Féroce bataille de com' sur la Syrie : comment se construisent les discours en temps de guerre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Fausse ou vraie, rien n'est plus important en temps de guerre que l'information.
Fausse ou vraie, rien n'est plus important en temps de guerre que l'information.
©DR

Sous silence

Le site Slate.fr a publié lundi des informations en provenance de Foreign policy qui révèlent que le rapport de l'ONU sur l'utilisation des armes chimiques incriminerait Bachar el-Assad. Ces éléments, ainsi que la surestimation possible du nombre de morts dus à ces mêmes armes, pourraient bien aller dans le sens d'une intervention. Fausse ou vraie, rien n'est plus important en temps de guerre que l'information.

Pierre Péan

Pierre Péan

Pierre Péan est un journaliste d'investigation français. Il a publié une vingtaine d'ouvrages depuis 1975. Certains ont été des succès, comme TF1, un pouvoir, écrit en collaboration avec Christophe Nick, ou l'Argent noir ou encore Une jeunesse française – François Mitterrand, 1934-1947, qui a été son best-seller.

Voir la bio »

Interview réalisée le 8 septembre 2013

Atlantico : Dans une précédente interview pour Atlantico, vous déclariez que « la communication autour du massacre de Racak (au Kosovo, ndlr) a été le déclic de la conférence de Rambouillet, alors que l'on sait que ce massacre n'a rien à voir avec ce que l'on nous a raconté ». C’est suite à l’échec de cette conférence que les bombardements contre la Serbie ont été lancés. Le parallèle avec les civils gazés en Syrie est tentant. Dans quelle mesure peut-on dire que l’histoire se répète ?

Pierre Péan : J’ai peur d’être obligé de diagnostiquer ce parallèle dans un prochain livre. Quand la guerre sera finie, il sera possible d’analyser froidement les faits qui y ont conduit. Quelques spécialistes du renseignement français - notamment Alain Chouet, ex-directeur du renseignement de la DGSE - évoquent déjà le manque de preuves à propos du recours de Bachar el-Assad aux armes chimiques contre sa population et subodorent qu’il s’agit là d’un faux prétexte pour frapper le régime syrien.

Avant d’avoir réuni tous les éléments pour répondre avec certitude à votre question, les déclarations de Carla del Ponte faites en avril dernier à propos de l’enquête menée alors par l’ONU en Syrie me reviennent en tête et me font penser à ce qui s’est passé avant le déclenchement de la guerre du Kosovo. Dans une interview à la radio suisse italienne, dans la nuit du 5 au 6 mai, elle avait dit : "Nous avons des suspicions fortes, concrètes, mais pas de preuve incontestable de l'utilisation de gaz sarin [une substance toxique considérée comme une arme de destruction massive par l'ONU, ndlr], a précisé l'ancien procureur du Tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie et du TPIR (Rwanda). Cet emploi serait le fait des rebelles et non des forces gouvernementales." Déclarations qui avaient attiré sur elle les foudres de nombreux médias et de  politiques. On n’entendit plus parler de l’enquête de l’ONU…

Dans votre ouvrage, vous dites qu’on a passé sous silence les exactions des indépendantistes kosovars mais les nouveaux médias permettent de montrer en un temps record les exactions commises par l’armée syrienne comme celles des rebelles. Peut-on supposer que sans l’existence de ces outils, il aurait été plus aisé pour les rebelles de maintenir une représentation plus manichéenne du conflit ?

Cela me semble évident même si la nouvelle façon engagée, militante, de faire du journalisme sur tous les sujets tournant autour des droits de l’Homme conduit éditorialistes, journalistes et reporters à grossir les exactions et les crimes de ceux qui sont réunis derrière la bannière du Mal, et à atténuer ceux des combattants du Bien. Et donc à ne pas traiter objectivement les faits collectés par les nouveaux médias.

La démocratisation des nouvelles technologies a-t-elle changé la manière de construire les discours des puissances en temps de guerre ? Est-il devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui de faire accepter à l’opinion publique une version unique d’un conflit ?

Hier comme aujourd’hui, les grandes puissances ont la possibilité de mobiliser la plupart des mass-médias au nom de la morale. Le discours a peu changé encore que cette fois-ci le mot génocide n’a pas été utilisé comme cri de ralliement.Un autre a fait son apparition : la punition. La plupart des journalistes ont relayé la communication gouvernementale, sans pour autant convaincre l’opinion publique. Le matraquage a été impuissant. Les citoyens-lecteurs-auditeurs n’ont pas oublié qu’ils ont été bernés à propos du Kosovo, de l’Afghanistan et de la Libye et savent comment a tourné la guerre d’Irak. Les politiques et les journalistes devront s’habituer à ce que les peuples n’ont pas la mémoire courte.

A la différence du Mali, dans quelle mesure peut-on dire que François Hollande a échoué dans sa communication pour faire accepter la guerre ?

Un seul chiffre suffit pour répondre à cette question : 68% des Français sont contre la guerre-punition qui ne résoudra rien tant du processus militaire régional et international en cours que sur les plans politique et diplomatique.

En temps de guerre, ou de pré-conflit comme c'est le cas actuellement, existe-t-il dans nos sociétés occidentales une part de censure ou de propagande dans la communication gouvernementale ?

Il n’y a pas de guerre sans censure et propagande… Mais celles-ci sont de natures différentes pour imposer, aujourd’hui, le devoir d’ingérence. Il est et il sera de plus en plus délicat d’imposer à l’opinion publique que ces guerres soient faites exclusivement au nom de la morale. Ils lisent et voient à la télé suffisamment de documentaires et de films qui montrent que les grandes puissances n’oublient pas d’imposer leurs intérêts vitaux et leur vision du monde. Il n’est pas possible de croire que la guerre qui va être lancée contre Bachar el-Assad relève de la seule « punition ».

Propos recueillis par Gilles Boutin et Maxime Ricard

A lire également :  "Kosovo : une guerre juste pour créer un état mafieux", Pierre Péan, (Fayard), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.



En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !