Et si la mort de Ben Laden était la victoire de Bush ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Barack Obama à l'écoute de son prédécesseur George W. Bush...
Barack Obama à l'écoute de son prédécesseur George W. Bush...
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Politique américaine

Pour Evelyne Joslain, spécialiste des États-Unis, le succès de l'opération menée par Barack Obama contre Ben Laden revient avant tout à George W. Bush, son prédécesseur à la Maison Blanche. Interview d'une proche des conservateurs américains, dont le point de vue est peu exprimé en France.

Evelyne Joslain

Evelyne Joslain

Evelyne Joslain est spécialiste des Etats-Unis et du mouvement conservateur américain.

Elle est l'auteur de L’Amérique des Think Tanks (L’Harmattan, 2006) et de Obama : De la déconstruction de la démocratie en Amérique (4 Vérités, 2010).

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Atlantico : Quelle est la part de responsabilité de l’Administration Bush dans l’élimination d’Oussama Ben Laden ?

Evelyne Joslain : 99 %, parce que c’est bien la politique antiterroriste mise en place par l’Administration Bush depuis 2002 qui a joué et contre laquelle Barack Obama a vociféré lorsqu’il était sénateur et tenté d’agir depuis qu’il est Président. Il a donc été obligé de préserver cette politique, critiquée par la gauche la plus extrême mais largement plébiscitée par l’opinion publique et donc incidemment par le Congrès.

Certains ont crié à l’abrogation des libertés avec la décision de George W. Bush de pouvoir libérer les services secrets des multiples entraves qui étaient les leurs et donc de pouvoir procéder à des écoutes d’étrangers ou de conversations entre les États-Unis et l’étranger, ce qui a permis finalement de saisir de nombreuses discussions intéressantes. Il y a également le fait de pouvoir, sans donner préavis, débarquer chez des gens sur lesquels les autorités avaient des doutes précis. Cela fait aussi parti de l’arsenal juridique que Bush a obtenu du Congrès lorsqu’il était Président. Et puis, il y a bien entendu, les fameuses techniques d’interrogatoire musclées dont le “waterboarding” ou noyade simulée qui a été pratiquée sur seulement trois prisonniers à Guantanamo, notamment sur Khalid Cheikh Mohammed (ndlr : "cerveau" des attentats du 11 septembre 2001 et numéro 3 d'Al-Qaida) qui a fini par craquer. Mais il faut savoir que cette technique d’endurcissement, que les GI, les Marines et les autres corps de l’armée américaine s’infligent à eux-mêmes, n’a absolument rien à voir avec de la torture véritable. Le ministre de la Justice Eric Holder a même voulu un temps juger Khalid Cheikh Mohammed devant un tribunal civil de New York, mais devant la pression populaire répercutée au Congrès, cette idée a finalement été abandonnée.

Ces techniques d'interrogatoire musclées sont-elles véritablement efficaces dans la lutte contre le terrorisme ?

Les interrogatoires musclés - et pas seulement la noyade simulée - pratiqués sur quelques détenus de la prison cubaine de Guantanamo et dans les prisons secrètes de la CIA basées à l’étranger, ont permis de récolter et de recouper des informations, qui au fur et à mesure des années, ont conduit à localiser Ben Laden et donc à l’éliminer. Cela fait 8 mois que les autorités américaines sont au courant et ce n’est pas grâce au chef de la CIA Leon Panetta qui est un brave homme, honnête et bien intentionné, mais qui n’a absolument pas l’envergure pour ce poste : il ne connaît rien au monde du renseignement et des services secrets, il est là car parachuté par Obama.

En fait l’armée américaine fonctionne un peu comme toutes les administrations, elle a son propre fonctionnement et il se trouve que les services spéciaux ont continué à agir comme ils en avaient l’habitude.

Mais chose incroyable, Eric Holder a préféré faire la guerre aux services de renseignements plutôt qu’aux terroristes : plusieurs officiers américains sont maintenant inquiétés par le département de la Justice sous l'oeil bienveillant du Président. Donc ce succès pour Obama est en fait très mitigé. Il a tout de même le mérite, contrairement à Bill Clinton, d’avoir accepté quand on le lui a proposé, de presser la gâchette.

