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Expulsion des religieux au Comité d’Ethique : ce que cache ce retour à une laïcité musclée
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Ostracisme

Juifs et protestants français viennent de perdre leurs représentants au sein du Comité consultatif national d'éthique. Et cela, bien que le président de la République soit tenu, selon les textes, de nommer 5 personnalités qui appartiennent aux "principales familles philosophiques et spirituelles".

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico : Le Comité consultatif national d’éthique a fait l’objet de 22 nominations – 15 nouveaux membres et 7 renouvellements. Un sujet fait du bruit chez les religieux puisque le pasteur Louis Schweitzer ainsi que le rabbin Michael Azoulay n’ont pas été renouvelés et ont été "remplacés" par une historienne du protestantisme - Marianne Carbonnier-Burkard - et un neurologue qui par ailleurs se dit attaché à la tradition juive - Lionel Naccache. Que penser de ce "nettoyage religieux" ? 

Damien Le Guay : D’abord, il y a une question de forme. La politesse républicaine, qui suppose de prévenir, d’avertir, n’a pas été de mise. Les deux évincés l’ont appris par les journaux. Les protestants s’en sont émus. Le Rabbin a manifesté son étonnement. Ensuite, si les textes du CCNE ne prévoient pas de « représentants des religions» en tant que tels, une tradition s’était instaurée pour permettre à ces derniers d’avoir voix au chapitre. Le président de la République doit, selon les textes, nommer 5 personnalités, qui appartiennent aux "principales familles philosophiques et spirituelles". Enfin, le choix de ne pas les renouveler, eux et pas d’autres, est bien une décision politique. Il n’y a plus de religieux en tant que tels au sein du CCNE. Ceux qui les ont remplacés ont des "sensibilités religieuses".

Et si, contrairement au discours d’apaisement du président actuel (Jean-Claude Ameisen), Claude Baty, représentant officiel des protestants de France, a cru devoir écrire au ministre de l’Intérieur pour protester et si le Pasteur Schweitzer et le Rabbin Azoulay ont publiquement manifesté leurs désaccords, c’est bien qu’il y a un problème. Un problème lié à leur état religieux, à leur fonction religieuse.

Existe-t-il derrière ces changements un but politique inavoué ? Quelle vision de l'éthique cela implique-t-il ?

Le problème est double. D’une part, il s’agit d’un climat. La laïcité est un cadre général, des règles mais aussi un savoir-vivre ensemble, un respect mutuel. Pourquoi ne pas avoir renouvelé ces deux « religieux », compétents, spécialistes de ces questions, sans même avoir cherché une concertation avec les protestants et les juifs ? Sans doute pour les "sanctionner". Tout le monde sait que la position du CCNE sur l’euthanasie (avis de juillet 2013 défavorable à la légalisation de l’euthanasie) n’a pas plu. De plus, il faut envisager de meilleures manières les débats à venir – ceux sur la PMA et l’euthanasie. Le changement de la moitié des membres du CCNE permet "d’assurer ses arrières". D’autre part, il s’agit d’une certaine conception de "l’éthique de discussion", au fondement des comités d’éthique, et qui suppose que l’intelligence soit collective, la discussion libre, la conviction mutualisée. Le Rabbin Azoulay considère qu’il y a derrière ces évictions un "préjugé réducteur et choquant sur la capacité des religieux à pourvoir penser librement et intelligemment". Dès lors, si, comme le dit le rabbin Azoulay, les religieux n’ont plus voix au chapitre en ceci qu’ils sont religieux, c’est qu’ils sont considérés, par nature, comme incapables d’entrer dans ce processus de mise en commun des convictions. Si tel est le cas, alors existe une sorte de discrimination à l’égard des religieux – avec tout à la fois un a priori négatif qui n’est pas lié à une personne mais a une catégorie et, d’autre part, un défaut de reconnaissance, une sanction professionnelle, une dévalorisation des compétences au regard d’une supposée incapacité à sortir de sa condition. Pourquoi un rabbin serait-il moins convaincu et libre en même temps que Michelle Meunier, nouvellement élue au CCNE qui ne cache pas ses convictions LGBT ?

Faut-il relativiser l'importance de l'évènement ou au contraire y voir un révélateur de l'exclusion progressive des religieux dans le débat public ?

On peut le considérer. L’actuel président du CCNE le dit. M. Sicard, ancien président du CCNE, pense de même. Mais le Pasteur Schweitzer va quand même jusqu’à considérer que "le message est clair" : il s’agit d’un "retour à une laïcité musclée". Une certaine laïcité montre ses muscles et considère que les religieux n’ont pas place autour de la table quand il est question de religion, de laïcité ou de sujet de société. S’est-elle imposée dans certaines dernières décisions ? On peut se poser la question. Claude Baty s’étonne que dans le nouvel "observatoire de laïcité", dirigé par Jean-Louis Bianco, aucun de ses membres ne soit un religieux alors même, dit-il "qu’il y a des francs-maçons". La laïcité ne concernerait-elle pas les religieux ? Les religieux, a priori, ne joueraient pas le jeu ? Pourquoi ? Dernier indice : sans concertation aucune, France-Culture a déplacé certaines émissions religieuses du dimanche matin (celles des protestants et des juifs), à 7 h du matin pour laisser place, pendant une heure, à une émission de Frédéric Lenoir, "les racines du ciel" - émission intéressante au demeurant. Nous ne sommes plus dans les religions mais la "spiritualité laïque", la quête de soi. Les deux premiers invités de cette émission furent Luc Ferry et Mathieu Ricard. C’est tout dire ! Pourquoi mettre un dimanche matin, dans le temps des religions, une émission qui n’est pas religieuse si on ne considère pas, sans le dire, que la "spiritualité laïque" va venir remplacer les "religions" - ce qu’a clairement dit Luc Ferry lors de la première émission ?

Sommes-nous en train de confondre athéisme et laïcité ? De remplacer le dialogue par l'analyse ?

Il y aura toujours deux conceptions de la laïcité. Soit elle est envisagée comme un cadre général de limites et de respect. Alors, tout le monde est laïc – y compris les religieux s’ils respectent les règles de la République. Soit elle est envisagée comme un combat, une séparation entre les laïcs (qui seraient ceux qui n’ont pas de religions) et "les croyants" qui ne seraient que les seuls "croyants religieux". Ainsi, pour ce qui concerne une ultra-laïque, Caroline Fourest se présente comme "une laïque" - ce qui laisse à supposer que son interlocuteur ne l’est sans doute pas ! Cette laïcité-cadre et cette laïcité-contre ont des a priori différents.

Le paradoxe en France est que la République (de gauche comme de droite) est plutôt rétive vis-à-vis de toutes irruptions des religions dans l’espace public alors même que les traités européens, qui nous engagent, sont eux favorables au dialogue, à l’écoute des religions et à la contribution de ces dernières au débat public. Ainsi l’article 17 du traité de Lisbonne indique que l’Union doit avoir un "dialogue ouvert, transparent et régulier" avec les religions. Et le 30 mai dernier, les plus hautes autorités européennes, ont organisés une réunion avec les autorités religieuses d’Europe pour redonner sens et confiance en l’avenir de l’Europe. Et si la Commission européenne fait des "rappels à l’ordre" sur les Roms, elle n’en fait pas sur ce "dialogue"-là !  Elle pourrait en faire un suite à  l’éviction des religieux du CCNE ! Avec qui dialoguer si ses interlocuteurs sont renvoyés en dehors des instances de dialogue ?

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