FO refuse le front uni : à qui profite le vide laissé par les syndicats français ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le refus de Force ouvrière de s'unir à la CGT et la CFDT dans un large front syndical illustre la faiblesse des syndicats français
Le refus de Force ouvrière de s'unir à la CGT et la CFDT dans un large front syndical illustre la faiblesse des syndicats français
©Reuters

Enter the Void

Le refus de Force ouvrière de s'unir à la CGT et la CFDT dans un large front syndical illustre la faiblesse des syndicats français. Un vide qui ne profite ni aux salariés, ni au gouvernement et pas même aux patrons.

Atlantico : Force ouvrière a décidé de ne pas s'associer au front syndical uni que veulent réunir la CGT et la CFDT le 25 novembre pour évoquer "la gravité de la situation" du pays et "échanger sur les moyens d'y remédier". Les syndicats apparaissent une fois de plus très divisés et surtout faibles. A qui profite cette faiblesse des syndicats en France ?

Yves-Marie Cann : Cette division est indéniable, elle affaiblit la portée de leur parole et de leurs actions. La faiblesse des syndicats français prend toutefois racines dans l'étroitesse de leur base : moins de 8% des travailleurs français sont syndiqués, bien loin des taux observés dans d'autres pays européens ou aux États-Unis. De plus, cette base est peu représentative du tissu salarial, l'essentiel des bataillons étant issu du secteur public. En résulte un décalage possible entre les revendications portées par les organisations syndicales et les attentes de larges pans des travailleurs.

Cet affaiblissement des corps intermédiaires que sont les syndicats pénalise la qualité du dialogue social dans notre pays. Alors qu'ils ne sont plus en mesure de canaliser les colères, sont parfois débordés sur le terrain, ceci a des conséquences politiques, au premier rang desquelles celle de favoriser la montée des extrêmes.

Hubert Landier : Toutes les organisations représentatives, qu’elles soient patronales ou syndicales, redoutent aujourd’hui la multiplication de révoltes qui prennent naissance et qui se déroulent en dehors d’elles. Qu’il s’agisse du mouvement des Pigeons ou de celui des Bonnets rouges, ou voici quelques années, de Génération précaire ou des Enfants de Don Quichotte, ces mouvements présentent les mêmes caractéristiques :

  • ils partent de faits inopinés, d’une importance en apparence limitée, mais à forte charge émotionnelle pour les intéressés, ou d’une portée symbolique d’un problème plus vaste et ils sont par conséquent rigoureusement imprévisibles ;
  • ils s’expriment en dehors des canaux institutionnels de représentation et d’expression des mécontentements ; 
  • ils présentent souvent un caractère transversal par rapport aux options philosophiques traditionnelles et aux organisations (politiques, syndicales) qui les représentent ; 
  • ils sont plus ou moins irrationnels, que ce soit dans les objectifs mis en avant ou dans leur mode d’expression ; 
  • ils ne présentent pas un caractère durable, une fois la colère retombée, que ce soit par lassitude ou parce que leur objectif a été atteint ;
  • ils se fondent sur une mobilisation quasiment instantanée, fondée sur l’usage d’Internet et du smartphone;
  • ils mettent en scène des leaders jusqu’alors inconnus du grand public.

Ces mouvements témoignent de l’incapacité croissante des organisations traditionnelles à exprimer les réactions de celles et de ceux au nom desquels elles s’expriment. Dans certains cas, elles apportent leur soutien après-coup, mais trop tard pour être crédibles. Parfois, leurs organisations locales participent au mouvement, mettant les dirigeants nationaux devant le fait accompli.

Dans l’hypothèse où les mini-crises locales déboucheraient sur une crise sociale et politique d’ampleur nationale, les organisations patronales et syndicales auraient ainsi à redouter d’être hors jeu. Elles auraient tout à y perdre. L’initiative de la CGT et de la CFDT peut donc s’interpréter comme le signe d’une volonté de faire face à ce risque et de reprendre la main au moment où la situation leur échappe. Il n’est pas certain qu’elles y parviendront.