Mais ce que personne ne dit apparemment en France, c’est qu’il aurait pu également dire : “Je le veux vivant”. Bush avait déclaré en 2002 : “Mort ou vivant, peu importe”, or depuis, on a découvert justement qu’il était utile de faire parler un terroriste ; la gauche américaine pacifiste aurait bien entendu hurlé au loup si Ben Laden avait été pris vivant et si on avait voulu le soumettre aux interrogatoires. Obama a multiplié les attaques meurtrières de drones et on lui pardonne, la presse ne dit rien parce c’est lui. Si cela avait été Bush, toute la presse en parlerait. Obama a opté pour cette issue parce qu’il préfère un terroriste mort à un terroriste vivant. Il bien compris qu’il ne pouvait pas faire autrement que de soumettre les terroristes - fut-il Ben Laden - aux interrogatoires militaires et ce, en raison de l’opinion qui refuse absolument que ces gens-là soient jugés comme des criminels de droit commun devant des tribunaux américains. Obama est pieds et poings liés, car d’un côté, sa base pacifiste le tient, et de l’autre, il a besoin d’un coup de pouce pour faire remonter sa cote dans les sondages. S'il a eu le mérite d’avoir donné le feu vert pour qu’on abatte Ben Laden, un président plus déterminé et surtout entouré de gens plus attachés aux intérêts américains aurait dit non et refusé de l'abattre pour le capturer vivant comme pour Saddam Hussein en Irak. Si Bush était à la Maison Blanche aujourd'hui, il aurait essayé de capturer Ben Laden vivant, j’en suis certaine.

Et puis, il y a tous les milliards versés au Pakistan depuis 8 ans : cela a d’ailleurs commencé sous Bush mais l’ardoise s’est considérablement alourdie d’année en année notamment depuis Obama. Rien qu’en 2010, 4 milliards de dollars ont été alloués à l’armée pakistanaise alors même que le Pakistan poursuivait son double jeu et protégeait Ben Laden.

Que pensent les Américains de ces techniques d’interrogatoire ?

Les Américains veulent que leur pays ne se laisse pas marcher sur les pieds et ne paie pas des fortunes à des alliés qui sont en fait de faux amis. L’opinion américaine est révoltée en ce moment d’avoir dépensé tant d’argent pour des gens qui en fait se moquaient d’eux. Côté républicain en tout cas, il n’y a pas d’état d'âme concernant les interrogatoires. John McCain, qui est un très brave homme, considéré comme un RINO (Republican In Name Only ou "républicain de nom seulement") et qui fut torturé au Vietnam, a d'ailleurs eu tort d’avoir laissé dire que les interrogatoires à Guantanamo relevaient de la torture. Il sait pertinemment que cela est faux, et s’il l’avait dit, cela aurait coupé court à tous les ragots.

Avant Bush, il y eut Bill Clinton. Que pensez-vous de sa politique antiterroriste ?

Clinton était un lâche, pire qu’Obama. Il aurait pu éliminer Ben Laden. Il y a eu plusieurs attentats sous l’Administration Clinton et rien n’a été fait. La molesse des démocrates est en partie responsable des attentats du 11 septembre 2001 : ils ne veulent pas prendre au sérieux les menaces contre l’Amérique.

Barack Obama peut-il tirer bénéfice de l’élimination de Ben Laden ?

Si Obama veut en garder le bénéfice - cela ne peut durer que quelques jours puis s’arrêter - il doit alors retourner complètement sa veste et adopter la politique étrangère de Bush pour en terminer avec les terroristes partout où ils se trouvent. L’armée américaine se bride elle-même : Obama a commencé par débaptiser la “Guerre contre la terreur”. Sans parler des harcèlements incessants à l’endroit des interrogateurs américains. Il faudrait qu’il repense totalement sa politique et admette publiquement son erreur en politique étrangère comme en politique intérieure pour espérer se faire réélire, car les questions intérieures et économiques jusqu’à l’assassinat de Ben Laden, occupaient tous les esprits. Même les membres du mouvement conservateur Tea Party, que l’on dit uniquement préoccupés par les questions nationales, veulent qu’on en termine avec ces menaces contre l’Amérique.

