La loi "anti-Amazon" ou l'étrange défaite de la pensée des élites françaises<!-- --> | Atlantico.fr
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Un entrepôt d'Amazon.
Un entrepôt d'Amazon.
©Reuters

Le Nettoyeur

Les députés ont adopté ce jeudi à l'unanimité une proposition de loi interdisant aux opérateurs en ligne de cumuler la gratuité des frais de port du livre avec la remise autorisée de 5%.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Que dire sur la loi anti-Amazon adoptée hier à l'Assemblée nationale ?

Que c'est un non-sens économique : oui, évidemment. Evidemment que c'est un non-sens économique, évidemment qu'il n'y a aucune justification à empêcher certains opérateurs à offrir des livres pour moins cher, qu'il s'agit d'une victoire des fabricants de chandelles.

Que c'est une loi injuste : oui, évidemment. Qui est mis à mal par cette loi ? Amazon, un peu. Mais surtout, le pouvoir d'achat des Français, sachant que les augmentations de prix des biens de grande consommation touchent particulièrement les plus pauvres, puisque l'impact proportionnel sur leur budget est plus important. Et aussi, la culture, c'est-à-dire l'accès à la culture : en rendant les livres plus chers, on rend plus difficile l'accès à la culture pour les Français. Lorsqu'on parle de l'exception française, on tend en général deux concepts : la solidarité et l'exception culturelle. Voilà une loi qui va à l'encontre de ces deux concepts dont on nous dit qu'ils sont particulièrement structurants pour la France et qui a été votée à l'unanimité des députés de la République française.

Que c'est une loi qui montre la volonté acharnée de la France de rester dans le passé ? Oui, bien sûr. A chaque fois que quelqu'un invente une voiture, l'objectif immédiat est d'interdire la voiture et de subventionner le cheval.

Que c'est une loi qui traîne l'intérêt général dans la boue ? A coup sûr. Cette loi, c'est avant tout la victoire des intérêts particuliers sur l'intérêt général. L'objectif est de défendre les libraires de la concurrence d'internet. Pas la culture. Pas le livre. Les libraires. C'est-à-dire des commerçants. C'est-à-dire une catégorie particulière.

Que c'est une loi qui montre l'alliance de la gauche et de la droite pour prolonger la maladie de la société française ? Oui, bien sûr. La droite veut protéger les intérêts des privilégiés (dont les libraires, en tant que petits commerçants, en France, font assurément partie) ; la gauche, par inculture économique, pense qu'elle protège “la culture” en protégeant les libraires. Et donc les riches s'enrichissent, les pauvres s'appauvrissent et la France s'enfonce.

On pourrait dire tout ça, maisla chose la plus frappante sur cette loi fut le vote à l'unanimité. Pas un juste pour racheter l'Assemblée nationale et la République.

On a là l'exemple frappant du mélange d'ignorance et de lâcheté qui caractérise la démission complète de nos élites politiques.

Mais est-ce là la fin ? Non. Parce que la France est une démocratie et en démocratie, les politiques répondent aux pressions du peuple. Oui, les représentants politiques ont démissionné mais ils ont aussi démissionné parce qu'on les a laissé faire. Quelles sont les voix qui se sont élevées pour défendre la justice, ici ? Un ou deux commentateurs, certes. Quelles associations de consommateurs ? Quels groupes de réflexion ?

Le livre le plus important à lire sur la chute de la France en 1940 est L'Etrange défaite de Marc Bloch. Bloch, officier de renseignement décoré, explique parfaitement les incohérences militaires qui ont mené à l'effondrement. Mais, historien et sociologue avant tout, il ne s'arrête pas là. Il montre avec une force irrépressible que cette étrange défaite ne fut que le résultat inévitable d'une démission totale de la société entière : élites politiques, économiques, médiatiques, syndicats et le peuple en général.

Marc Bloch n'avait jamais entendu parler de e-commerce, mais il nous explique parfaitement de quoi cette loi retourne.

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