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Pourquoi il y a (presque) autant de pauvres que de méthodes pour mesurer la pauvreté et donc de moyens pour la combattre
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Comptez vous

Combien sont les pauvres ? A chaque publication des chiffres de la pauvreté, la controverse guette. Petite revue des différentes méthodes de mesure.

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Qui et combien sont les pauvres ? Chaque année voit, à l’annonce des chiffres de la pauvreté par l’INSEE, une série de petites controverses sur les données et les méthodes. Il en va d’ailleurs de même aux Etats-Unis. Les chiffres 2011, pour la France, et les chiffres 2012, pour les Etats-Unis, viennent d’être diffusés, et les mêmes mini-polémiques ont repris de l’ampleur. Tentons d’y voir clair. Au fond le problème attaché à ces discussions, qui sont politiques et techniques, est assez simple : tout dépend des définitions.

Sous un déluge de données et d’approches toujours plus sophistiquées, il est tout de même difficile de se faire, aisément, une idée. La France compte-t-elle près de 9 millions, voire plus de 11 millions de pauvres ? Ce sont des chiffres de la statistique publique nationale et européenne. N’en compte-t-elle aucun ? C’est ce que retiennent les rapports des institutions internationales (Banque mondiale et FMI), il est vrai à partir d’une définition très restrictive, pour les pays riches, de la grande pauvreté. À l’échelle européenne, doit-on compter près du quart des Européens comme des exclus ou pauvres ? Ou 1 %, seulement, d’entre eux ? Les deux thèses peuvent être valablement soutenues, à partir de la même source d’information. Un peu de pédagogie s’impose pour tenter d’y voir clair.

Soulignons d’entrée, à ce sujet de la pauvreté qui a fait et qui continuera à faire couler beaucoup d’encre, qu’aucune définition ne s’impose, ni en France par éventuel consensus des experts, ni dans le débat européen, ni dans les discussions internationales sur les vertus comparées des différentes méthodes. On peut tenter de résumer le fond du débat par une formule. La pauvreté a des dimensions relativement absolues (le dénuement total dans les pays pauvres, comme dans les pays riches). Elle est, dans une large mesure, absolument relative car elle dépend des gens, du moment et de l’environnement.

La pauvreté relève, au moins, de trois possibles dimensions : dans les esprits (des représentations), dans les textes (des normes), dans les poches (des budgets).

  • Des individus s’estiment pauvres ou sont estimés comme étant en situation de pauvreté.
  • Des textes, du doit social et du doit fiscal, délimitent des populations qui peuvent être dites pauvres ou défavorisées.
  • Les ressources des ménages, selon certains seuils établis par les experts, placent les membres d’un ménage en situation de pauvreté.

Une autre tripartition, plus technique, spécifie trois approches : « absolues », « relatives », « administratives ». Par symétrie de conventions, on peut également approcher la richesse selon ces trois approches. Le tableau 1. contient une synthèse de ces trois approches.

Richesse et pauvreté en un tableau
(cliquez sur le tableau pour l'agrandir)

Une première approche délimite une pauvreté « absolue » : un seuil de ressources, qui ne varie pas en fonction des évolutions de la richesse, en dessous duquel on est compté comme pauvre. C’est l’option suivie aux Etats-Unis depuis la fin des années 1950. L’idée sous-jacente est de convertir en montant monétaire ce qui est nécessaire pour pouvoir, a minima, se nourrir, se vêtir, habiter. Cette option, absolue, a également été retenue pour le calcul, par les institutions internationales, du nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté (disposant quotidiennement de moins de 1,25 dollar de pouvoir d’achat). Symétriquement, une approche absolue de la richesse ne doit pas faire référence à la distribution des revenus et des positions sociales. Une définition, semble-t-il proposée par un membre fondateur de la dynastie Rothschild, pourrait être de vivre des intérêts sur les intérêts de son capital. Mais une approche plus large, par exemple de vivre des seuls intérêts sur son capital, est certainement recevable. L’approche est, toujours, conventionnelle.

Un deuxième genre porte sur la pauvreté « administrative ». Sont pauvres, en France, les personnes qui bénéficient des prestations visant à atténuer la pauvreté (principalement les minima sociaux de type RSA, minimum vieillesse, etc. mais aussi la Couverture Maladie Universelle - CMU). Symétriquement, sont riches les personnes délimitées administrativement comme riches, par exemple lorsqu’elles vivent dans des ménages assujettis à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF). Le nombre de riches et de pauvres dépend alors, au premier chef, du barème des prestations sociales et de l’ISF. Encore une fois, il y a là une convention dont on peut discuter les fondements et les montants.