La présidence Obama est l’une des plus opaques et hypocrites que l’on n’ait jamais vues. Si elle a heureusement autorisé l’élimination de Ben Laden, il reste à déterminer la part électoraliste dans cette décision. C’est ce que le semaines qui viennent, détermineront.

Quel est votre avis sur le refus de Barack Obama de rendre publiques les photos de Ben Laden mort ?

Aujourd’hui, Obama ne veut pas que l’on publie ces photos,  il n’y a pourtant guère de risques que l’on en fasse une superbe image comme celle de Che Guevara qui fait encore le tour du monde sur les t-shirts des gamins. Je pense que le peuple américain a le droit de le voir mort. Moi, cela ne me dérangerait pas de le voir mort, de voir sa tête éclatée. On pourra en faire tout autant une idole sans l’avoir vu qu’en l’ayant vu. A l’époque, l’armée américaine a eu raison de montrer Saddam Hussein sortant de son trou comme un rat puis de le livrer à la justice irakienne. On aurait pu faire la même chose avec Ben Laden afin de l’interroger. Cela dit, peut être qu’Obama a bien fait de donner l’ordre de tirer parce que Ben Laden aurait pu tout aussi bien finir devant un tribunal militaire américain. Le juger n’aurait pas été évident lorsque l’on voit comment agissent ces avocats qui défendent les terroristes : ils auraient pu accuser les Navy Seals et dénoncer les conditions de l’arrestation comme contraires à la justice et au droit. Ben Laden était le financier des attentats du 11 septembre, il a le sang de milliers de personnes sur les mains et il aurait voulu certainement en faire plus. Je ne peux avoir que de la pitié pour les victimes.

Quel est, selon vous, le bilan de la politique antiterroriste de Bush ?

Son bilan est très bon. Il a remporté beaucoup de victoires : il n’y a pas eu un seul attentat sur le sol américain durant ses 8 années de présidence et des dizaines de tentatives ont été déjouées. Mais depuis Obama, la sécurité recule et on assiste au retour des attentats comme celui qui a frappé la base militaire de Fort Hood en novembre 2009 au Texas (ndlr : la fusillade fit 13 morts et 30 blessés) ou d’autres qui ont avorté à New York et ailleurs. Bush en réalité est victime de son succès car un attentat qui n’aboutit pas, cela fait trois lignes dans la presse. Bush a par ailleurs laissé à Obama un Irak stabilisé et qui n’a pas bougé lors du récent "Printemps arabe".

Les historiens verront-ils d’un autre œil l’héritage de George W. Bush dans les années à venir ?

J’en suis persuadée. Je le dis même très clairement dans mon livre Obama : de la déconstruction de la démocratie en Amérique. Beaucoup aux États-Unis commencent d’ailleurs à s’en rendre compte. Bush n’a pas fait des choses fantastiques en tout mais je continue de penser qu’il a eu raison de vouloir supprimer le régime de Saddam Hussein. La politique menée par le général Petraeus en Irak était la bonne mais celle qu’il a initiée en Afghanistan sous Bush me convainc beaucoup moins. Aujourd’hui, le responsable du bourbier afghan, c’est Obama. Pas Bush.

Comment jugez-vous la couverture médiatique en France de cette élimination historique ?

Les médias français ne veulent pas reconnaître qu’ils ont eu tort de s’emballer pour Obama qui n’est qu’un nouveau venu, qui n’a jamais rien fait dans sa vie pour mériter une adoration pareille. Les journalistes en France ne font aucun effort : c’est un mélange de paresse intellectuelle et de mauvaise volonté. En plus de leur parti pris virulent contre le Parti républicain, ils ont une profonde méconnaissance de ce qu’est devenu aujourd’hui le Parti démocrate, beaucoup plus à gauche qu’autrefois.



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