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Comment le sexe peut permettre de surmonter un handicap
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Bonnes feuilles

Comment se « relève-t-on » d’un accident qui vous fait chuter d’un peuplier à l’âge de quinze ans et vous condamne à passer le restant de vos jours sur une chaise ? Extrait de "Chacun porte en soi une force insoupçonnée" (1/2).

Nicolas  de Tonnac

Nicolas de Tonnac

Nicolas de Tonnac est psychiatre de liaison à l'hôpital de Genève. Il est paraplégique depuis l'âge de 15 ans.
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Je jouissais à Beau-Séjour du statut de benjamin et de chouchou. Il y avait à mon égard une attitude enveloppante de la part du personnel soignant. Je pouvais réclamer des bisous aux infirmières qui me les accordaient sans y voir d'équivoque et j'en abusais. La relation à la femme se poursuivait par le biais de l'attention très maternante dont j'étais l'objet.

Certaines de ces infirmières m'excitaient plus que d'autres et je redoublais d'efforts pour les attirer vers moi sous un prétexte ou un autre. Par chance pour moi, l'hôpital était un monde très féminin. Pendant la première période de mon hospitalisation, j'avais pu compter sur les soins d'une kiné particulièrement ravissante – elle ressemblait à Romy Schneider. Elle venait régulièrement mobiliser mes jambes pour éviter les ankyloses et se montrait toujours affectueuse. J'étais éperdument amoureux. Elle était châtain clair, avec une peau de pêche irrésistible, des yeux bleus. Comment dans ces conditions imaginer me plaindre de mon sort ? Cette ravissante créature fut remplacée par une grande femme rousse, pleine de taches de rousseur et aussi rude que la précédente était attentionnée et gracieuse dans ses gestes. Quand elle me disait : « Mein Schatz ! » (« Mon trésor ! »), j'étais terrorisé à l'idée qu'elle n'en profite pour me donner un baiser, ne la trouvant pas du tout à mon goût.

L'art de séduire pouvait ainsi se retourner contre soi ! Bien que rien de ces marques d'attention n'excédât le cadre de l'affection et du soin, elles étaient pour moi le prétexte à fantasmer à partir de toutes ces situations de proximité en attendant le jour où je pourrais passer aux choses sérieuses. Les choses sérieuses paraissaient cependant reportées à des échéances lointaines, peut-être aux calendes grecques, ces situations d'excitation ne s'accompagnant pas dans mon corps des manifestations qui sont l'expression habituelle du désir. Les érections chez un paraplégique sont réflexes et n'ont rien à voir avec le désir. Cela peut occasionner d'ailleurs des situations de soins cocasses. L'infirmière qui entreprenait de faire notre toilette pouvait provoquer malencontreusement une érection réflexe si elle en venait à stimuler la verge. Réaction qui pouvait bien entendu prêter à équivoque, surtout si la soignante n'avait pas été informée. Si elle ne parvenait pas à aseptiser l'histoire, voilà qu'elle se trouvait fort embarrassée – situation qui n'était pas plus confortable pour le soigné.

Pour autant, si l'épisode du premier baiser que j'ai rapporté ne s'était pas accompagné des manifestations adéquates, j'avais ressenti quelque chose de très intense. Le feu était monté aussitôt à mes tempes et l'incendie s'était déclaré. Impossible pourtant de nier le fait qu'il y avait désormais chez moi une séparation de l'Église et de l'État avec laquelle il faudrait composer. La situation était d'autant plus angoissante qu'avant de pouvoir accepter ce handicap au sein du handicap, il m'était impossible d'en parler à une fille. Il y a dans toute idée d'une défaillance profonde la crainte de ne pas être considéré comme un homme et d'être rejeté. Mais dans ce temps de ma rééducation, n'étant pas au fait du caractère définitif de la lésion, la sexualité pouvait sans trop de frustration passer au second plan, c'est‑à-dire derrière la nécessité d'entretenir avec la gent féminine des relations affectives, d'être aimé et d'être amoureux. Je ne me sentais pas du tout handicapé sur ce plan. Ce sentiment amoureux tous azimuts constituait même un puissant moteur m'obligeant à affronter une réalité que j'aurais été enclin sinon à éluder. Éloquentes manifestations de la pulsion de vie.

C'est très évidemment ce qui m'a empêché de sombrer dans le désespoir et d'endosser un devenir végétatif. La relation homme-femme se donne toujours pour perspective inconsciente la procréation. Il s'agit d'un conflit en nous qui ne dit pas son nom entre nos ambivalences à propos de notre future et éventuelle progéniture et cette force qui nous oblige à procréer. Dans mon cas, la curiosité vis‑à-vis de la gent féminine m'encourageait à surmonter mes infirmités et à chercher à passer outre. Cet enjeu pareil à une terre promise a eu le dessus sur toutes les forces d'inertie liées à la situation de handicap.

Extrait de "Chacun porte en soi une force insoupçonnée" ,  Nicolas de Tonnac, (Editions Albin Michel), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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