La décision qui peut tout changer : le sort de l'économie mondiale entre les mains de la Cour constitutionnelle allemande<!-- --> | Atlantico.fr
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L’arbitrage capital de la Cour de Karlsruhe concerne les OMT (opération monétaire sur titre) de la BCE.
L’arbitrage capital de la Cour de Karlsruhe concerne les  OMT (opération monétaire sur titre) de la BCE.
©Flickr

Faux-semblants

Depuis l’été 2012, la BCE procède à des rachats massifs d'emprunts obligataires d’États de la zone Euro pour calmer les marchés financiers. Mais la légalité de ce programme est aujourd’hui suspendue à la décision de la Cour constitutionnelle allemande.

Atlantico : L’arbitrage de la Cour de Karlsruhe concernant les  OMT (opération monétaire sur titre) de la BCE est-il plus dangereux pour l’économie européenne et mondiale que le "shutdown américain" dont s’inquiètent surtout les marchés ?

Philippe Waechter : Mario Draghi a émis le souhait de voir les taux d'intérêt converger au sein de la zone euro afin d'en accroître l'homogénéité et de faciliter la reprise de la croissance. Il avait proposé à l'été 2012 la possibilité d'acheter des titres de 1 à 3 ans pour les pays les plus en difficultés pour limiter le niveau des taux d'intérêt auxquels ils étaient soumis. A l'époque les tensions au sein de la zone étaient très fortes et la BCE a souhaité pouvoir agir comme prêteur en dernier ressort. C'est comme cela qu'il faut interpréter la proposition de Mario Draghi. D'ailleurs la possibilité de telles interventions ont permis de réduire significativement les taux d'intérêt espagnols et italiens sans même que la BCE ait à acheter de titres.
La Cour constitutionnelle de Karlsruhe doit prochainement se prononcer sur la légalité de ces opérations. Elle le fera certainement après la mise en place du nouveau gouvernement allemand soit dans le courant du mois de novembre.
Je n'attends pas de réponse brutale de la part de la Cour. Elle laissera une part d'interprétation et donnera très certainement des éléments de contrôle au Parlement allemand sur l'ampleur des achats mais sans remettre en cause le principe de l'OMT. Si elle le faisait cela remettrait en cause l'indépendance de la BCE qui est un point majeur de la construction européenne. D'ailleurs sur les opérations d'apport de liquidité de long terme (vLTRO) la  Cour n'est pas intervenue sur le mode et le montant des opérations.
Alors que les Allemands n'imaginent pas et de moins en moins un retour vers le mark, la Cour doit intégrer le fonctionnement de l'Allemagne dans la zone Euro. Elle doit intégrer aussi le rôle spécifique que peut et doit avoir la BCE dans ce cadre. C'est pour cela que je ne crois pas à une décision d'interdiction de la Cour et je n'intègre pas une rupture dans la construction institutionnelle qui se met en place en zone Euro depuis plus d'un an maintenant.
Aux Etats-Unis, ce n'est pas la question du shutdown américain qui est préoccupant mais l'absence d'accord dans la négociation sur le plafond de la dette publique américaine. Le premier point est ennuyeux notamment pour ceux qui le subissent (les 2 millions de fonctionnaires qui ne touchent pas leur salaire notamment) mais cela n'aura probablement pas d'effets persistants forts. En revanche l'absence de résultats sur la négociation serait préjudiciable pour tous.
On ne peut pas mettre les deux points en parallèle. Dans le cas américain la problématique posée est avant tout politique au sein de la société américaine. Dans le cas de la Cour constitutionnelle la question porte sur la compatibilité des institutions nouvelles et anciennes qui se mettent en place au sein de la zone euro. Le débat n'est pas le même.

Jean-Paul Betbèze : D'abord, la Cour allemande doit juger... sur une plainte de la Banque centrale allemande. On imagine le problème, sachant que la Chancelière  est d'accord avec l'OMT bien sûr. Pour défendre sa position, et plus fondamentalement pour gérer cette opération, la BCE a pris ses précautions. D'abord, un État doit faire une demande d'aide, étant sous pression des marchés financiers. Ensuite, cette demande doit être assortie d'un plan de mesures dans lesquelles l'Etat s'engage à améliorer sa situation, plan accepté par les autres états. C'est alors que le plan est présenté à la BCE pour étude et décisions. L'intervention de la BCE est donc conditionnée par des plans de redressement acceptés par les États. Ceci n'a rien à voir avec ce que fait la FED qui, elle, soutient directement le financement du déficit américain. C'est pour éviter ce type de critiques que la BCE s'est ainsi protégée.