Est-ce qu'un parti comme le Front de gauche, qui peut s'enorgueillir d'une grande popularité, existerait si les syndicats français n'étaient pas aussi faibles ?

Yves-Marie Cann : La popularité du Front de gauche mériterait d'être relativisée. Dans nos enquêtes, nous n'observons pas de dynamique en faveur de ce groupement politique 2012 : le Front de gauche ne capitalise pas sur le mécontentement observé à l'encontre de l'exécutif. Pour répondre à votre question, je rappellerai que le Parti communiste, composante du Front de gauche avec le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, a longtemps tiré sa force d'une CGT forte, et inversement. L'existence du Front de gauche n'est donc pas favorisée par la faiblesse du syndicalisme en France, j'aurai même tendance à émettre l'hypothèse qu'il pourrait plus fort avec un syndicalisme plus développé.

D'autres parti, comme le Front national par exemple, profitent-ils de ce vide ?

Yves-Marie Cann : Le Front national tire sa force du fossé et de l'incompréhension qui opposent aujourd'hui la base (les électeurs, les salariés, les petits patrons...) à l'élite du pays (gouvernant, experts, journalistes, grands patrons...). Alors que ces derniers raisonnent souvent "morale", les premiers raisonnent "social". À bien des égards, la fracture à laquelle faisait référence Jacques Chirac en 1994-1995 n'a jamais été autant d'actualité. L'état de faiblesse des syndicats explique pour partie cette situation. Ces derniers ont été incapables de se faire les relais efficaces des craintes et revendications qui émanent du corps social.

S'il est difficile d'estimer précisément dans quelle mesure le Front national (FN) profite de la faiblesse des syndicats en France, les mécanismes de la dynamique observée en sa faveur dans les enquêtes d'opinion semblent toutefois valider cette hypothèse. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le FN cherche aujourd'hui à engranger les soutiens dans ce que ses dirigeants nomment "la France des oubliés". Tout se passe en effet comme si le le Front national d'aujourd'hui assurait, au moins pour partie, la fonction tribunitienne autrefois occupée par le Parti communiste, en traduisant le mécontentement des électeurs.

Le gouvernement profite-t-il lui aussi de cette faiblesse ?

Yves-Marie Cann : En apparence, peut être : certains pourraient en effet être tentés de se dire que la faiblesse des syndicats permet aux gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, d'avancer sans entraves. Mais pour aller au fond, je pense qu'ils en pâtissent. La faiblesse des syndicats et leur incapacité à représenter l'ensemble des composantes sociales nuit à la qualité du dialogue social en France, et donc à la qualité du dialogue entre syndicats et gouvernants. L'étroitesse de leur base d'adhérents y est pour beaucoup. C'est un phénomène bien connu au sein des organisations sociales et politiques : plus cette base se rétrécit et plus les éléments radicaux y ont du poids, rendant difficile la construction d'accords sur la base du consensus.

Est-ce que les employeurs profitent eux-aussi de la faiblesse des syndicats, au détriment des salariés ?

Hubert Landier : Non, je ne le pense pas. Le patronat est aussi déconcerté que les syndicats par ces nouvelles formes d’expression. Nous ne sommes pas dans le registre des rapports de travail mais sur celui de la méfiance croissante de toutes les catégories de la population vis-à-vis du gouvernement.

Yves-Marie Cann : Ici encore, les apparences peuvent être trompeuses. Les employeurs ont peu à gagner de la faiblesse du syndicalisme en France. À leur échelle, les chefs d'entreprise peuvent se retrouver dans une situation aussi délicate que le gouvernement face à des syndicats affaiblis du fait de leur manque de représentativité. Or les employeurs ont besoin d'avoir face à eux des organisations en capacité de canaliser et de relayer les attentes des salariés.

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