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L'Etat-stratège est la ruine de l'immobilier français
©Reuters

Entre calins et coups de pieds

Entre la mise en place par l’administration fiscale d’un nouvel outil d’estimation immobilière et l'annonce d’un système de caution locative pour les étudiants, l'Etat a continué cet été de mettre les mains dans le cambouis du marché immobilier.

Hash H16

Hash H16

H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Billet publié initialement sur le blog Hashtable

On entend parfois, souvent même, tant dans la bouche de nos minustres que dans celles de politologues ou de pipoconomistes officiels que l’État français, s’il est imposant et occupe une telle place en France, l’est pour une bonne raison : c’est un État-stratège, les enfants ! Voilà pourquoi on le voit à tous les étages, ses gros doigts potelés dans tant de pots de confiture ! Stratège, qu’il est, je vous dis !

Malheureusement, un peu d’analyse oblige à tempérer violemment cette notion même d’État-stratège, voire à lui filer une solide claque, l’agacement montant. Et actuellement, on le constate sans problème avec l’immobilier.

Certes, c’est d’autant plus vrai que c’est Cécile Duflot, l’une des excuses paritaires du gouvernement, qui a échoué son flanc dodu sur le banc rocailleux du Logement, de l’Égalité des Territoires et du Veau Sous La Vache : la pauvrette n’avait jamais été outillée pour produire autre chose qu’une purée nauséabonde et la jeter avec plus ou moins d’adresse dans le ventilateur rapide des médias et de la politique française, avec le résultat (pitoyable) qu’on connaît (résultat qui, au passage, m’aura inspiré le mémorable schéma ci-dessous, représentation du parcours institutionnel des propositions de la ministre, et qui s’avère extraordinairement exact).

Mais quand bien même Duflot est exceptionnellement mauvaise, force est de constater que le n’importe quoi est, dans le domaine de l’immobilier, érigé en art depuis bien longtemps. La pauvre Cécile ne fait, finalement, que reprendre avec brio le flambeau déposé là lors d’un précédent vol plané catastrophique par d’autres minustres avant elle. Eh oui : cela fait des années qu’on massacre consciencieusement l’immobilier et la propriété privé dans ce pays, et qu’on le fait d’une façon extraordinairement brouillonne.

Il faut bien comprendre que, d’un côté, les propriétaires sont, par nature, des gens riches, qui spolient à l’évidence les locataires auxquels tout le monde sait qu’ils vouent un mépris évident. Dans l’imagerie traditionnelle, la France est peuplée de ces vendeurs de sommeil et autres richissimes propriétaires terriens qui, entre deux parties de chasses et d’entraînement aux pigeons d’argile, entassent les billets dans des coffres suisses et les locataires dans d’insalubres constructions précaires.

L’État aura donc pour mission d’éliminer un maximum de ces bourgeois ignobles, de gêner les autres et de bousiller toute velléité des pauvres de vouloir en devenir un plus tard.

De l’autre, les propriétaires sont aussi des citoyens qui votent, et — les cons — ils sont de plus en plus nombreux, croissance et capitalisme aidant malgré tout les gens à s’extraire de la pauvreté, là où le socialisme et les bières tièdes n’ont pas suffisamment sévi. Mieux : ces propriétaires, correctement taxés, constituent une abondante manne de pognon gratuit des autres sans lequel, justement, le socialisme et les bières tièdes dans une moindre mesure ne peuvent se répandre et perdurer. Et pompon final : le propriétaire, le mou correctement bourré, aura eu la bonne idée de s’endetter sur plusieurs dizaines d’années, ce qui constitue un double bonus puisqu’il alimente alors l’économie de la dette que les banques, acoquinées à l’État, sont trop heureuses de soutenir, et puisqu’il devient parfaitement sédentarisé, et provoque une vague de dépenses publiques très justifiables (routes, écoles, centres sportifs neufs, boulodromes, rond-points, etc…) et particulièrement favorables aux politiciens locaux.

