Portrait de ces 20% de Français qui ne savent pas nager<!-- --> | Atlantico.fr
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21% des 15-85 ans ne savent pas nager.
21% des 15-85 ans ne savent pas nager.
©Reuters

Jamais sans ma bouée

Selon le baromètre santé 2010 de l'INPES, un Français sur cinq ne sait pas nager. Le SNEP-FSU, syndicat majoritaire des professeurs de sport, dénonce le manque de piscines qu'ils rendent responsable de la série de noyades en France depuis début juillet.

Jean-Paul  Callède

Jean-Paul Callède

Jean-Paul Callède est sociologue au CNRS (Maison des Sciences de l’Homme). Il est spécialisé sur les questions de la pratique sportive et des politiques d'éducation physique.

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Atlantico : Environ 20% des Français ne savent pas nager (voir ici). Que vous inspire cette statistique quand on sait qu'un décret de 1964 institue, en principe, l'apprentissage de la natation dans le cursus scolaire ?

Jean-Paul Callède : 21% des 15-85 ans ne savent pas nager. Voilà un constat objectif, et ce n’est pas une boutade que d’ajouter que probablement 20% supplémentaires pensent savoir nager. La nage est une activité qui suppose un apprentissage, l’acquisition et la maîtrise de certaines techniques. Pour le sociologue Pierre Parlebas, il s’agit d’un chapitre de la praxéologie motrice (ou science de l’action motrice) avant d’être une activité strictement sportive. De plus, c'est une chose de savoir nager en piscine, dans un milieu artificiel où les facteurs contingents sont quasi-inexistants. C'est une toute autre chose de savoir nager en milieu naturel (en mer, où il faut composer avec le courant, les vagues, les effets du vent, etc.) Pratique de la nage, pratique de la natation (compétitive ou de loisir), baignade, bain sont loin d’être des termes équivalents.

L’apprentissage de la natation dans le cursus scolaire, devrait permettre à tout un chacun d’accéder à l’apprentissage puis à la maîtrise de la natation. C'est un impératif éducatif. Si l’objectif fixé par le législateur en 1964 est loin d’être atteint, il importe de mettre en avant plusieurs facteurs explicatifs. Tout d’abord, un cycle d’apprentissage scolaire de la natation nécessite du temps. Or, ce n’est qu’un aspect du répertoire d’enseignements et d’acquisitions confiés au professeur. Il n’est qu’à comparer le temps requis pour l’apprentissage de la natation dans une école municipale de natation, par exemple. Le volume d’heures y est bien plus important. Ensuite, il faut examiner le niveau d’équipement des territoires de proximité en piscines - couvertes ou non, en stades nautiques, en baignades surveillées (avec possibilité d’apprentissage ou non), etc. Le sous-équipement pénalise l’école, le mouvement sportif associatif, l’accès individuel à l’eau. Bien des secteurs ruraux et les classes d’âge qui composent leur population sont encore pénalisés, à cet égard.

Il existe une fracture entre les hommes et les femmes sur la capacité à nager, qui va même du simple au double chez les personnes âgées. Comment l'expliquer ?

La capacité à nager reflète la diversité sociale des cultures corporelles. Lorsque des médiations comme l’école, l’association (club ou autre), une piscine proche de chez soi, une politique municipale volontariste, par exemple, sont en retrait, les inégalités sociales, socio-culturelles et socio-économiques des individus ou des familles opèrent, les unes comme un atout supplémentaire, dans les milieux plutôt aisés soucieux de cette pratique, les autres comme un handicap objectif ou à tout le moins un obstacle dans les milieux moins favorisés. A cela, viennent s’ajouter des effets de génération(s). Lorsque la France manquait cruellement de piscines, dans les années 1960-70 (d’où le programme d’équipement national "Mille piscines" Tournesol), les jeunes de l’époque qui ont aujourd’hui la soixantaine n’ont pas eu la chance de découvrir la natation. Ces hommes et femmes, et les ruraux plus que les urbains, les milieux modestes plus que les milieux aisés, alimentent sans doute la fameuse part des 20% de personnes ne sachant pas nager. Les données statistiques fournies par les enquêtes de l’INSEE, de l’INSEP et le ministère des Sports identifient clairement l’importance de ces facteurs sociaux.

Les personnes à faibles revenus savent en moyenne moins souvent nager que le reste de la population, alors que la natation reste une activité peu chère - voire gratuite sur certains points d'eau naturel. Comment expliquer qu'un des sports les moins onéreux qui soit reste marqué par des disparités socio-économiques ?

De prime abord, la natation semble ne pas coûter très cher. On pourrait en conclure qu’il s’agit là d’une activité physique accessible aux personnes à revenus modestes. Rappelons tout d’abord qu’en dehors de l’école ou des tarifs raisonnables étudiés par les écoles municipales de natation, pour les très jeunes, l’apprentissage de la natation (offre des clubs, offre privée) a une incidence sur le budget de la famille. Pour les personnes adultes (le deuxième âge) ou les seniors (le troisième âge), hormis la baignade, le bain, notons que la pratique de la natation est ou serait à améliorer, voire à acquérir. Cela suppose immanquablement une incidence budgétaire. Mais il ne faut pas oublier les obstacles symboliques. Des expériences intéressantes et novatrices existent. Je pense à l’activité gymnastique aquatique développée par la FSGT à Pessac, en Gironde, dans ma commune. Pour les femmes, disposant de revenus moyens ou modestes, qui investissent cette activité depuis plusieurs années, il a fallu souvent vaincre la phobie de l’eau, dépasser de mauvais souvenirs en milieu aquatique, en parler ensemble, avant que la maîtrise progressive de l’eau autorise un passage vers la nage, "où il n’y a plus pied"… Sans même évoquer la question du rapport au corps dénudé et la volonté de s’assumer ainsi, en collectivité. Des espaces pédagogiques de ce type seraient à multiplier mais il est vrai que la pression exercée par des clubs et des sections de natation des clubs l’emporte souvent sur ces activités aquatiques.

Les excellents résultats des nageurs français dans les compétitions mondiales et olympiques peuvent-ils changer la donne en apportant une popularité plus grande à la discipline ? 

Incontestablement, nos nageurs et nageuses obtiennent des résultats remarquables. Cela suscite sans nul doute des identifications et des vocations parmi les plus jeunes, qui s’inscrivent dans les clubs. Cependant, on sait que d’une année à l’autre les succès sportifs du moment renouvellent l’actualité et modifient les intentions des jeunes. S’agissant de nager, en termes d’acquisition, de perfectionnement, d’entretien physique et de convivialité, pour les classes d’âge autres, des solutions sont à multiplier, à encourager et c’est la puissance publique (les collectivités municipales, les regroupements de communes, les départements) qui, à mon avis, détient aujourd’hui la clé du problème en équipant les territoires de proximité de piscines accueillantes, ouvertes à chacun, aux scolaires et aux associations. Et combien de piscines de ce type, sans prétentions architecturales excessives, pour le prix de l’édification d’un seul grand stade de football ?

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