GPA : ce que la Cour de cassation a réellement dit sur la circulaire Taubira<!-- --> | Atlantico.fr
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Le refus de reconnaissance du lien de filiation en France a une incidence patrimoniale : l'enfant n'est pas un héritier.
Le refus de reconnaissance du lien de filiation en France a une incidence patrimoniale : l'enfant n'est pas un héritier.
©Flickr/genue.luben

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Contredisant l'esprit la circulaire de la Garde des Sceaux Christiane Taubira sur la question de la gestation pour autrui, la justice a tranché. La Cour de cassation a dénué de tout droit de filiation un enfant né d'une GPA à l'étranger. Un acte politique ?

Nicolas Graftieaux

Nicolas Graftieaux

Maître Nicolas Graftieaux est spécialiste en droit de la famille. Il a d’abord exercé son activité au sein d’une banque privée, pour ensuite intégrer le département famille/patrimoine d’un  cabinet parisien et bénéficie à ce titre d’une approche pluridisciplinaire dans les domaines du droit de la famille, des successions, du patrimoine, de l’immobilier et des affaires. Il anime par ailleurs régulièrement colloques et formations auprès de ses confrères autour de ces thèmes.

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Atlantico : Un arrêt de la Cour de cassation (voir ici) vient de refuser la filiation en France, non pas à la mère, mais au père biologique dans le cas d’une gestation pour autrui réalisée en Inde, cette décision est-elle surprenante ?

Nicolas Graftieaux : Pas vraiment si l'on veut bien remettre les choses en perspective et s'isoler des débats récents sur la GPA pour analyser uniquement le droit positif. La Cour de cassation avait déjà pris cette exacte position dans une décision du 17 décembre 2008 (pourvoi 07-20468) à propos d'un couple qui avait eu recours à une convention de gestation pour le compte d'autrui en Californie. Il s'agissait de savoir si le Ministère Public pouvait s'auto-saisir pour demander la nullité des transcriptions en raison de la violation d'une disposition d'ordre public, mais la motivation de la Cour de cassation qui répond positivement est exactement similaire. La décision est probablement violemment perçue par le requérant qui est bien le père génétique. La France a depuis longtemps dit la primauté du droit sur la vérité biologique. Elle a d'ailleurs été plusieurs fois condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans des cas où les juridictions (jusqu'à la Cour de Cassation), avaient refusé de reconnaître la filiation d'un homme apportant pourtant la preuve génétique de la paternité en raison de la prescription de son action en justice. A ce jour, la loi française n'a pas changée.

Quelles sont les conséquences pour les enfants nés par GPA à l’étranger ? Qu’en est-il de leurs parents ?

La France ne reconnaissant aucune des filiations, les conséquences sont triples.

Tout d'abord, aucun des parents n'est titulaire de l'autorité parentale en France. En théorie donc, ils n'ont aucun pouvoir pour assurer la direction de l'éducation et de l'entretien de l'enfant, ne peuvent l'inscrire à l'école, prendre de décisions administratives pour lui, etc. En pratique cependant, dans la mesure où le lien de filiation existe bien à l'étranger, nombres d'administrations s'en contentent pour faciliter les démarches quotidiennes. Ensuite, en cas de séparation, le juge aux affaires familiales se trouve devant une sorte d'impossibilité à décider puisqu'il n'a pas de parent légal devant lui. Sans doute pourra-t-il trouver une bouée de sauvetage dans l'application de l'article 371-4 sur le droit au maintien des relations personnelles des tiers (initialement destiné aux beaux-parents) pour fonder un semblant d'organisation..

Enfin, le refus de reconnaissance du lien de filiation en France a une incidence patrimoniale : l'enfant n'est pas un héritier. Les parents devront donc penser à les gratifier par donation ou testament en ayant cependant conscience que la fiscalité applicable est celle entre étrangers (60%).

S’oppose-t-elle juridiquement à la circulaire Taubira qui reconnaissait le droit à la nationalité des enfants nés par GPA à l’étranger ? Et sur le plan philosophique et politique ?

Très franchement, il semble difficile de ne pas la considérer comme exactement contradictoire. La seule différence est que la circulaire évoque un "soupçon" de recours à une convention quand la Cour de Cassation demande que le processus frauduleux soit "caractérisé". L'esprit de la circulaire n'en est pas moins contredit. La portée politique de cet arrêt est probablement moins à rechercher dans la décision elle-même qui se place finalement dans une relative continuité que dans le comportement du Procureur de la République. C'est en effet lui qui, alors qu'il est le destinataire principal de la Circulaire du 25 janvier 2013 enjoint au consulat de surseoir à la demande de transcription dans les registres d'état civil.

En termes d'implication et de jurisprudence, comme interpréter cette décision ? Peut-il y avoir nationalité sans filiation ?

Cette décision peut potentiellement obliger les services d'état civil à plus de vigilance sur des demandes qui pourraient relever de l’aboutissement d'un processus de GPA avant d'opérer les transcriptions pour le père génétique. Sur un plan purement judiciaire, la Cour de cassation reste droite dans ses bottes: le recours à l’étranger à une convention interdite en France est constitutif d'une fraude à la loi qui entache toute l'opération d'un voile si opaque qu'il ignore la vérité biologique.

Propos recueillis par Pierre Havez

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