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La croissance est-elle autre chose que des matières premières et de la démographie ?
©DR

40 ans après le premier choc pétrolier

Le choc pétrolier du 17 octobre 1973 a fait prendre conscience aux économies modernes de leur dépendance à l'énergie et aujourd'hui, les puissances émergentes se rendent compte de leur avantage démographique. Et si la croissance, ce n'était que ça...

Florent Detroy

Florent Detroy

"Florent Detroy est journaliste économique, spécialisé notamment sur les questions énergétiques, environnementales et industrielles. Voir son site."
 
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Atlantico : Les matières premières permettent en général de créer une croissance rapide comme on l'observe dans les pays en développement disposant d'importantes ressources. Peut-il alors y avoir de la croissance sans ces matières ? La situation est-elle différente selon les matières premières ?

Florent Detroy : On a cru ces dernières années que l’on avait changé fondamentalement d’époque, et qu’on pouvait se passer de matière. Dans les années 1990 et plus encore dans les années 2000, le modèle économique était le modèle américain, tiré par les NTIC, les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elles représentaient le rêve d’une économie immatérielle basée sur le software et non plus sur le hardware. Même l’éclatement de la bulle Internet n’a pas réussi à dissiper cette illusion. Résultat on s’est désintéressé de nos usines et par ricochet des approvisionnements en matières premières. Seule l’énergie n’a jamais cessé d’être stratégique. En France, le seul métal auquel on a continué à s’intéresser est l’uranium. C’est la montée en puissance de l’industrie chinoise qui a fait prendre conscience que ce secteur avait ses avantages. Et pour fonctionner, on a redécouvert que les usines avaient besoin de cuivre, de plomb et bien sur de terres rares. De toute façon, même les pays qui se seraient jetés à corps perdu dans l’immatériel auraient fini par reconnaître que l’énergie ou les métaux sont indispensables. Aux Etats-Unis, on sait que les centres de données d’Internet consomment près de 3% de l’énergie du pays. Et l’industrie informatique consomme des dizaines de métaux, des terres rares dans les disques durs au germanium dans les fibres optiques.

Pourquoi les matières premières sont-elle tellement stratégiques ? Cela explique-t-il pourquoi les pays qui n'en possèdent pas fassent tout pour en trouver ou au moins sécuriser leur approvisionnement ?

Toutes les matières ne sont pas stratégiques. Pour qu'elle soit stratégique, il faut que la matière soit indispensable à l’économie. On ne verra jamais un pays mettre en place une politique du plomb par exemple. Par contre les terres rares, le germanium ou le niobium sont différents. Les marchés sont souvent entre les mains d’un petit groupe de producteurs, et sont nécessaires aux dernières technologies de pointe. Sans terres rares, on ne peut plus construire de turbines d’éoliennes par exemple. On en revient d’ailleurs à l’énergie, qui n’a jamais cessé d’être stratégique. Imaginez un monde sans énergie facile d’accès. Donc pour reprendre votre première question, toutes les matières ne sont pas stratégiques, mais celles qui le sont méritent que les Etats investissent. Ce n’est pas pour rien que les Etats-Unis et l’Union Européenne ont porté plainte contre la Chine sur ses restrictions aux exportations de plusieurs métaux.

La matière première est une condition sine qua none à la croissance, mais ce n’est pas elle qui crée de la richesse. Les autres fondamentaux appartiennent au choix du pays ainsi qu’à une quantité d’autres critères…je ne crois pas qu’il existe une recette de la croissance.

Baser sa croissance sur les matières premières est-il dangereux ? Cette croissance est-elle forcément positive, surtout si elle s'accompagne d'une forte démographie et d'une faible redistribution auprès de la population ?

Pratiquement aucun pays n’a construit une croissance durable sur des matières premières. Les quelques exceptions sont le Chili, la Norvège et dans une moindre mesure le Botswana, mais ce sont des cas à part, et d’ailleurs la liste n’a pas changé depuis des années. Les exemples de naufrage économique sont bien plus nombreux. Même les tentatives de réguler les marchés, comme on l’a vu dans les années 1970, ont été des échecs cuisants. Les producteurs ne savent pas la plupart du temps échapper à la "maladie hollandaise". L’exploitation  et la vente d’une matière première fait rentrer des devises dans le pays, ce qui a pour effet de créer des tensions inflationnistes. La monnaie nationale devient plus forte, ce qui finit par rendre les autres productions du pays trop chères à l’export. La question de la redistribution n’est pas vitale. Elle aurait même tendance à aggraver le mal, en créant une dépendance encore plus forte aux revenus du pétrole ou de la mine.

Les matières premières ne sont donc pas à mes yeux, un déterminant de la croissance, au contraire. En revanche, la démographie doit être considérée comme un élément positif. Mais attention, car elle peut également casser un rythme de croissance lorsque sa progression est plus forte que celle création de richesse. Elle peut alors amener une récession. Les véritables déterminants de la croissance sont plutôt à chercher du côté de l'innovation, de la recherche, des progrès techniques, tout cela accompagné d'une politique de pilotage de l'économie.

Un brutal afflux de ressources ponctuelles est-il suffisant pour bâtir une croissance à long terme ou doit-il s'accompagner d'une politique industrielle planifiée ?

Il faut prendre exemple sur les rares pays qui ont réussi à bâtir une croissance de long terme. Ainsi, la Norvège a mis de côté dans un fonds spécial ses devises étrangères dues à l’exploitation de son pétrole. Cette politique a permis de contrôler les tensions inflationnistes. Le fonds norvégien est ainsi particulièrement bien doté, et investi dans le monde entier, pendant que l’industrie du commerce maritime norvégienne a prospéré par ailleurs. L’intervention de l’Etat pour réguler la rente pétrolière a donc été essentielle oui. Après, l’Etat norvégien n’est pas corrompu et croit au libre échange, ce qui n’est pas le cas d’un grand nombre de pays producteurs de matières.

Propos recueillis par Pierre Havez

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