, les réformes structurelles n’ont pas eu raison d’un système social certes archaïque mais puissant. Loin de se désengager, l’Etat est resté l’acteur public majeur, et a concentré sur sa propre gouvernance le poids des réformes.

L’émergence démocratique

Face au FMI centré sur les réformes budgétaires, la Banque mondiale publie en 1992 un rapport célèbre intitulé « Gouvernance et développement », dans lequel elle défend l’équivalence entre démocratie et émergence économique. Cette théorie va se vérifier au Maroc, où les réformes économiques des deux dernières décennies ont été largement le fruit d’une transition démocratique voulue et assumée par la monarchie elle-même.

Tout au long des années 1990 le roi Hassan II avait entamé un rapprochement avec les partis de l’opposition, en vue de préparer une alternance qui fut effective en 1999. Entre temps, le rôle du Parlement avait été renforcé, et l’administration territoriale avait gagné un échelon régional en vue d’une future décentralisation. Le roi Mohammed VI a hérité d’une série de réformes qu’il s’est attaché à poursuivre de manière spectaculaire, en particulier sur la liberté d’expression, le respect de la diversité culturelle au Maroc, ou la défense des droits de l’homme en général et le droit des femmes en particulier.

Même si beaucoup reste à faire, la Constitution du 1er juillet 2011 a été l’aboutissement de ce mouvement de fond, qui associe à un pouvoir exécutif démocratiquement élu, des principes de bonne gouvernance désormais gravés dans le marbre : l’universalité et la continuité des  services publics, la transparence, la reddition des comptes, et la responsabilisation des agents, la lutte contre la corruption, la liberté de concurrence...

En route vers la bonne gouvernance

Si les privatisations ont été peu nombreuses au Maroc, critiquées pour leur propension à attirer des investisseurs étrangers peu intéressés par la politique industrielle, la nouvelle gestion publique a néanmoins mis en avant l’autonomie de gestion à travers d’innombrables établissements publics, agences, ou groupements d’intérêt publics, aux côtés des entreprises publiques restées dans le giron de l’Etat. Malgré des résultats contrastés et une persistance des lourdeurs administratives, l’action de l’Etat y a gagné en efficacité.

Surtout, le Maroc a innové dans les nouveaux modes de planification à travers les stratégies sectorielles, qui ont permis de structurer l’intervention de l’Etat en définissant des objectifs clairs, des chantiers structurants, et de plans d’actions concrets, dotés de moyens en rapport avec les ambitions. Ces plans Maroc Vert, Emergence, ou Azur, affichent des succès certains, et inspirent des nouveaux modèles de développement à travers toute l’Afrique notamment. Elaborés avec l’appui de cabinets de conseil internationaux, ils ont été pensés sans  partis pris idéologiques, pour privilégier des montages optimisés à coup de partenariats publics-privés.

Enfin, l’application littérale des principes de décentralisation et de participation ont permis l’apparition d’un nouveau mode de gestion de l’action publique à travers l’Initiative Nationale de Développement Humain. L’INDH est fondée sur un appel à projets au niveau local à partir d’objectifs nationaux, pilotée grâce à un système sophistiqué de suivi et d’évaluation autour d’indicateurs sociaux. Elle apparaît aujourd’hui comme un véritable laboratoire de la bonne gouvernance.

Loin d’avoir été délaissée ou dégraissée, l’action publique a surtout été reprise en main pour former un modèle de développement original, basé sur une synthèse entre gestion rigoureuse, et gouvernance participative associant société civile, acteurs économiques, administration, et élus.

Transition démocratique, décollage économique, ouverture à la fois sur l’Europe et l’Afrique, font aujourd’hui du Maroc un modèle à part à condition de maîtriser les disparités et les inégalités, qui constituent la source principale de tensions sociales, et de poursuivre dans la voie des réformes économiques majeures pour une croissance économique durable.

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