Une troisième famille méthodologique s’intéresse à la pauvreté « relative ». Les pauvres vivent avec des revenus et/ou dans des conditions de vie sous un certain seuil défini en fonction de la distribution des revenus et/ou des conditions sociales. Cette famille est la plus nombreuse dans la mesure où l’on peut distinguer trois sous-familles.

  • Dans un premier cas, totalement relatif, on estime que les pauvres sont les 20 % (ou les 10 % les moins riches). Cette définition a les vertus de la simplicité. Elle ne permet cependant pas de mesurer des progrès en matière de diminution du taux de pauvreté puisque, par construction, il est fixe. Symétriquement, pour la richesse, ce sont les 20 % (ou les 10 % les plus aisés).
  • Une deuxième sous-famille, la plus classique maintenant en France et dans l’Union européenne, approche la pauvreté à partir d’un seuil monétaire. Le seuil le plus souvent utilisé est à 60 % de la médiane des niveaux de vie (c’est-à-dire des ressources des ménages provenant de toutes les sources – salaires, prestations, revenus du capital, etc. – dont sont soustraits les impôts). Relevons que ce seuil atteint un niveau élevé : en 2011, 977 euros mensuels pour une personne seule - une somme proche du Smic -, plus de 2 000 euros pour un couple avec deux enfants. Ce seuil de 60 % du revenu médian est discuté, et des experts lui préfèrent des seuils à 50 % ou à 40 % du revenu médian, ceci permettant d’approcher une pauvreté plus réduite mais plus intense. De l’autre côté, ce montant d’environ 1 000 euros comme seuil de pauvreté correspond à ce que les Français, dans certaines enquêtes d’opinion, estiment, en moyenne, comme revenu net an dessous duquel un individu peut être considéré comme pauvre. Il est, en tout cas, important d’avoir à l’esprit que la mesure de la pauvreté monétaire relative est extrêmement sensible au seuil choisi. Avec un seuil à 60 % de la médiane des niveaux de vie, on compte plus de 2 millions d’enfants pauvres (i.e de mineurs vivant dans des ménages sous le seuil de pauvreté. Avec un seuil à 50 % on ne compte que 1 million d’enfants pauvres. Symétriquement, pour saisir la richesse, on pourrait en fixer le seuil à 200 % du niveau de vie médian (soit 3 000 euros par mois pour une personne seule, 6 600 euros pour un couple avec deux enfants). Mais là aussi, tout se discute.
  • Une troisième sous-famille « relative » a trait aux conditions de vie. Une liste de biens et services (nombre de repas avec de la viande, accès à un téléviseur, vacances, sanitaires dans l’habitation, etc.) que l’on estime nécessaire est établie. On mesure la proportion des ménages qui ne disposent pas d’un certain nombre de ces éléments (trois ou quatre parmi neuf). Les personnes composant ces ménages sont dites pauvres en conditions de vie, ou bien en situation de privation matérielle. Bien entendu, rappelons-le encore et encore, tout ceci est conventionnel donc infiniment discutable.

Insistant sur les multiples dimensions du phénomène, les innombrables rapports ont abouti à des dizaines d’indicateurs. Le plus commun est celui de la pauvreté monétaire relative. Avec une définition technique assez compliquée. Une orientation très simple – au risque du simplisme – est de dire, simplement, que les pauvres sont les 10 % les moins riches. Naturellement il est difficile de faire baisser alors la proportion de pauvres. Mais il est judicieux d’observer, chaque année, les évolutions positives ou négatives de leurs conditions de vie. Cette optique la simple n’est jamais privilégiée. C’est étrange.

Pour continuer sur ces sujets, on peut renvoyer, autant pour discuter des définitions et s’informer des chiffres, aux deux sites de la statistique publique nationale et européenne : www.insee.fr  ; www.epp.eurostat.ec.europa.eu. Et pour une vision claire des données et des débats, on s’instruira sur l’excellent site de l’Observatoire des inégalités (un Observatoire privé de grande qualité, à la différence des Observatoires publics spécialisés) : www.inegalites.fr

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