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Embellie de la croissance en France... mais regardons-nous les bons indicateurs ?
©Reuters

A côté des clous ?

La croissance économique devrait atteindre 0,2% fin 2013 en France selon les dernières prévisions de l'Insee. Mais d'autres indicateurs relatifs à l'économie française devraient être regardés de plus près.

Pascal de Lima

Pascal de Lima

Pascal de Lima est un économiste de l'innovation, knowledge manager et enseignant à Sciences-po proche des milieux de cabinets de conseil en management. Essayiste et conférencier français  (conférences données à Rio, Los Angeles, Milan, Madrid, Lisbonne, Frankfort, Vienne, Londres, Bruxelles, Lausanne, Tunis, Marrakech) spécialiste de prospective économique, son travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'ADL et Altran 16 000 salariés, toujours dans les départements Banque-Finance...), il fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, il devient en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management.

Diplômé en Sciences-économiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (PhD), de Panthéon-Sorbonne Paris 1 (DEA d'économie industriel) et de Grandes Ecoles de Commerce (Mastère spécialisé en ingénierie financière et métiers de la finance), il dispense actuellement à Sciences-po Paris des cours d’économie. Il a enseigné l'Economie dans la plupart des Grandes Ecoles françaises (HEC, ESSEC, Sup de Co, Ecoles d'ingénieur et PREPA...).

De sensibilité social-démocrate (liberté, égalité des chances first et non absolue, rééquilibrage par l'Etat in fine) c'est un adèpte de la philosophie "penser par soi-même" qu'il tente d'appliquer à l'économie.

Il est chroniqueur éco tous les mardis sur Radio Alfa, 98.6FM, et chroniqueur éco contractuel hebdomadaire dans le journal Forbes.

 

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La crise de la dette qui a démarré il y a maintenant 4 ans est le résultat d’une activité économique d’une rare intensité. A chaque journée, son lot de sueurs froides, d’annonces hésitantes et de remèdes miracles. Le point commun de ces éléments dont le nombre et, parfois, la gravité nous étourdissent : ils se rapportent tous au produit intérieur brut (PIB) et n’ont pour seul horizon que ce PIB, censé représenter la somme des richesses dont dispose un pays. Il s’agit toujours d’entraîner la croissance du PIB, ou de réduire le ratio de dette publique par rapport au PIB. Souvent, on en arrive à juger de la valeur d’un pays entier à son seul PIB. Si l’Allemagne tient à ce point le haut du pavé auprès des institutions européennes, c’est parce qu’elle dispose du premier PIB de l’Union. Il n’y a que le PIB, tout n’est que PIB.

Pourtant, l’absurdité de cet indicateur n’est plus à démontrer. Non seulement, il ne tient pas compte de la richesse produite par l’économie informelle ; le travail ménager et les services bénévoles par exemple. Mais, en plus, il comptabilise en tant que richesse supplémentaire les activités sans tenir compte de leurs externalités négatives (comme la pollution ou le risque sanitaire), de même que les dépenses en réparation faisant suite à des destructions qui n’améliorent pas le niveau de vie des bénéficiaires. Le sophisme de la vitre brisée trouve ici tout son sens. Enfin, il veut indiquer quelque chose sur le bien-être mais il n’en est rien.

Le fameux rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de septembre 2009 met bien en évidence les failles du PIB et essaie d’y répondre par des indicateurs nouveaux et complémentaires davantage orientés sur le bien être. Très brièvement il s’agit de proposer de meilleurs indicateurs du bien être :

1. On trouve dans ce rapport la nécessité de se référer aux revenus et la consommation plutôt qu’à la production. Si le PIB est l’instrument de mesure le plus largement utilisé, le PIB ne constitue en rien une mesure du bien-être. Ici, il faudrait davantage se fier à la mesure du revenu national, ce qu’il en revient réellement à la population, et à la consommation des ménages car la production peut très bien croître alors que les revenus décroissent.

2. Il faudrait mettre l’accent sur l’évolution du revenu et de la consommation qui permet dans le temps de mieux suivre les niveaux de vie. Ici, on prend mieux en compte les charges financières des ménages, les impôts payés par les ménages mais aussi les transferts sociaux qu’ils reçoivent.

