Mal nécessaire : la croissance économique est-elle impossible sans être accompagnée de bulles ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
"Ne pas vouloir de bulles, c’est se priver des secteurs les plus porteurs d’une économie à un moment donné."
"Ne pas vouloir de bulles, c’est se priver des secteurs les plus porteurs d’une économie à un moment donné."
©Reuters

Ni savon ni chewing-gum

Larry Summers, ancien secrétaire américain au Trésor, a déclaré que sans les différentes "bulles", il n'y aurait pas eu croissance dans les années 2000. Des propos qui font sens à condition de se pencher sur la véritable nature du phénomène des bulles, trop souvent perçu comme uniquement dangereux et inéluctable.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

Atlantico : Lors d’un discours prononcé au FMI le 8 novembre dernier, l’ancien secrétaire américain au Trésor Larry Summers a affirmé que nous n’aurions pas eu de croissance dans les années 2000 sans bulles. Quelle crédibilité faut-il accorder à une telle déclaration ?

Nicolas Goetzmann : Le concept de bulles est assez récent, et il est intéressant de noter que lorsqu’un secteur fait mieux que les autres, nous parlons immédiatement de bulle. Ce qui est en fait assez absurde. L’économie d’un pays se divise en une multitude de secteurs, qui, en fonction des circonstances du moment vont être plus ou moins attractifs. Certains secteurs vont "surperformer" largement et d’autres vont "sous performer". Les secteurs les plus rentables vont attirer une masse conséquente d’investisseurs et provoquer un surinvestissement qui peut provoquer ce que nous décrivons être une bulle.

Au bout du compte, ne pas vouloir de bulles, c’est se priver des secteurs les plus porteurs d’une économie à un moment donné. Il s’agit d’une mode à laquelle va succéder une autre mode, la haute technologie, Internet, l’immobilier, les matières premières, la Chine, la finance, le gaz de schiste, etc.

Vous pouvez constater assez clairement que la notion de bulles est employée à tort ou à travers dès qu’un secteur est en bonne santé et qu’il attire les investisseurs. Il serait évidemment inconscient de vouloir contrer ces phénomènes sans discernement, car cela consisterait à se méfier de toutes les poches de croissance de l’économie.  

Quels sont les risques attachés à ces phénomènes ? Les bulles sont-elles une menace pour l’économie ?

Une bulle peut représenter une menace si sa taille devient critique par rapport à l’ensemble de l’économie. Mais il est tout à fait possible de contrer un tel évènement et le meilleur exemple date de 1987. A ce moment, le marché actions américain venait de subir une hausse de près de 400% en moins de 5 ans, ce qui serait aujourd’hui qualifié de « mère de toutes les bulles » et serait la proie favorite des habituels vendeurs de bunkers. Cette supposée bulle a éclaté lors de ce que nous appelons aujourd’hui le « black Monday » le 19 octobre 1987. Le marché s’effondre de plus de 20% en une seule séance. Dès le lendemain, la Réserve fédérale américaine intervient sous l’impulsion de son nouveau président, Alan Greenspan. La Fed ouvre un comptoir à liquidités pour les banques et procède rapidement à des baisses de taux pour prévenir toute contamination à l’économie réelle. Les actions sont rapides, efficaces et permettent d’éviter le pire. Si la Fed n’avait pas réagi de cette façon, il était tout à fait possible de se retrouver dans une configuration semblable à 2008.

« L’explosion » d’une bulle n’est pas inéluctable. Combien de fois avons-nous entendu que le marché immobilier parisien allait s’écrouler ? Tous les ans depuis 2000. Le jour où une baisse aura lieu, ce qui est inévitable dans n’importe quel marché, nous pourrons lire « je vous l’avais bien dit » de la part de nombreux experts.

Les banques centrales sont-elles responsables de ces phénomènes ? Les politiques ultra accommodantes qui sont déployées à travers le monde font elles le nid de la formation de ces bulles ?

C’est l’hypothèse qui est retenue habituellement mais cela n’est même pas défendable. La période la plus critiquée est celle des années 2000, lorsqu’Alan Greenspan et Ben Bernanke ont été accusés de favoriser toutes sortes de bulles à travers le monde. La réalité est que le taux d’inflation n’a cessé de baisser depuis les années 1980 pour en arriver à une situation de déflation en 2009. La politique monétaire est hors de cause justement parce que dans son ensemble, l’économie n’a pas généré d’inflation. Et cette stricte maîtrise des prix montre bien que la FED a été bien plus contraignante que nous pouvons l’imaginer.

Pour vous faire une idée réelle de l’action d’une banque centrale, pour savoir si celle-ci est laxiste ou austère, le seul indicateur valable est de regarder la croissance nominale et sa stabilité dans le temps. Et celle-ci s’est écroulée en Europe et aux Etats Unis en 2008. C’est bien l’austérité monétaire que nous connaissons depuis la crise, et non la débauche ou l’irresponsabilité.

Il est même tout à fait clair pour moi que c’est l’absence de réaction de la FED et de la BCE en 2008 qui a favorisé la propagation de la crise à l’ensemble de l’économie. L’ampleur du soutien qui a été offert au marché par les banques centrales n’a été ni assez rapide, ni suffisant dans son ampleur pour permettre la stabilisation de l’ensemble. Si leur action avait été aussi efficace qu’en 1987, nous n’en serions pas là.

La taille des bulles immobilières et financières sont de la responsabilité du législateur. Aussi longtemps que les politiques monétaires ne favorisent pas une inflation globale supérieure, la responsabilité revient bien au cadre législatif qui entoure un secteur particulier. Les crédits immobiliers étaient délivrés sans apport, sans preuve de revenus, et cela a conduit à de nombreux défauts de paiement, point.

Les banques centrales sont constamment accusées de ne pas lutter contre ces phénomènes, mais étant donné que les autorités monétaires n’ont pas la capacité de cibler tel ou tel secteur, la mission est impossible. Si la FED venait à vouloir contrer une bulle sur les marchés financiers en relevant ses taux, elle provoquerait un affaiblissement de l’ensemble de l’économie. Venir lutter contre un tel phénomène n’a aucun sens aussi longtemps que le taux d’inflation « global » ne s’emballe pas, sinon le résultat serait de fragiliser l’ensemble de l’économie simplement parce qu’un secteur est en plein boom.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !