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900 000 "nouveaux pauvres" en France avec la crise : mais qui sont-ils et comment peuvent-ils s'en sortir ?
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Oliver Twist

Depuis le début de la crise en 2008, ce sont près de 900 000 individus en plus qui se sont retrouvés sous le seuil de pauvreté. En 2011, près de 8,7 millions de personnes, soit 14,3 % de la population (contre 14 % en 2010), vivaient sous le seuil de pauvreté, soit 977 euros mensuels.

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Atlantico : Selon une étude de l'Insee intitulée Les niveaux de vie en 2011, 900 000 individus de plus se seraient retrouvés sous le seuil de pauvreté depuis le début de la crise économique en 2008 ce qui a fait grimper le taux de pauvreté en France à 14,3% de la population en 2011. Par quels processus ces "nouveaux" pauvres le sont-ils devenus ?

Julien Damon : La pauvreté, à l’échelle d’un pays, est alimentée par trois facteurs : l’emploi (c’est-à-dire le chômage), les structures familiales (c’est-à-dire les séparations), les migrations (c’est-à-dire un solde migratoire négatif entre population aisée et population pauvre). Pour ce qui concerne la période très récente (c’est-à-dire celle de la crise), c’est une évidence de souligner combien la progression du chômage nourrit la progression de la pauvreté. Avec de plus faibles revenus, même s'ils sont compensés par l’assurance chômage et le système d’aide sociale, les actifs voient leur niveau de vie affecté. Il en va ainsi des personnes qui perdent leur emploi (surtout des hommes dans le secteur privé). Il en va aussi ainsi – et c’est un problème majeur – des jeunes qui restent sur le carreau du marché du travail. Sur la bascule de 900 000 personnes dans la pauvreté, il faut tout de même dire un mot de l’indicateur retenu.

C’est un seuil conventionnel de pauvreté incompréhensible pour le commun des mortels (60 % de la médiane des niveaux de vie). Mais en clair cela signifie près de 1 000 euros par mois pour une personne seule. En clair, aujourd’hui, le SMIC qui était un instrument d’accompagnement de la croissance (comme son nom l’indique) n’est plus – à son niveau – un outil qui permet de se situer au-dessus du seuil de pauvreté. Cette mesure de la pauvreté relative contraste avec l’idée générale qu’ont les Français de ce qu’est la pauvreté : une situation de dénuement prononcé. De surcroît, toujours sur le plan technique, il faut encore féliciter l’INSEE – je suis caustique – d’avoir produit une rupture dans les séries, ce qui rend les chiffres difficilement comparables.

Donc pour répondre à la question, c’est essentiellement le chômage qui explique la reprise à la hausse du taux de pauvreté. Mais structurellement, les deux composantes de la dynamique de la pauvreté ne doivent pas être oubliées. Elles jouent un rôle déterminant, dont on ne peut isoler les effets sur les seules trois dernières années. Les ruptures et séparations ont un impact considérable sur les niveaux de vie, ainsi que sur les prix (par exemple sur le marché du logement). La question migratoire – sensible par excellence – est capitale. Si les riches quittent le pays, et si des pauvres viennent s’y installer, le taux de pauvreté augmente. Ce n’est pas politique, c’est mathématique. 

Femmes, enfants, employés à faibles revenus... Qui sont ces "nouveaux pauvres" ? En quoi ce profil a-t-il évolué ces dernières années ?

Il ne faut pas dresser un portrait moyen si l'on souhaite refléter la réalité. Ce qui compte dans les évolutions récentes de la pauvreté, c’est qu’elles confirment des tendances plus longues, sur deux ou trois décennies. D’abord la pauvreté s’urbanise. Ou plutôt elle se concentre. Dans les Zones urbaines sensibles (Zus, les quartiers considérés comme les plus en difficulté – cette géographie étant appelée à être révisée), les taux de pauvreté sont deux fois plus élevés que la moyenne nationale. Et pour les enfants c’est pire encore. Alors que le taux de pauvreté des mineurs est de 20%, il est de 50 % dans ces "Zus". Un enfant sur deux y vit dans un ménage compté comme pauvre.

Deuxième tendance : la pauvreté est rajeunie. De 2010 à 2011 (au-delà des bavardages de méthodologie statistique), la pauvreté baisse chez les retraités et augmente chez les jeunes actifs. Cette évolution n’est que confirmation de ce qui peut s’observer depuis trois décennies. Auparavant, la pauvreté était âgée, aujourd’hui elle est juvénile.