Dilemme terrible : l’État stratège se retrouve donc dans le double-rôle de devoir cogner sur le propriétaire foncier parce qu’après tout, la république socialiste populaire française ne peut autoriser tel enrichissement bourgeois, et celui de devoir favoriser l’acquisition de logement suivant l’adage bien connu : « Quand l’immobilier va, tout va et finissons-en avec les bières tièdes ».

Dilemme qui ne sera donc pas tranché et qui n’est toujours pas résolu à l’heure où ces lignes sont écrites.

D’un côté, on lit que le gouvernement tente de supprimer certains abattements : ainsi, pour les plus-values de cession de terrains à bâtir, le gouvernement ne compte pas offrir de cadeaux fiscaux au-delà du 31 décembre 2013. Après cette date, les abattements existants pour durée de détention devraient être purement et simplement supprimés. La façon même dont ce changement fut « acté » est rocambolesque de confusion, comme le relate assez bien cet article de Contrepoints.

De l’autre, on soupçonne que l’État favoriserait les FCPI, et force est de constater que les différentes annonces hésitantes de Cécile ont eu, depuis le début de l’année, le mérite douteux de faire repartir (même si c’est artificiellement) le marché du neuf au deuxième trimestre (+8% des mises en chantier).

D’un côté, l’État favorise la location et l’accession à celle-ci en distribuant de la caution étudiante comme des bonbons à la Saint-Nicolas, avec les magnifiques effets de bord qu’on peut imaginer (à commencer par ceux qui s’inscriront à la fac exclusivement pour cet aspect).

De l’autre, on sent la mise en place d’une nouvelle embuscade, foncière cette fois (après la fiscale révélée dernièrement ici) : sous le prétexte gentil et mignon et moelleux et douillet et crédible d’aider le contribuable, Bercy lui proposera bientôt d’évaluer son bien immobilier grâce à une application ad hoc, « PATRIM Usagers » (ou PATRIE Usagée, allez savoir), en se basant sur les contrôles fiscaux effectués à côté de son bien et des transactions comparables enregistrées dans les petits fichiers de l’institution.

Miam, miam, tout ceci sent bon à la fois le big data, la protection des données personnelles à géométrie variable, une forte réutilisabilité dans des contrôles fiscaux prochains et une excellente idée pour traquer le pigeon encore plus près et encore plus fort. Du reste, la paranoïa qui m’anime semble partagée puisqu’on retrouve les mêmes préoccupations chez les agents immobiliers qui rouspètent déjà de la concurrence déloyale que ce logiciel fiscal fait peser sur leurs prestations. Gageons qu’ils n’auront pas autant gain de cause que les taxis contre les VTC, Bercy n’ayant réputation d’être mou du genou que lorsqu’il s’agit des intérêts des autres.

Et au-delà même de l’utilisation fiscale de cette application, on ne peut s’empêcher de se rappeler que la révision cadastrale approche à grands pas et ce nouvel outil pourrait s’avérer utile pour faire gober l’amère pilule qui s’annonce : c’est grâce à elle que sont calculés les impôts locaux et fonciers, dont on voit mal comment ils pourraient soudainement baisser, la dernière révision datant de … 1970. Pour les locaux professionnels, c’est déjà planifié ; les habitations individuelles ne devraient donc plus tarder.

Bref : comme on peut le voir, l’État oscille généreusement entre les mesures qui visent à distribuer l’immobilier à tous et toutes et qui déversent le Cajoline fiscal sur le propriétaire, et les mesures abrasives qui le remettent dans le droit chemin à coup de pompes cloutées dans le derche. Difficile, dès lors, de considérer le marché immobilier comme un marché libre, ou même sain, tant les interventions contradictoires y sont nombreuses, contre-productives et génératrices d’effets de bords de plus en plus dangereux. Ainsi, l’actuelle bulle immobilière, indubitable, crée à la fois une pénurie de logement pour les jeunes et l’impossibilité pour les vieux de se débarrasser facilement de leurs possessions surnuméraires sans réaliser une moins-value bien douloureuse.

Et comme absolument personne ne veut s’attaquer à la racine du mal, pourtant énorme et facilement identifiée, l’issue du tango morbide enlaçant l’État à l’immobilier est inéluctable.

Ce pays est foutu.

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