Chérie, j'ai imprimé les courses : comment la 3D va forcer la grande distribution à revoir son modèle<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Des lunettes pour voir l'avenir en 3D.
Des lunettes pour voir l'avenir en 3D.
©Reuters

L'avenir en 3D

L'impression d'objets en 3D par de simples quidams n'en est qu'à ses balbutiements, mais les acteurs de la grande distribution réfléchissent déjà à la meilleure parade pour ne pas se laisser prendre de court, comme ce fut le cas avec l'essor du e-commerce.

Atlantico : La chaîne de fast food Macdonald's envisagerait d’installer des imprimantes 3D dans ses restaurants, afin que les enfants, lorsqu’ils commandent un menu happy meal, puissent demander le jouet de leur choix, qui se créera sous leurs yeux. Ce type d’innovation préfigure-t-il d’autres changements, beaucoup plus radicaux ? La grande distribution notamment, qui a déjà dû faire face au e-commerce, pourrait-elle trouver un sérieux concurrent dans les imprimantes 3D ?

Joël de Rosnay : Pour certains produits, c'est très probable. Je pense aux lunettes, chaussures de sport, couvertures de smartphones, bibelots divers et colifichets, peignes, même aux bijoux, puisque des imprimantes 3D à métaux, comme de l'argent, existent déjà.

Frédéric Fréry : L'impression 3D est très certainement une technologie d'avenir, dont les conséquences sur de nombreuses industries vont être considérables. Pour les fabricants de jouets, de lunettes, de fournitures de bureau, d'outillage à main, de bijoux, d'accessoires de smartphones ou de toute une série de petits objets du quotidien, le risque de substitution est tout à fait crédible. Certains présentent déjà le développement des imprimantes 3D comme une nouvelle révolution industrielle, alors que cette technologie n'en est encore qu'à ses balbutiements.

Cela dit, les contraintes de l'impression 3D (coût des matières premières, lenteur du procédé, compétences nécessaires, objets mono-matériaux uniquement) limitent - pour le moment - cette technologie à des productions en courte série, à des personnalisations à la demande et à des prototypes. C'est dans ce cadre que s'inscrit la démarche de McDonald's, avec en prime l'aspect ludique et moderne de voir le jouet choisi apparaître sous les yeux des enfants. En revanche, pour des produits fabriqués en grande série, ou des objets composés de plusieurs matériaux, l'impression 3D n'est pas une technologie pertinente.

Bien entendu, la grande distribution doit rester très attentive à l'évolution de cette technologie, mais ce n'est pas nécessairement elle qui sera la première victime en cas de généralisation du procédé. On peut légitimement être plus inquiet pour les industriels qui pour le moment fabriquent ces objets. La grande distribution fait sa rentabilité sur l'alimentaire, qui jusqu'à preuve du contraire (encore que la NASA envisage l'impression 3D de pizzas,) n'est pas touchée par le phénomène.

Pourrait-on imaginer qu’à terme, les foyers seront équipés d’imprimantes 3D, comme ils le sont de télévisions ou d’ordinateurs ? Ou bien des entreprises pourraient-elles apparaître au niveau local, assurant l’impression d’objets, ce  qui éliminerait les coûts de transport et de stockage ?

Joël de Rosnay : Les imprimantes 3D seront les nouveaux appareils ménagers, après l'ère des machines à laver, aspirateurs et fours à micro-ondes. Les prix baissent continuellement.  Des réseaux de franchising vont proposer des imprimantes 3D de toutes tailles à des magasins, analogues à des photoshops de quartier, ceux qui aujourd'hui transfèrent vos photos sur DVD ou vous permettent de faire des photocopies couleurs. Très bientôt, vous choisirez un objet sur Internet, le règlerez avec votre carte de crédit, puis vous recevrez un mail vous proposant d'aller le chercher dans un  Printshop 3D le plus près de chez vous.

Frédéric Fréry : Il est très probable que d'ici quelques années nous serons équipés d'imprimantes 3D à domicile, comme nous le sommes aujourd'hui d'imprimantes à jet d'encre multifonctions. Le prix des imprimantes 3D baisse en effet à une vitesse vertigineuse : alors qu'elles coûtaient encore il y a deux ou trois ans plusieurs dizaines de milliers d'euros, un modèle à 799 euros a été présenté au salon IFA de Berlin cet automne et il existe même un projet d'imprimante 3D à 100 dollars. On commence donc à parler d'un mouvement d'ultra relocalisation de certaines productions : du Made in China d'aujourd'hui, on pourrait ainsi passer non pas au Made in France que défend notre Ministre du redressement productif, mais carrément au Made in Home. A côté de ces imprimantes 3D personnelles, encore hypothétiques, il faut évoquer deux autres tendances, déjà concrètes. La première, ce sont les FabLabs, des ateliers ouverts, de plus en plus nombreux aux États-Unis, dans lesquels des imprimantes 3D et d'autres outils sont mis à disposition des particuliers pour fabriquer et réparer des objets. La deuxième, ce sont les sites web tels que Sculpteo, qui permettent aux internautes de concevoir en ligne, puis de faire fabriquer et de se faire livrer à domicile les objets imprimés de leur choix.

En conséquence, quelle stratégie la grande distribution devra-t-elle adopter pour anticiper le phénomène, et ne pas se laisser dépasser comme ce fut la cas avec le e-commerce ? Devra-t-elle revoir son modèle de fond en comble ?

Joël de Rosnay : Pour s'adapter, les magasins pourront proposer des produits à imprimer sur place, avec une gamme d'objets de petite taille mais très variés. On peut même faire des bouteille de parfum avec une imprimante 3D et les remplir avec un distributeur robotisé. Même possibilité pour des crèmes ou des lotions. Des produits de beauté sur mesure ! On peu imaginer la productions personnalisée de santons de Noël, de bibelots pour les fêtes. Grâce à un scanner 3D, déjà commercialisé par MakerBot, on pourra copier l'objet de son choix et le faire imprimer. Le plus séduisant sera de faire scanner son corps pour avoir sa propre maquette, ou pour une femme qui le souhaiterait, son buste à poser dans son living !

Frédéric Fréry : Certains groupes de grande distribution sont déjà assez avancés sur la conduite à tenir face à l'impression 3D. Au Royaume Uni, le distributeur Tesco va mettre à disposition dans ses magasins des imprimantes 3D que ses clients pourront utiliser en libre service. Aux États-Unis, le distributeur de fournitures de bureau Staples fait de même. En France, après une première expérience chez Top Office, c'est Auchan qui est en pointe : dans son tout nouveau magasin du centre commercial d'Aéroville, près de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, le distributeur propose à ses clients d'imprimer à la demande des objets pour un prix variant - selon le poids - de 4,99 euros à 29,99 euros. Dans sa communication, Auchan utilise un argumentaire commercial particulièrement alléchant : "Imprimez vos objets 3D à partir de notre liste d'objets personnalisables, disponibles en magasin, ou créez l'objet de vos rêves de chez vous, puis imprimez-le en magasin". Par-delà cette démarche assimilable à un FabLab, le groupe évoque par ailleurs la commercialisation prochaine d'imprimantes 3D dans ses magasins. Cette expérience innovante est à rapprocher d'une autre initiative intéressante menée par Auchan : son partenariat avec Quirky, une start-up américaine qui propose aux Internautes d'inventer des objets du quotidien, qu'elle fait ensuite fabriquer et qu'Auchan vend dans ses rayons. Le produit Quirky le plus célèbre pour le moment est une multiprise articulée qui permet de brancher simultanément plusieurs chargeurs de smartphones ou d'ordinateurs, qui a été vendue à plus de 600 000 unités. On pourrait tout à fait imaginer que des produits imprimés soient diffusés de cette manière. Dans tous les cas, des modèles économiques inédits devraient prochainement voir le jour grâce à l'impression 3D.

Sera-t-il un jour possible de prendre un objet qui nous plaît en photo (chaise, table, bijou…), pour ensuite le faire reproduire par une imprimante 3D ? Cela ne risque-t-il pas de poser des questions d’ordre judiciaire (brevets, droits d’auteur…) ? La grande distribution pourrait-elle jouer sur le plan juridique pour se protéger ?

Joël de Rosnay : C'est déjà tout à fait possible. Cela posera d'énormes problèmes juridiques en raison des contrefaçons. La question des droits d'auteurs pour la musique, ne sera qu'un problème mineur à côté de ce que vont représenter les défis de l'industrie 2.0, celle des Imprimantes 3D généralisées et utilisées par une multitude de nouveaux "artisans du numérique", par des TPE, ou des regroupements artisanaux et même, pour les plus malins, par des entreprises unipersonnelles multinationales.

Frédéric Fréry : Il existe déjà des scanners 3D reliés à des imprimantes 3D professionnelles qui permettent de reproduire divers objets. Au Japon, pour quelques centaines d'euros, vous pouvez ainsi vous faire imprimer votre propre statuette, remarquablement fidèle. On peut tout à fait imaginer que d'ici quelques années cette technologie sera largement répandue auprès du grand public. Les problèmes légaux risquent alors d'être considérables. Tout comme aujourd'hui Internet permet d'échanger illégalement en peer-to-peer des fichiers de musique ou des films, il est très probable qu'il sera possible d'échanger les données permettant d'imprimer à domicile de très nombreux objets. Rappelons qu'en début d'année un étudiant Texan a ainsi publié sur Internet le fichier permettant d'imprimer une arme à feu et que ce fichier a été téléchargé plus de 100 000 fois avant que le site soit bloqué par les autorités américaines. La question juridique est donc aiguë : comment faire respecter une législation limitant l'usage des armes à feu si les particuliers peuvent les imprimer à domicile ? Même question pour la protection industrielle :  beaucoup de fabricants risquent de pâtir de l'échange de données 3D, car on ne voit pas très bien comment ils pourront empêcher la réplication sauvage de leurs produits. Les déboires de l'Hadopi montrent que les États restent assez démunis lorsqu'il s'agit de faire respecter la loi sur Internet.

En ce qui concerne la grande distribution, là encore, elle sera touchée, mais à mon sens de manière moins sévère que les industriels, puisque l'essentiel de son activité - l'alimentaire - sera préservé et que par ailleurs - à l'image de ce que fait déjà Auchan - elle pourra accompagner le développement de l'impression 3D plutôt que de s'y opposer.

Quoiqu'il en soi, nous sommes à l'aube de profonds changements pour de nombreuses industries et les prochaines années promettent d'être particulièrement fertiles en innovations.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !