En défense de la France raciste<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Une manifestation contre le racisme.
Une manifestation contre le racisme.
©Reuters

Faux combat

Lundi 2 décembre s'est tenu au théâtre du Rond-Point un gala "contre le racisme" rempli de stars et d'artistes. Un évènement qui prend une ampleur quelque peu démesurée dans une France qualifiée de raciste pour une "Une" à faible tirage et les divagations d'une enfant mal éduquée.

Ali Devine

Ali Devine

Ali Devine est professeur d'Histoire dans un lycée de banlieue parisienne. Il anime un blog éponyme, incandescent et iconoclaste.

Voir la bio »

Cet article est tiré du blog Ali Devine

Après le grand meeting de la Mutualité du 27 novembre, où les extrémismes de tout poil avaient déjà bien morflé, la gauche a immédiatement relancé l’offensive par une soirée de mobilisation « contre la haine » au théâtre du Rond-Point. Au moment où j’écris ces lignes il est trop tôt pour évaluer le succès de cette dernière manifestation, d’autant que des informations contradictoires filtrent à son sujet : on lit qu’elle concernerait le « monde culturel » et les « artistes », mais aussi que Patrick Timsit, Arielle Dombasle et Pierre Perret y prendraient part ; allez comprendre ! Toujours est-il que, d’après une dépêche AFP qui vient de tomber sous mes yeux, 78 personnes auraient été admises dans les hôpitaux de Paris suite à une intoxication à la moraline. Les personnes les plus sensibles sont donc invitées à se tenir à l’écart de leur poste de télévision dans les heures qui viennent.

Je veux affirmer, de façon liminaire, que je considère Mme Taubira comme un être humain à part entière, et même comme une femme politique assez brillante. J’étais contre le mariage dit « pour tous », mais je dois reconnaître qu’elle l’a défendu avec éloquence et pugnacité. De toute façon une personne capable de citer René Char, Léon Gontran Damas ou Henri Michaux dans ses interventions publiques mérite le respect. C’est bien simple, sa flamboyance a presque réussi à faire oublier que la Justice est un sujet qui ne l’a jamais beaucoup intéressé (dix lignes dans son projet présidentiel 2002, aucune intervention remarquable à ce sujet en 19 ans de députation) et que selon toute apparence elle n’a été nommée là qu’en raison de l’abaissement qu’une autre femme issue de la diversité avait préalablement fait subir à ce ministère.

J’espère aussi que les marques de soutien qu’a reçues la garde des Sceaux ces derniers temps ne lui auront pas trop tourné la tête. Encensée par Christine Angot et Virginie Despentes (ce qui, pour une lettrée, doit être absolument atroce), défendue par Bernard-Henri Lévy qui voit en elle le modèle d’un futur buste de Marianne, appelée à la présidence de la République par Frédéric Bonnaud des Inrockuptibles, élue produit femme de l’année par le magazine Elle, accueillie à l’Assemblée nationale par une ovation debout, portraiturée par le New Yorker avec le titre « How racist is France ? », officiellement défendue par le Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, et donc encensée dans deux meetings successifs par ses bons amis antiracistes en habits de lumière, Christiane Taubira serait sans doute immédiatement transférée au Panthéon s’il venait à lui arriver malheur avant la fin de la mandature, et si j’avais un avis à lui donner ce serait de regarder avec beaucoup d’attention ce que son conseiller en communication met dans le thé qu’il lui sert. Vraiment les outrages subis ont donné lieu au paiement d’un pretium doloris qui me paraît d’ores et déjà tout à fait convenable. Je crois que Mme Taubira incarne désormais à la perfection ce qu’une certaine gauche de CSP++ intelloïdes attend comme le nourrisson attend un sein : le surgissement messianique d’un(e) Obama français(e), la possibilité de simplifier des questions politiques et sociales extrêmement complexes en batailles éthiques entre gentils et méchants, et la preuve irréfutable que les heures les plus sombres sont bel et bien revenues – si tant qu’est que l’aiguille se soit jamais déplacée d’un millimètre, d’ailleurs. 

En ce qui me concerne, je ne comprends tout simplement pas ce que veulent dire les gens qui déplorent une montée du racisme et de l’intolérance en France. Quelles sont les pièces du dossier ? La couverture d’un fanzine pétainiste tirant à 5.000 exemplaires, et dont tout le monde ignorerait l’existence sans les twitts d’une escouade de vigilants patentés ; les divagations bananières d’une petite fille mal élevée ; deux ou trois pages Facebook de militants UMP ou FN. Je trouve les charges extrêmement maigres pour incriminer un pays entier. N’est-ce pas le type même de stigmatisation collective contre quoi tonnent les antiracistes quand elle cible les Algériens ou les Sénégalais ?

Et puis notre pays, je trouve, est en l’occurrence très injustement diffamé, car il sait se montrer sympathique aux représentants de ses diversités, comme on dit aujourd’hui. Considérons par exemple le monde politique français, réputé être l’une des citadelles d’où les méchants de souche aspergent d’huile bouillante tout nouvel arrivant, tout pauvre pas comme nous.

Laurent Fabius, bien que catholique lui-même, est le fils d'un Ashkénaze et d'une Américaine, ce qui ne l'a pas empêché de faire une assez belle carrière et de finir par devenir ministre des affaires étrangères d'une nation réputée xénophobe, antisémite et antiaméricaine. Le ministre des finances Pierre Moscovici est juif. La garde des Sceaux, Christiane Taubira, est donc une femme guyanaise noire. Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, est né espagnol et n’a été naturalisé qu’à l’âge de vingt ans. La ministre de la culture, Aurélie Filipetti, porte en bandoulière ses origines italiennes, dont elle a même fait un roman. La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a gardé sa double nationalité franco-marocaine. A quoi il faudrait ajouter, parmi les seconds couteaux, une ministre des PME (Fleur Pellerin) née en Corée, un ministre des anciens combattants (Kader Arif) fils de harki, une ministre de la francophonie (Yamina Benguigui) d’origine algérienne et une ministre déléguée « à la réussite éducative » (George Pau-Langevin) guadeloupéenne. En dehors du gouvernement, le président de l’Assemblée nationale (Claude Bartolone) est né à Tunis dans une famille venue de Sicile, le président du Parti socialiste (Harlem Désir) est d’origine martiniquaise ; et parmi les 75 secrétaires nationaux du parti majoritaire, on compte Pouria Amirshahi, Malek Boutih, Amale Chebib, Laurent Cohen, Carlos da Silva, Elsa di Méo, Mine Günbay, Corinne Narassiguin, Eduardo Rihan Cypel, Roberto Romero, Louis-Mohamed Seye, Nisrine Zaibi – toutes personnes dont le patronyme n’évoque pas précisément le terroir saintongeais ou morvandiau. Au sein de la majorité, Europe Ecologie - Les Verts est dominé par les personnalités d’Eva Joly (naturalisée française à 24 ans, tout en conservant la nationalité norvégienne), de Daniel Cohn-Bendit (juif allemand) et de Jean-Vincent Placé (né à Séoul). Le principal parti d’opposition est présidé par Jean-François Copé (d’origine juive algérienne et roumaine) et dominé par la figure de l’ancien président, fils d’un immigré hongrois.

Au niveau local, la capitale de la France a élu un maire homosexuel, et sa succession est briguée par deux femmes : l’une (Anne Hidalgo), née de parents immigrés espagnols et naturalisée à l’âge de douze ans, et l’autre (Nathalie Kosciusko-Morizet) qui ne perd pas une occasion de rappeler son ascendance aristocratique polonaise. Lointain outsider, l’écologiste Christophe Najdovski est quant à lui né de parents yougoslaves. La quatrième ville de France, Toulouse, est dirigée par Pierre Cohen, né à Bizerte d’un père juif tunisien. La cinquième, Nice, a élu Christian Estrosi, fils d’un immigrant italien. Reims, la conservatrice cité des sacres, a porté à sa tête Adeline Hazan, fille d’un Juif égyptien.

Je suis désolé de devoir pratiquer ce comptage ethnique, je suis bien conscient de ce qu’il a de sordide, et je précise qu’à titre personnel je n’ai évidemment jamais déterminé mon vote en fonction des origines, de la religion ou de l’orientation sexuelle des candidats en présence. Mais comment répondre autrement à ceux qui voient dans l’exclusion xénophobe la réalité intime de la France ? Et puis ce n’est pas moi qui ai commencé.

Si nous changeons de domaine et que nous considérons le monde du chaud bizinesse, nous voyons que la liste des personnalités préférées des Français est dominée, pour l’année 2012, par Jean-Jacques Goldman (1er), Omar Sy (2ème), Gad Elmaleh (5ème), Simone Veil (6ème), Dany Boon (9ème) et Yannick Noah (10ème). Et encore, il n’y a pas si longtemps, il y avait une personne de petite taille dans le lot, brrr. C’est dire l’ouverture d’esprit de nos concitoyens.

