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L'Etat envisagerait de reprendre l'abattoir de Lampaul-Guimiliau, dans le Finistère.
L'Etat envisagerait de reprendre l'abattoir de Lampaul-Guimiliau, dans le Finistère.
©Reuters

Gwenneg ebet

L'Etat pourrait venir à la rescousse des abattoirs Gad en Bretagne. Le site de Lampaul-Guimiliau est l'un des plus touchés par la vague de licenciements annoncée par la société d'abattage et de découpe de porcs.

Alexandre Gohin

Alexandre Gohin

Alexandre Gohin est directeur de recherches à l'unité d'économie de Rennes, spécialiste des questions de politique agricole et d'impacts sur les marchés agricoles.

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Atlantico : Doux, Tilly-Sabco, Marine Harvest, Gad… Les plans sociaux se succèdent en Bretagne. Selon un élu local, le gouvernement aurait décidé d'acquérir l'abattoir Gad, à Lampaul-Guimiliau (Finistère). De quoi l’agroalimentaire breton meurt-il vraiment ? 

Alexandre Gohin : Tout le monde ne meurt pas. La filière laitière et bovine se porte mieux que celle du porc et de la volaille. Ceci s’explique de façon multifactorielle. Il y a 3 facteurs :

Premièrement, on est moins compétitifs à la transformation que nos concurrents européens. En Allemagne par exemple, les coûts de transformation sont moins élevés car ils emploient une main-d’œuvre moins chère. La main-d’œuvre n’est pas l’alpha et l’Omega, mais cela joue fortement. On peut avoir des abattoirs plus automatisés, et plus il y a  automatisation, moins on dépense de coût de travail. Cela a joué fortement ces dernières années.

Deuxièmement, il y a moins de production agricole à transformer. Les abattoirs transforment essentiellement de la matière première locale. Il est assez rare que les animaux vivants bougent, mais les carcasses peuvent bouger plus facilement. En Bretagne, plus ça va, plus la production d’animaux recule : on a perdu  ces trois dernières années l’équivalent d’un million de porcs sur 14 millions. Automatiquement, dès que vous avez moins de porcs à abattre, les outils ne servent plus. Il faut maintenant comprendre pourquoi il y a moins de production porcine. Les éleveurs ont perdu de l’argent ces derniers temps, le prix du terrain étant trop élevé. Si les éleveurs ne gagnent plus d’argent, il sont forcément tentés de ne plus continuer, les jeunes quant à eux ne veulent pas investir dans ce secteur là et préfèrent d’autres activités (la production de lait ou de céréales). Enfin, des éleveurs plutôt grands sont bridés dans leur développement, ils ne peuvent pas facilement étendre leurs activités à cause des contraintes environnementales.

Les gens ont fait beaucoup d’efforts pour réduire l’excèdent d’azote, mais cela contraint la production, puisqu’une des voies est celle de moins produire.  Il y a une dizaine d’années, on a voulu favoriser les systèmes de traitement collectifs (les éleveurs voulaient collectivement acheter des systèmes pour traiter leur lisier) mais la population s’y est opposée. En bref, les Bretons aimeraient avoir des voisins qui ne polluent pas mais la production devient alors plus difficile.  Résultat, aujourd’hui, le traitement des effluents liés aux productions porcines pénalisent le développement de la filière.

La troisième raison est liée à la qualité de nos produits. Une partie de la production (plus pour la volaille que pour le porc) est quand même de qualité sanitaire correcte mais de qualité gustative ordinaire. L’Europe aide ce type de production avec les subventions aux exportations. Il faut savoir qu’il y a une concurrence internationale (Brésil, Thaïlande) et ces pays ont aussi des subventions et un coût de main d’œuvre moins chère. L’Europe a donc subventionné les exportations afin de favoriser la compétitivité des productions. Ce soutien-là a diminué à travers le temps. Les Bretons et les Polonais sont les derniers à recevoir cette aide.

Tous les marchés ne demandent pas autant d’innovation qu’en France. Des demandes de qualité sont plus compliquées en France qu’ailleurs. Nous avons plus de mal à exploiter ces économies d’échelles du fait d’une demande plus disparate qu’à l’étranger.  

La région est-elle en train de subir les conséquences de la politique d’agriculture intensive mise en place dans les années 1960 – 1970 ? Y a-t-il une baisse des subventions européennes dans le cadre de la PAC ?

Cela est vrai pour le deuxième argument. Avant, la politique subventionnait les prix, ce qui n’incitait pas à faire beaucoup de qualité. Cet argument s’est beaucoup opéré de 1995 à 2010 : 90% des subventions aux exportations ont été supprimés sur cette période.

Dans l’actualité, il n’y a pas tellement de conséquences de la politique. La politique est essentiellement européenne et cette politique qui soutenait les prix avec des subventions a été remplacée par une politique d’aide aux revenus des agriculteurs. La PAC a beaucoup contribué dans le passé à affaiblir l’élevage en Bretagne, mais ce n’est pas la direction des dernières années ni ce qui est projeté à l’avenir.

Quelles sont aujourd’hui les relations de la filière viande avec la grande distribution ?

Elles sont difficiles mais ce n’est pas nouveau. Le but d’un distributeur est d’acheter le moins cher pour vendre le moins cher et se démarquer du concurrent. Il y a beaucoup de consommateurs qui cherchent le moins cher, on ne peut pas le reprocher.

Quelle est la responsabilité des entreprises agroalimentaires dans cette situation ?

Elles n’ont pas toutes investi de la même manière. Par exemple, Tilly-Sabco n’a pas fait beaucoup d’efforts pour se diversifier, elle restait sur un type de produit qui dépendait de subventions. D’autres sont davantage diversifiés. Le marché du poulet n’est pas extensible. Il y a un arbitrage entre le nombre de variétés proposé et les économies d’échelle qu’on peut réaliser.

Y a-t-il une passivité des pouvoirs publics face à ces problèmes ? Quelles mesures peuvent-être prises pour enrayer la situation ?

Le CICE permet de faire de la recherche pour être innovant. Il y a des politiques européennes pour faciliter la recherche & développement. On s’aperçoit que ceux qui font de la R&D s’en sortent mieux que les autres. Il faut militer pour aider les industries à se relever. Il faut également laisser plus de souplesse aux élevages pour se restructurer et accompagner les financements nécessaires. Pour autant, il ne faut pas baisser la garde sur les impacts environnementaux des entreprises mais leur permettre d’atteindre ces objectifs de la meilleure manière possible.

Aujourd’hui, il y a la volonté de relever le seuil d’autorisation. Il y a l’application de la directive européenne, la « directive nitrates » mais aussi des technologies innovantes comme la méthanisation et pour l’instant, on est en retard par rapport à l’étranger. 

Propos recueillis par Karen Holcman

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