Quelles seraient les conséquences économiques à court terme d’une telle décision ? Est-ce que la Cour va interdire la mesure ?

Philippe Waechter : Je ne crois pas à une réponse négative et sans interprétation de la part de la Cour. Elle porterait et l'Allemagne avec elle la responsabilité d'un possible échec de la zone euro. Ce n'est pas son rôle et ce n'est pas non plus ce que souhaitent les Allemands.

Jean-Paul Betbèze : C'est très peu vraisemblable : la BCE n'est pas folle et a des juristes ! Et d'ailleurs l'OMT n'a pas été utilisée. Mieux même : le fait que la BCE dispose de l'arme OMT a calmé les marchés. On imagine mal que la Cour  prenne ce risque, d'autant que le programme a été accepté par les autorités politiques allemandes !

Pourrait-elle entrainer une nouvelle récession dans certains pays périphériques de la zone Euro, voire une sortie de l’Euro de ces pays, comme le craignent certains économistes ?

Philippe Waechter : Jusqu'à présent la Cour n'a pas été un frein à la construction européenne. Ils ont pu retarder la mise en œuvre de certaines mesures mais leurs décisions ont renforcé la dynamique de construction de la zone euro. En octobre 2012, la décision prise sur le Mécanisme Européen de Stabilité permet la mise en œuvre de celui-ci. Il me semble qu'il y a plus d'ambiguïté dans la présentation qui est généralement faite de cette Cour que de ses résultats qui sont pro-européens. Ceux qui doutent de l'euro mettent tous leurs espoirs dans cette Cour mais pour l'instant cela a été vain et cela le restera certainement.

Jean-Paul Betbèze : La Cour va tenter de ménager tout le monde en demandant sans doute plus de garanties. Le risque serait de réduire l'efficacité de l'OMT en ajoutant les conditions. Mais ce serait délicat à imaginer, et surtout dommage. Car l'OMT est un programme qui aide les États qui font des efforts, autrement dit qui les aide à faire des efforts ! Le supprimer ou le réduire serait un coup terrible à à zone euro.

L’économie mondiale est-elle finalement plus dépendante de la fragilité européenne que des incertitudes américaines ?

Philippe Waechter : On a deux situations très diverses. En zone euro, on construit le cadre pérenne qui permettra à celle-ci de fonctionner dans la durée de façon autonome. C'est l'objet des différentes institutions mises en place. Ce travail est essentiel et l'on ne peut pas imaginer que tous les participants soient a priori systématiquement d'accord sur les orientations à prendre. Les négociations servent à cela. On voit bien les progrès faits de ce point de vue sur l'Union Bancaire.
Dans le cas américain, la question porte davantage sur un choix de société. En zone euro la monnaie n'est pas remise en cause mais c'est son mode de fonctionnement et de régulation qui est discuté. Aux Etats-Unis ce sont des orientations sociales et sociétales divergentes qui transparaissent dans les négociations entre la Maison Blanche, les démocrates et les républicains. La difficulté du moment est que ces orientations ne semblent pas compatibles notamment autour du système de santé. Si le 17 octobre il n'y a pas de résultats tangibles soit de nouveau plafond soit de report des négociations de vrais problèmes vont se poser. Ils mettront à mal l'économie américaine mais aussi l'ensemble de l'économie mondiale.
Cette situation trouble et préoccupante s'observe déjà dans les sondages quotidiens faits par la société Gallup auprès des Américains. La chute de l'indicateur de confiance depuis une dizaine de jours est spectaculaire. Les ménages sont très inquiets car ils s'interrogent sur la façon dont leur système politique, économique et social va pouvoir continuer de fonctionner si aucun accord n'est trouvé. Sur les marchés financiers les indicateurs de stress (CDS) ont progressé fortement ces derniers jours traduisant l'incertitude que cette situation provoque.
A court terme la situation américaine est bien plus préoccupante que la décision de la cours de Karlsruhe. Il n'y a aucune ambigüité sur ce point

Jean-Paul Betbèze : En fait les marchés s'inquiètent de ce qui se passe aux USA avec le blocage en cours. La Cour est peut-être trop stricte... Mais c'est bien mieux que le Tea Party ! Au fond la BCE se renforce ... C'est aux Etats de faire leurs efforts graduels.

Propos recueillis par Pierre Havez

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