Certes, les opinions moyennes de la population française diffèrent assez nettement de celles d’un éditorialiste de Libération, on s’en aperçoit en lisant le dernier rapport que la Commission nationale consultative des droits de l’homme a consacré à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Ainsi 65% des personnes interrogées pensent-elles que certains comportements peuvent parfois justifier des réactions racistes, 74% que les gens du voyage forment un groupe à part, 60% que les étrangers ne font pas suffisamment d’efforts pour s’intégrer, 69% qu’il y a trop d’immigrés en France, 73% que beaucoup d’immigrés viennent chez nous uniquement pour profiter de notre protection sociale, 54% que l’immigration est la cause principale de l’insécurité, etc. La prétendue sous-représentation de la diversité dans les médias et en politique indigne au maximum une personne sur cinq. Il se trouve même une écrasante majorité de 94% de salopards nazis pour refuser tout net les beautés du multiculturalisme et affirmer qu’« il est indispensable que les personnes qui viennent vivre en France adoptent les habitudes de vie françaises ».

Mais la même source fournit aussi des chiffres qui montrent de façon certaine que les Français, dans leur immense majorité, ne sont absolument pas racistes. 61% estiment ainsi que toutes les races se valent et 27% qu’il n’y a pas de races humaines. 60% pensent qu’il est nécessaire de lutter énergiquement contre le racisme, 75% qu’il faut punir avec sévérité les insultes racistes publiques, et 90% environ blâment les discriminations à l’embauche. 72% affirment qu’il faut permettre aux musulmans de pratiquer leur religion dans de bonnes conditions et 70% considèrent que les adeptes de l’Islam sont des Français comme les autres (la proportion monte à 85% au sujet des Juifs). Une majorité des deux tiers affirme (ou reconnaît, comme on voudra) que la présence d’immigrés en France est un facteur d’enrichissement culturel !

En définitive, les chiffres fournis par la CNCDH sont très clairs : dans leur écrasante majorité, les Français sont fermement convaincus que la valeur d’un individu ne dépend pas de ses origines, l’expression publique du racisme leur fait horreur, ils veulent que les discriminations soient punies et que chacun puisse exercer ses droits, en particulier dans le domaine religieux. MAIS ils estiment qu’il y a désormais trop d’immigrés et d’étrangers dans leur pays et que ceux-ci ne font pas les efforts nécessaires pour s’assimiler. Ils veulent que la France, même peuplée de gens venus de tous les coins du monde, reste elle-même. Qui peut raisonnablement les en blâmer ? 

Certes le même rapport montre une augmentation récente des actes et des menaces racistes. Mais à mon sens le fait le plus important qui ressort de ces pages est le nombre extrêmement faible de ces manifestations. En 2012, la hausse a été de 23 % ; mais outre qu’elle fait suite à deux années de baisse, elle se traduit par un total, pour toute la France (65 millions d’habitants), de 1539 « actes et menaces à caractère raciste, antisémite et xénophobe » recensés par le ministère de l’Intérieur. Encore faut-il préciser que les « menaces », qui comptent pour les trois quarts de ce total, sont un terme générique désignant les « propos ou gestes menaçants, graffiti, tracts, démonstrations injurieuses, exactions légères et autres actes d’intimidation », et que le détail du rapport montre qu’il s’agit dans plus de la moitié des cas d’« inscriptions » et de « dégradations légères » - en clair des tags débiles. Quant aux « actions », c'est-à-dire les manifestations xénophobes les plus graves, celles que décrit le rapport n’évoquent pas vraiment le Ku Klux Klan. A Meximieux (département de l’Ain), deux hommes ont brisé la vitre d’une mosquée en construction. A Poitiers, un autre homme a placé au rayon halal des barquettes de pieds de porc et des tracts islamophobes. C’est très con, mais est-ce grave ? Peut-on inférer de ces faits, isolés, peu nombreux et juridiquement bénins, qu’il-est-encore-fécond-le-ventre-de-la-Bête-immonde ? Si c’est le cas, il faudrait avoir l’honnêteté de préciser que cette Bête a les dimensions d’une musaraigne.

Pour tout résumer, un exemple régional : l’Île-de-France (12 millions d’habitants, dont un bon quart de ressortissants de la diversité visible) a connu pour toute l’année 2012 (365 jours tout de même) un total de 27 « actions de violence raciste » et 8 de « violence antimusulmane ». Un mauvais esprit tel que le mien ne peut s’empêcher de rapprocher ces chiffres impressionnants de ceux de la délinquance et de la criminalité en général dans cette même région : soit, pour la même année 2012, 55.674 vols avec violence ; 6.348 incendies volontaires et attentats à l’explosif ; 135.906 atteintes volontaires à l’intégrité physique, dont 2.132 viols, 115 homicides et 431 tentatives ; 4.578 « atteintes à la dignité et à la personnalité » - chef d’inculpation général derrière lequel on trouve certes les discriminations, mais aussi la traite et l’esclavage, l’exploitation de la mendicité d’autrui, la profanation de sépultures et d’autres faits heureusement moins graves. A la lecture de ces chiffres, on ne peut s’empêcher de penser qu’il est faux de parler de racisme et de « sentiment d’insécurité », et qu’on se rapprocherait considérablement de la réalité en parlant à l’inverse d’une insécurité tout à fait réelle et d’un « sentiment de racisme ».

Un seul groupe paraît pouvoir légitimement se plaindre. Il s’agit des Juifs, contre qui ont été commis en Île-de-France, au cours de l’année 2012, 98 « actions » antisémites. Mais outre que ce chiffre est dû pour une bonne part à la concentration géographique de la communauté, il paraît important de préciser qu’une forte proportion de ces actions ont eu lieu dans un contexte précis : ainsi, écrit l’auteur du rapport, « un regain de faits à caractère antisémite [a été] constaté en mars 2012 (…) à la suite de la fusillade meurtrière commise (…) par Mohamed Merah, au sein de l’établissement scolaire israélite Ozar Hatorah à Toulouse (Haute-Garonne), qui a fait quatre morts (dont trois jeunes enfants) et un adolescent gravement blessé. (…) Il est à noter qu’en 2006 une autre affaire d’homicide avait également provoqué une hausse significative de la violence antisémite dans les deux mois qui avaient suivi la date de la commission des faits. Il s’agit du meurtre d’Ilan Halimi, jeune Juif enlevé dans la région parisienne, puis séquestré et torturé à mort en janvier 2006 par un groupe d’une vingtaine de personnes se faisant appeler ‘le gang des barbares’, dirigé par Youssouf Fofana. » Même si ce n’est pas dit explicitement, on peut supposer sans grand risque de se tromper qu’une bonne partie de nos antisémites sont des émules des deux malfaiteurs cités ci-dessus, et qu’à leur instar le problème est en bonne partie issu de la diversité plutôt que de la population française dans son ensemble.

Finalement, le PS n’a qu’un argument vaguement crédible pour défendre cette idée d’une montée du racisme, et c’est bien évidemment la montée continuelle des intentions de vote en faveur du Front national. Mais réduire le vote FN à sa dimension xénophobe est intellectuellement erroné et politiquement contre-productif. Le rapport du CNCDH déjà cité montre qu’un quart à peine des électeurs du FN partage les opinions jadis exprimées par Jean-Marie Le Pen (et jamais reprises par sa fille) au sujet de « l’inégalité des races ». Les enquêtes d’opinion réalisées après le premier tour de l’élection présidentielle de 2012 (voir ici et ) montrent que l’immigration est loin d’être le seul déterminant de ces électeurs : 27 % seulement citent ce sujet comme la raison première de leur vote en faveur de Marine Le Pen (et encore faut-il préciser, même si cela relève de l’évidence pour toute personne de bonne foi, qu’on peut demander une restriction de l’immigration sans être raciste pour autant). Les autres invoquent leur déception à l’égard de la droite modérée et de la gauche, considérées comme également inefficaces et corrompues, leur volonté de changement, leur désir d’ordre et de sécurité, leurs craintes au sujet du chômage ou du pouvoir d’achat. Beaucoup expriment aussi un patriotisme que les partis politiques qui aiment à se décerner mutuellement le titre de « républicains » semblent depuis longtemps avoir monté au grenier avec les affaires de mémé.

Bref l’affaire a été résumée il y a six ans déjà par un socialiste sensiblement plus clairvoyant que la moyenne : toutes les gesticulations antifascistes du type de celle que l’on verra demain à la Mutualité ne sont que du théâtre. Ça tombe bien : le Rond-Point dispose encore de quelques dates…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !