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Ecole en bateau : le fonctionnement d'un environnement totalitaire et pédophile
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Bonnes feuilles

Ce témoignage raconte ce qu'a été pour de nombreux enfants la réalité de l'Ecole en bateau : à la fois une aventure extraordinaire, un environnement despotique et un cercle d'attraction pédophile. Extrait de "Les perles de lumière" (1/2).

Benoît Klam

Benoît Klam

A neuf ans, Benoît Klam quitte sa famille pour l’aventure et le voyage : sillonner les mers sur un voilier avec l’école alternative l’Ecole en bateau. A quatorze ans, il débarque, reprend ses études et sort diplômé de l’Ecole Centrale. Il est ingénieur chez un opérateur pétrolier norvégien (Mer de Norvège/Sahara).

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Chouchou le jour, favori la nuit, le garçon eut bientôt une place toute particulière aux yeux de Stanek. Cette place, sans qu’il en fût vraiment conscient, Mael devinait qu’elle était intimement liée à ce qui se passait entre les corps. Cette place, Mael en avait besoin et il donna tout ce qu’il avait pour la garder. Cela ne fut, en apparence, guère difficile. La mécanique de son être l’aida grandement, apportant de la jouissance dans toutes ces sensations nouvelles, ainsi que dans la certitude de plaire. Le nouveau monde dans lequel il était entré à sa descente d’avion lui donna le cadre, la compréhension mentale nécessaire pour y donner sens.

Après tout, il n’y avait eu ni adultes ni enfants, ni capitaine ni moussaillon, il n’y avait eu que des individus égaux ou, selon la formule toute faite qui revenait au vieillard, « sur un pied d’égalité » ; et le vieil homme se demanda soudain à quelle enseigne s’était trouvé l’autre pied. Un enfant n’était autre chose qu’un adulte taille réduite, en valait pour preuve l’équipage de ces deux voiliers, composé pour l’essentiel de gamins qui assuraient toutes les fonctions du bord et assumaient toutes les responsabilités sans sourciller et sans souci. Il eût été idiot de s’arrêter à quelques différences, aussi flagrantes qu’insignifiantes, telle la taille des couilles.

Les mots soufflés par Stanek dans son oreille d’enfant résonnaient brusquement dans la tête fatiguée du vieillard comme s’ils venaient d’être prononcés : « Tiens, touche ! C’est incroyable la différence, les tiennes ont à peine la taille de petites noisettes, les miennes de grosses prunes ! »

Le souvenir arracha au vieil homme un hurlement qui retentit dans la nuit ; qu’il aurait voulu les broyer, ces prunes !

Dans son regard, brûla cette haine qui l’assaillait parfois, une rage féroce contre tout l’univers. Comme ce jour où, marchant enfermé en lui-même sans voir personne, ce jeune anonyme aux allures de caïd s’était soudainement retourné sur son chemin pour lui lancer de dessous sa capuche tirée jusqu’au nez : « Putain de merde ! t’as l’air si sévère ! »

L’accès subit de hargne apporta à Mael juste ce qu’il lui fallait de force et de volonté pour jeter un morceau de bois sur les braises encore toutes rouges et pour modifier sa position afin de soulager l’inconfort du sol. Il se remit en chien de fusil, dos contre le géant, regard vers les flammes naissantes.

Stanek et Boris avaient tout fait pour que ces enfants à qui ils imposaient une sexualité adulte eussent l’impression que cela fût naturel et volontaire. Pour l’essentiel il s’était agi de garçons, car, avait-on dit, les parents ne laissaient partir pour une telle aventure leurs filles, mais le vieillard se doutait que le goût du capitaine y avait été pour beaucoup. Il y avait la Grèce antique qui fournissait un cadre sociétal, fût-il révolu depuis plusieurs millénaires. Les bonnes idées ne se périmaient pas, d’ailleurs, elles ne pouvaient que reculer temporairement face à l’obscurantisme présent. Cette Grèce remplissait les rayonnages de la grande bibliothèque de bord, huilait les rouages d’une mécanique d’éreintage de la société moderne si ridiculement prude. Le vieil homme revoyait le regard de Stanek, en coin, aiguisé par le désir, lorsqu’il présentait doctement un magnifique satyre, le zob plus gros qu’un bras, dans un musée des confins du Dodécanèse. Il y avait cette idée martelée de l’égalité enfant-adulte, égalité devant le travail, devant la responsabilité, devant la sexualité. Il y avait le sabotage, la destruction des références passées – les parents, l’école, la société – qui ne laissaient dans les têtes qu’un vaste champ de ruines sur lequel les idées nouvelles ne pouvaient que s’installer, prendre racine, s’épanouir. Il y avait enfin l’éradication de toute estime de l’enfant pour lui-même. À son arrivé, il n’était qu’un nouveau, c’est-à-dire un moins que rien, un minable, un nul à qui toute la vie devait être apprise. Une fois devenu un ancien, il n’acquérait de valeur que dans la mesure où il adhérait pleinement aux règles du bord, qui, en fin de compte, étaient celles de Stanek. À cela, s’ajoutait encore l’isolement, la dépendance absolue de ces enfants dont la vie, sur une coquille de noix, dans des pays plus éloignés de leur région natale les uns que les autres, reposait entièrement entre ces mains adultes.

Enfant, Mael n’avait rien compris de tout ça. Il s’était trouvé projeté dans ce nouveau monde sans retour possible et avait fait avec du mieux qu’il put. Il avait tout embrassé aveuglément.

Il avait rejoint ce bateau sans trop réfléchir, ou, plutôt, en réfléchissant du haut de ses neuf ans, pour vivre l’aventure, voyager, voir les paysages qu’il avait admirés dans des magazines pour enfants ou sur des affiches. Il croyait alors encore aux cartes postales, au père Noël.

Extrait de "Les perles de lumière", Benoît Klam, (Editions du Rocher), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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