3. Il faudrait ajouter des mesures du patrimoine de façon à mesurer le bien-être dans le temps, en plus de l’évolution de la consommation et du revenu.

4. Ensuite intervient la question de la justice. A partir de ces nouveaux indicateurs, il faudrait donner un plus grand poids à leur répartition dans la population, on passe vers une analyse de la consommation moyenne, du revenu moyen et de la richesse moyenne (patrimoine) et de leur écart type respectif.

5. Il faudrait ensuite élargir les indicateurs de revenus aux activités non marchandes.

6. Il conviendrait aussi d’améliorer les évaluations de la santé, pas uniquement dans le foyer familial mais aussi la santé mentale dans l’entreprise notamment les SSII dont il est de notoriété nationale que le gouvernement doit urgemment se pencher sur la question en s’inspirant par exemple de ce qui est fait en Bulgarie dans le domaine de la médecine du travail (formation-prévention). L’éducation, les outils de mesure des relations sociales, de la participation à la vie politique et de l’insécurité devraient permettre de mieux comprendre le bien-être.

7. Les indicateurs qualitatifs doivent reposer sur les inégalités principalement et le processus qui les forme.

8. Il faudrait prendre en compte aussi le temps pendant lequel le sentiment exprimé est négatif, l’évaluation de différents aspects de la vie en équivalent revenu (helliwell).

9. Enfin pour terminer, l’évaluation cognitive de la vie, le bonheur, la satisfaction, l’émotions, même dans le cadre de grandeurs quantitatives…

Malgré ces avancées dans la compréhension de la formation des richesses et du bien être, le PIB reste l’indicateur privilégié au cœur de la crise et son analyse permet d’accabler les pays du Sud de la zone euro pour mieux justifier le diktat de l’austérité extrême. Il est en effet bien pratique de ne s’appuyer que sur cet indicateur, et d’éluder les grandes réussites de ces économies jugées défaillantes. Qui rappelle les succès exemplaires de ces pays si méprisés, cigales aux yeux allemands, Piigs (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne) aux yeux britanniques ?

Le Portugal est devenu exportateur net d’énergie grâce à son parc éolien produisant 45% de son énergie. Une solidarité familiale italienne exceptionnelle place le plus souvent jeunes et personnes âgées à l’abri de la misère extrême. L’agriculture espagnole a su devenir un concurrent très sérieux des plus grands exportateurs mondiaux. Dans le même temps, les économies qui présentent les PIB les plus forts de la zone euro, Allemagne et France, présentent des sociétés en souffrance. En effet, presqu’un Allemand sur six vit sous le seuil de pauvreté et un Français sur quatre est sous psychotropes. Le système défaillant n’est peut-être pas celui que l’on croit.

Le PIB n’est pas capable de donner des indications sur la pollution, le bonheur des populations, le degré de cohésion sociale, la justice dans la répartition des richesses, l’attractivité d’un pays, son rayonnement artistique et culturel… Cet indicateur porte en fait en lui-même une idéologie qui place le quantitatif au-dessus du qualitatif, la  production au-dessus du bien-être, l’argent au-dessus de tout. Tant et si bien que la course au PIB peut être réussie au détriment du bonheur des populations.

Richard Easterlin l’avait prédit en formulant son paradoxe dès 1974. L’être humain n’est plus un citoyen, il est un simple Homo œconomicus rationnel. C’est pourquoi un des grands défis intellectuels imposés par la crise est celui de révolutionner notre manière de voir l’économie. Il faut que nous réussissions à avoir une vision plus large de la vie de l’homme en société pour que l’économie soit à son service et non plus l’inverse.

Nous avons besoin d’un modèle économique à visage humain. Si nous échouons, nous en resterons réduits au rôle des médecins de Molière. Nous saurons simplement que l’organisme économique est malade mais ne sachant pas quel organe traiter, n’ayant pas les indicateurs nécessaires au diagnostic sous les yeux, nous saignerons encore et toujours. Du chômage ? C’est le poumon ! Un déficit budgétaire ? C’est le poumon ! De la récession ? C’est le poumon, vous dis-je ! Saignons ! Mais cette fois, face à nos Toinette de l’économie, le malade n’est plus imaginaire. Et c’est bien triste.

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