Troisième transformation : les structures familiales. Auparavant la pauvreté concernait d’abord des familles nombreuses. Aujourd’hui, à raison de l’augmentation du nombre de familles monoparentales et de la diminution des familles nombreuses, les pauvres se trouvent d’abord dans des familles monoparentales. Comprenons-nous bien. Les familles monoparentales (puisqu’il n’y a généralement qu’un apporteur potentiel de revenus) ont toujours eu des taux de pauvreté plus élevés.

Le changement récent (milieu des années 2000) tient des volumes : aujourd’hui il y a plus de pauvres en familles monoparentales que dans toutes les autres formes de structures familiales.

Quatrième changement, encore repérable cette année : l’augmentation des actifs pauvres. C’est, en clair, le phénomène des travailleurs pauvres. Le travailleur pauvre ce n’est pas qu’un problème de revenu individuel (celui attaché à l’activité professionnelle) c’est un problème de famille (car c’est à cette échelle que se mesure la pauvreté). On ne peut trop rien dire – les données n’étant pas disponibles – de l’évolution géographique précise de la pauvreté. Et on ne peut rien dire non plus de la pauvreté selon les origines (au moins selon la nationalité). Ce qui est dommage. 

Comment ces "nouveaux pauvres" parviendront-ils à sortir de cette pauvreté ? Comment sort-on de la pauvreté en France ?

D’abord il faut rappeler que se trouver dans une situation de pauvreté monétaire relative est très généralement une affaire passagère et c’est tant mieux. Il est peu de gens qui restent pauvres – selon cette définition – plus de trois ans. C’est déjà beaucoup, et ceux qui demeurent dans la situation sont les plus en difficulté. Double certes.

En tout état de cause, sortir de la pauvreté passe par deux canaux : l’emploi et la famille. Soyons précis. La famille a toujours été en soi une protection sociale rapprochée, en complément ou en substitution des aides publiques. Mais le sujet n’est pas là. Les familles monoparentales sortent de la pauvreté lorsqu’elles se recomposent ! Je pense d’ailleurs qu’une politique efficace de lutte contre la pauvreté ne relève pas uniquement de l’emploi et du Revenu de solidarité active (RSA), ni de poudres de perlimpinpin fiscal et social, mais aussi de mesures de prévention des séparations (qui sont toujours extrêmement coûteuses) et, quand les séparations sont inéluctables, d’aide aux recompositions.

Ceci semble toujours étrange en France, mais cette dimension est mise en avant un peu partout dans le monde (des Etats-Unis à Singapour en passant par les pays en développement). Au-delà de cette remarque importante sur les structures familiales, la sortie de pauvreté passe naturellement, bien entendu, par l’emploi. Le travail est le meilleur rempart contre la pauvreté. Et dans un marché du travail dual comme le système français (les bien protégés le sont très bien, les mal protégés sont éloignés de l’emploi), nous avons des actifs qui ne sont pas du tout exposés à la pauvreté (des ménages mariés exerçant dans les divers secteurs publics) même s’ils peuvent parfois avoir des difficultés à joindre les deux bouts. Et d’autres – les jeunes – qui n’ont d’actifs que le qualificatif statistique car ils sont durablement sans emploi, exposés puissamment au risque de pauvreté.

Quelles sont les conséquences sociales et économiques à plus long terme de cet accroissement de la pauvreté ? L'Hexagone s'en est-il mieux tiré que ses partenaires européens ou nord-américains ?

Généralement nous avons droit à de la grandiloquence compassée sur les conséquences de l’évolution du taux de pauvreté. Je répète que cette pauvreté se mesure à un niveau en réalité assez élevé. Surtout, elle est fortement compensée par les dépenses sociales. On ne le répète jamais assez, avec un tiers de la richesse nationale affectée à la protection sociale (dans toutes ses dimensions) nous sommes les champions du monde. On en pense ce qu’on veut, mais sans ces dépenses (pensions de retraite, assurance chômage, aide sociale, prestations logement, allocation familiales, etc.) les niveaux de pauvreté seraient incomparablement supérieurs. C’est une évidence. Et il faut plutôt dire que ce sont les évolutions des dépenses sociales (dépenses de santé mises de côté) qui permettent de compenser la pauvreté monétaire.

À mon avis le sujet n’est pas tant de savoir ce que sera l’impact d’une augmentation – en réalité assez faible au regard de ce qui s’est passé ailleurs – de la pauvreté sur le modèle social. Il est plutôt de savoir ce que sera une révision du modèle social, par baisse des dépenses, sur la pauvreté… Enfin, la France, du point de vue de son taux de pauvreté, s’en tire bien mieux que bien d’autres pays de l’Union européenne et de la zone OCDE. Mais au prix d’un surendettement public pour le moins problématique. 

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